INTERVIEW - Les sondes japonaise Hayabusa-2 et américaine OSIRIS-REx ont permis de collecter des données qui nous renseignent sur la composition des astéroïdes Ryugu et Bennu, qui vagabondent quelque part dans notre Système solaire. Pour en savoir plus, LCI a contacté l'astrophysicien Patrick Michel, directeur de recherches au CNRS, qui travaille sur les deux missions.
Dans la Voie lactée, la moisson bat son plein. Dans la nuit du 21 au 22 février 2019, la sonde japonaise Hayabusa-2 a effleuré du bout du doigt la surface de Ryugu afin d’y prélever une centaine de milligrammes de grains d’astéroïde. Au même moment, dans un autre recoin du Système solaire, le vaisseau américain OSIRIS-REx transmettait vers la Terre des clichés inédits de la surface de Bennu.
Ces deux petits corps célestes ont ensuite fait la une des plus grands journaux scientifiques la semaine dernière, à travers la publications de dix études. LCI a contacté Patrick Michel, directeur de recherches CNRS à l’Observatoire de la Côte d’Azur, qui a la chance d’appartenir aux équipes des deux missions, pour en savoir plus sur ces découvertes.
LCI : Pourquoi les astéroïdes intéressent-il tant les scientifiques ?
Patrick Michel : Chaque astéroïde est un nouveau monde, à la fois fascinant et complexe. Nous sommes comme des Christophe Colomb, des Indiana Jones à la découverte de nouveaux territoires. Les astéroïdes ont l’avantage d’intéresser différentes communautés de chercheurs. Tout d'abord, les astrophysiciens qui espèrent dénicher dans les entrailles de ces corps primitifs les réponses qui leur manquent afin d’expliquer comment les planètes se sont formées. Ensuite, les spécialistes en défense planétaire, car ils en ont besoin pour élaborer des stratégies efficaces au cas où l’un d’eux foncerait un jour vers la Terre. Enfin, il y a tous ceux qui travaillent sur l’exploitation minière des astéroïdes. Des chercheurs se penchent notamment sur la manière dont nous pourrions transformer l’eau qui se trouve sur les astéroïdes en carburant pour fusée. Cela permettrait de réduire drastiquement le coût des missions vers de nouveaux mondes lointains.
LCI : Que savons-nous aujourd'hui de ces petits corps célestes ?
Nos connaissances depuis le sol sont assez sommaires. C’est la première fois que nous obtenons des résultats en observant in situ des astéroïdes carbonés. Ces astéroïdes sont représentatifs des objets qui ont pu apporter à la Terre primitive de l’eau et des molécules favorables à l’apparition de la vie. Ces petits corps sont les orphelins de notre Système solaire. Ils font partie de ces objets qui n’ont pas eu la chance de terminer dans une planète. Nous pensons qu'ils conservent en eux l'ADN de la Terre, en quelque sorte.
Bennu, sous ses faux airs de caillou amorphe, est au contraire un astéroïde actif
Patrick Michel, directeur de recherches CNRS à l’Observatoire de la Côte d’Azur
LCI : Selon vous, donc, la réponse du mystère de création du Système solaire se trouve là-haut, et non sur Terre. C'est assez paradoxal.
La plus vieille roche terrestre a moins de 4 milliards d’années. En analysant la composition de météorites, nous avons pu dater la naissance du Système solaire à environ 4,7 milliards d’années. En étudiant les astéroïdes les plus primitifs, nous allons pouvoir remonter le temps et retracer l’histoire de notre Système solaire. Comme ils sont petits, à la différence des planètes qui ont un chauffage interne, ces amas de gravats n’ont pas beaucoup chauffé au cours de leur histoire. De ce fait, le matériau n’a pas été transformé chimiquement.
LCI : Comment les agences spatiales américaines et japonaises ont-elles sélectionné Bennu et Ryugu ?
Nous avons sélectionné Bennu et Ryugu sur des observations au sol. L’objectif des missions Hayabusa-2 et OSIRIS-REx est d’explorer des corps célestes parmi les plus primitifs du Système solaire. Il fallait donc que ce soit des astéroïdes de type carboné, c’est-à-dire potentiellement riches en matériaux organiques et en minéraux hydratés. Par ailleurs, ils ont été choisis car ils ne tournent pas trop vite. Il est donc plus facile de s'y poser. Et surtout, ce sont de très loin les moins chers à atteindre, car leur trajectoire n’est pas très éloignée de celle de la Terre. OSIRIS-REx avec le lanceur, c’est un milliard de dollars, pour seulement 60 grammes de matériau. Ces types de mission sont très complexes, et donc particulièrement coûteuses. Si nous avions choisi des corps plus lointains, la note aurait été encore plus salée.

LCI : L’une des études dans la revue Nature explique que Bennu est un astéroïde actif. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Bennu, sous ses faux airs de caillou amorphe, est au contraire un astéroïde actif duquel jaillissent des gerbes de particules. Généralement, nous classons les petits corps en deux catégories : d’un côté, les astéroïdes ; de l’autre, les comètes. Outre la région où ces objets évoluent et leurs trajectoires, les comètes se distinguent habituellement des astéroïdes car lorsqu'elles s'approchent du Soleil, la glace de leur noyau sublime. Elles dégagent alors des gaz et des poussières qui forment un nuage ressemblant à une chevelure, prolongée de deux queues.
Nous découvrons aujourd’hui qu’il existe également des astéroïdes actifs. L'une des explications est, qu'en passant près du Soleil, l’eau qui se trouve sous forme de minéraux hydratés à l’intérieur de ces corps s’évapore et projette sous l’effet de la pression des particules de poussière à leur surface. Or, c’est exactement ce qu'il se passe avec une comète. Nous pensons désormais qu’il existe un continuum entre les deux populations, et même peut-être un lien génétique entre elles. Pour le savoir, il faudra attendre le retour des échantillons sur Terre [ceux d'Hayabusa-2 reviendront fin 2020, tandis que ceux d'OSIRIS-REx arriveront en 2023, ndlr].
LCI : D'ici quelques jours, le vaisseau japonais va tirer un projectile sur Ryugu. Dans quel but ?
Le 5 avril prochain, nous allons effectuer un impact à haute vitesse. C’est-à-dire que nous allons déployer un projectile de deux kilogrammes qui va taper à 7200 km/h à la surface de l’objet, de manière à y faire un cratère dont la taille est encore incertaine : entre 2 et 10 mètres. Cela va nous permettre d’avoir une meilleure idée des propriétés mécaniques du sol de Ryugu. Nous allons savoir si les gros rochers que nous apercevons à la surface sur les images sont friables ou non. L’idée est d’aller ensuite récolter un échantillon dans ou à proximité du cratère pour le comparer avec celui pris directement sur la surface en février.
Bennu et Ryugu ont la même forme, ce qui signifie qu’ils ont probablement subi la même histoire
Patrick Michel
LCI : En voyant les premières images de Ryugu et Bennu, qu'est-ce qui vous a le plus surpris ?
Ce qui nous a tout de suite frappés, c’est leur ressemblance. Il s'agit d'un amas de gravats. C’est assez troublant, Bennu et Ryugu ont la même forme, ce qui signifie qu’ils ont probablement subi la même histoire. Leur surface est couverte de cailloux de différentes morphologies et textures, dont nous connaîtrons la composition qu'après analyse des échantillons sur Terre. Pour comprendre cet état de fait, il faut remonter à la genèse de ces deux corps, il faut se transporter dans le passé et dans la ceinture principale d’astéroïdes située entre Mars et Jupiter. Il faut imaginer des collisions qui font littéralement exploser des astéroïdes.
Il y a quelques années, j'avais constaté en réalisant des simulations d’impact sur ordinateur que lorsque les fragments issus de la destruction d'un astéroïde sont éjectés, une partie des débris finissent par se réaccumuler sous l'effet de leurs attractions mutuelles. Cela donne des agrégats de roches liées par la gravité et entre lesquelles se trouve beaucoup de vide. Mais on ne connaît pas encore la taille de ces porosités car, en l’absence de radar sur les sondes, nous n'avons aucune mesure directe de l’intérieur des astéroïdes. La seule différence notable : Ruygu semble moins hydraté que Bennu. Il y a deux explications possibles à cela. L'une d'elles est que le plus gros astéroïde duquel Bennu est issu, son corps parent, a subi un chauffage interne qui l’a initialement déshydraté. Seuls les échantillons pourront nous apporter la réponse. L’aventure continue !
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