Le bateau de touristes français a été la cible d'une attaque d'orques au large du Portugal début novembre.D'autres navires avaient déjà été coulés dans cette zone en juin et un autre a été éperonné en août au large de Brest.Pour en savoir plus sur ce mystérieux phénomène, TF1info a interrogé la biologiste marine Paula Mendez-Fernandez.
Les orques auraient-ils perdu la tête ? Depuis quelques mois, les attaques d'orques ciblant des navires se multiplient au large des côtes européennes, sans qu'on puisse en expliquer clairement les raisons. Dernier incident en date, ce lundi 1er novembre, quatre marins français à bord d'un voilier qui voguait à 25 kilomètres au large des côtes portugaises ont dû appeler en urgence les garde-côtes. "J'étais à la barre et il y a eu très gros impact dans le bateau. Entre 5 et 7 orques s'obstinaient à attaquer le safran du bateau", témoigne, dans la vidéo en tête de cet article, l'un des occupants du bateau.
En juin dernier, toujours au large du Portugal, deux voiliers avaient coulé pour les mêmes raisons. Plus surprenant, en août dernier, au large de Brest, un navire a également été la cible d'une attaque. Pour l'instant, il n'y a eu aucun blessé, par chance. Mais un drame n'est pas à exclure, si l'on en croit les spécialistes. Dotés d'une force colossale, ces grands prédateurs marins de la famille des cétacés peuvent mesurer jusqu'à sept à huit mètres de long.
Comment expliquer la recrudescence de ces attaques ? Pourquoi sont-ils attirés par ces bateaux de plaisanciers ? Des attaques sur des humains sont-elles possibles ? Pour en savoir plus sur ce phénomène, la rédaction de TF1info a interrogé Paula Mendez-Fernandez, biologiste marine et ingénieure de recherche à l'Observatoire Pegasis, à La Rochelle (Charente-Maritime).
TF1info : Ce phénomène a-t-il déjà observé par le passé et ailleurs dans le monde ?
Paula Mendez-Fernandez : On constate une recrudescence des interactions entre les orques avec des navires de plaisance depuis 2020 et dans une zone qui s'étend du détroit de Gibraltar jusqu'au Golfe de Gascogne en passant par la Galice. On constate que les orques ciblent exclusivement des voiliers. Elles s'en approchent pour jouer avec le safran (le gouvernail, ndlr) en donnant des coups avec leurs têtes et finissent par briser la coque. C'est une sous-population d'orques qui vient chaque année dans les eaux au large. Ce type d'interactions n'a été observé, pour l'instant, qu'au large des côtes européennes et pas dans le reste du monde. C'est une sous-population d'orques bien identifiée qui en est à l'origine. Elles migrent chaque année au large du Portugal et de l'Espace pour se nourrir de thons. Habituellement, ces animaux quittent le détroit de Gibraltar vers la fin de l'été pour se diriger vers le nord. Mais on s'aperçoit, avec cette nouvelle attaque, qu'elles restent dans la zone plus longtemps qu'on ne le pensait.
Les orques sont des cétacés extrêmement intelligents avec une capacité à transmettre les connaissances d'une génération à l'autre.
Paula Mendez-Fernandez, biologiste marine à l'Observatoire Pegasis
S'agit d'un simple jeu ou d'une attaque délibérée ?
Paula Mendez-Fernandez : Il y a plusieurs hypothèses qui peuvent expliquer ces comportements. Mais la plus probable est qu'il s'agit d'un jeu social qu'elles ont appris et se transmettent sans doute parce qu'elles trouvent cela amusant. Les orques sont des cétacés extrêmement intelligents avec une capacité à transmettre les connaissances d'une génération à l'autre. Ils sont aussi très curieux. Au début, c'étaient uniquement des adultes, mais aujourd'hui ce sont exclusivement des orques juvéniles par groupe de deux ou trois, ce qui semble confirmer cette hypothèse. Ce n'est pas la première fois qu'on observe des comportements inhabituels chez cette espèce. Dans le Pacifique, une population d'orques s'amusait à se balader avec un saumon mort sur la tête. Ça a duré plusieurs mois puis ils ont arrêté sans qu'on en sache la raison.
Des spécialistes avancent que l'activité humaine pourrait aussi être à l'origine de ce comportement agressif. Qu'en pensez-vous ?
Paula Mendez-Fernandez : C'est effectivement une autre hypothèse. Ce serait pour les orques une manière de nous dire qu'on les dérange. D'autres avancent aussi qu'elles ont pu être agressées par des bateaux de pêche. Dans le détroit de Gibraltar, où elles se nourrissent de thons, c'est vrai qu'il y a énormément de bateaux de pêches. On ne peut pas le nier, il y a un conflit entre l'homme et l'orque. D'autres encore prétendent encore que ce serait à cause du bruit produit par les bateaux. La pollution acoustique a forcément un impact sur eux, étant donné qu'ils se déplacent avec leurs sonars. Mais on constate qu'elles s'attaquent presque exclusivement à des voiliers qui a priori ne sont pas les navires les plus bruyants.
Si un humain tombait à l'eau, l'orque pourrait le blesser mortellement en voulant simplement jouer avec lui.
Paula Mendez-Fernandez, biologiste marine à l'Observatoire Pegasis
Selon vous, des attaques sur des humains sont-elles possibles ?
Paula Mendez-Fernandez : Il y a déjà eu des attaques mortelles de dresseurs dans des delphinariums. Les cétacés deviennent fous lorsqu'ils sont en captivité. Ils communiquent avec leur sonar et recherchent des échos en permanence, et vu qu'ils sont enfermés dans un bassin, ça les rend totalement dingues. En milieu naturel, il peut y avoir des accidents. C'est un animal sauvage et il a une force colossale. Si un humain tombait à l'eau, l'orque pourrait le blesser mortellement en voulant simplement jouer avec lui. Les Américains les surnomment injustement "Killer Whales" (en anglais, "baleine tueuse") car elles sont connues pour s'alimenter de mammifères marins. Elles recherchent avant tout du gras et du muscle. Or, les humains n'en ont pas beaucoup.
Que faire si on se trouve à bord d'un bateau et que des orques s'en approchent ?
Paula Mendez-Fernandez : Le premier réflexe, c'est de couper le moteur. Ensuite, affaler les voiles et lâcher la barre ou la roue pour qu'il n'y ait pas de résistance au niveau du safran. C'est un peu comme avec le bâton pour un chien, si on ne lâche pas. Ça ne marche pas toujours. Surtout, cela permet d'éviter de tomber à l'eau s'il y a un cas d'impact fort. En dernier recours, avant d'arrêter le moteur, on peut essayer d'effectuer une marche arrière en douceur, évidemment, en faisant bien attention à ne blesser l'animal.