27 migrants périssent dans la Manche : "Pour beaucoup de passeurs, peu importe le sort de ceux qui les payent"

Propos recueillis par Aurélie Sarrot
Publié le 25 novembre 2021 à 19h40

Source : JT 20h Semaine

INTERVIEW – Au lendemain de la mort de 27 personnes au large de la côte d'Opale, Pierre Roques, coordinateur de l'association L'auberge des migrants revient sur le profil des passeurs.

Ils sont 27 à avoir perdu la vie en tentant de rejoindre l'Angleterre. Mercredi, 17 hommes, sept femmes et trois jeunes personnes, se sont noyés dans la Manche après être partis de Dunkerque à bord d'une embarcation. Seuls un Irakien et un Somalien, retrouvés en "grave hypothermie hier", ont survécu à ce drame. 

Au lendemain de cette tragédie, Pierre Roques, coordinateur de l'association L’Auberge des Migrants qui intervient depuis 2008 auprès des exilés en apportant aide matérielle et alimentaire et un accompagnement notamment en matière de défense des droits, revient sur ce drame et sur le profil de ceux qui profitent d'un "marché sordide" pour se faire de l'argent. 

Cinq passeurs ont été interpellés entre mercredi et jeudi après le naufrage de 27 personnes dans la Manche. Quel est le profil, de manière générale, de ces individus ? 

C'est assez brumeux. Ce sont des gens qui fournissent un service qui ne peut pas être fourni de manière légale à savoir traverser la Manche. Il y a différents types de passeurs, des Français, des Belges, des gens qui viennent de communautés présentes à Calais qui vont fournir différents types de services. C'est un marché, sordide, qui peut vraiment impliquer n'importe qui, des personnes qui ne voient que l'argent, peu importe pour beaucoup le sort de ceux qui les payent. Une fois les embarcations en mer, la plupart de ces passeurs se soucient peu de la suite. 

Dans de telles conditions, survivre relève du miracle
Pierre Roques, coordinateur de l'association L’Auberge des Migrants

Comment se passe la mise en contact ?

Très probablement sur les campements, dans Calais. Là, on leur promet la sécurité, le rêve à l'issue. Malheureusement bien souvent, ça finit mal. Sur l'embarcation de mercredi, il n'y a eu que deux survivants. Il faut rappeler que beaucoup de migrants, et pas que les enfants, ne savent pas nager, que les températures sont glaciales, hors de l'eau et encore plus dans l'eau. Dans de telles conditions, survivre relève du miracle. 

Pensez-vous qu'à Calais, les passeurs sont-ils identifiés et/ou localisés par les forces de l'ordre ? 

La police peut identifier les passeurs, les arrêter. Mais finalement ça ne changera pas grand-chose. Car si cinq sont arrêtés aujourd'hui cinq autres reviendront demain. Pour les passeurs, c'est l'appât du gain, l'argent facile, sans mesurer la dangerosité de leurs actes pour les autres. 

Plus la frontière est militarisée, plus ça pousse les gens dans les bras des passeurs
Pierre Roques, coordinateur de l'association L’Auberge des Migrants

Les migrants ont-ils systématiquement recours à des passeurs pour la traversée ? 

Non pas forcément. La distance entre la côte d'Opale et la côte britannique n'est que d'une trentaine de kilomètres. Ceux qui n'ont pas les moyens de payer des passeurs, ou ceux qui pensent pouvoir y parvenir seuls. Certains candidats au départ fabriquent des radeaux avec des "frites" de piscine à Calais ou Dunkerque. Il y a des gens qui essaient de traverser en camion. Ils embarquent sur des "small boats", de petits bateaux, des moyens de fortunes pour traverser ce chemin maritime qui peut sembler certes court, mais qui se révèle extrêmement périlleux.

Y a-t-il plus de "small boats" ou de "long boats" aujourd'hui qui partent de Calais ou des villes voisines ? 

Le drame de mercredi s'est déroulé sur un "long boat", un bateau gonflable fragile au fond souple. L'utilisation par les passeurs de ce type d'embarcation, que l'on a l'habitude de voir en Méditerranée, s'est accrue depuis l'été dans la région. Plus la frontière est militarisée, plus il y a de moyens de surveillance, de policiers, plus ça pousse les gens dans les bras des passeurs. Les migrants se disent comment faire pour passer si la frontière est de plus en plus sécurisée ? Pour eux, c'est en ayant recours à des passeurs, à des personnes dont le métier consiste à éviter la police. Elles connaissent tous les coins et recoins des 130km de littoral. Une frontière, ça n'est pas une porte, c'est une passoire. C'est une vue de l'esprit de se dire que l'on peut fermer une frontière, ça ne marche pas comme ça. Pour nous, c'est le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin qui permet la montée en puissance des passeurs. 

Une réunion a lieu aujourd'hui après cette tragédie. Quelles sont selon vous les mesures à prendre pour éviter de nouveaux drames ? 

Il faudrait que les gouvernements français et britannique se mettent autour d'une table. C'est du courage politique. Il faut qu'ils se disent qu'ils prennent acte du fait que les migrants veulent passer. L'immigration est un fait social, on n'est pas pour ou contre. Il faut donc des voies de passage sûres, pour que les gens puissent passer au Royaume-Uni, qu'ils n'aient pas à risquer leur vie pour faire une traverser de 30 km. Ceci doit se coordonner avec remise à plat du règlement de Dublin qui régit le droit d'asile sur le sol européen. Il faut un meilleur accueil, mieux répartis sur les différents sols européens. 


Propos recueillis par Aurélie Sarrot

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