30, 40, 50 ans… Existe-t-il un consensus sur la durée de vie d'une centrale nucléaire ?

Publié le 1 juillet 2020 à 20h38, mis à jour le 2 juillet 2020 à 14h33
Fessenheim a fermé après 42 ans d'exploitation.
Fessenheim a fermé après 42 ans d'exploitation. - Source : SEBASTIEN BOZON / AFP

À LA LOUPE – Les réacteurs de la centrale nucléaire Fessenheim ont fermé après 43 ans de fonctionnement. Logique, assurent certains élus, qui estiment que leur durée de vie avait été dépassée. Une affirmation qu'il convient de nuancer.

Pour les élus écologistes, la fermeture de la centrale de Fessenheim en début de semaine a été vécue comme une victoire, dans un pays où le nucléaire occupe une place omniprésente dans la production d'électricité. La députée LaREM Barbara Pompili, présidente de la commission du développement durable à l'Assemblée nationale et ancienne membre d'EELV a ainsi justifié l'arrêt des deux réacteurs de la centrale alsacienne : "Les réacteurs de Fessenheim ont 42 ans. Pour rappel, les réacteurs nucléaires ont été prévus au départ pour 40 ans, car comme pour n’importe quelle autre technologie, les risques de sûreté augmentent avec l’âge", a-t-elle indiqué

Fessenheim ne sera donc pas un cas isolé : "L’âge moyen du parc est de 33 ans : dans les prochaines années, les plus vieux réacteurs devront être fermés", assure l'élue de la Somme. Des affirmations qui ont suscité des réactions contrastées, notamment autour de la durée de vie des centrales.

Une durée minimale théorique

Les 40 ans de durée de vie auxquels fait référence Barbara Pompili sont également avancés par EDF, qui souligne sur son site que "les centrales nucléaires sont conçues pour être exploitées pendant au moins 40 ans". Pour autant, la mention "au moins" se révèle importante : lors de leur conception, les centrales devaient en effet être assurées de fonctionner durant une période minimale, un prérequis indispensable pour assurer leur rentabilité et éviter que des opérations lourdes de démantèlement ne soient régulièrement à planifier. 

Précision utile, il s'agit bien là d'une durée minimale théorique, qui ne préjuge pas d'une dégradation potentielle en cas de dépassement. "La durée de vie des centrales françaises n’est pas fixée réglementairement", rappelle d'ailleurs l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), en précisant qu'EDF "envisage de prolonger la durée de certaines centrales jusqu’à 60 ans". Si tel était le cas, "cela nécessiterait la réalisation d’un réexamen de sûreté à 50 ans accompagné de modifications visant à garantir et à relever leur niveau de sûreté".

Ces dernières années, "plusieurs centrales ont vu leur autorisation de fonctionnement prolongée à 60 ans", note l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. L'IRSN où évoluait il y a encore quelques années Geneviève Baumont, spécialisée dans la recherche et l’expertise en sûreté nucléaire. Elle rappelle que dans une centrale, seuls deux éléments ne peuvent être remplacés : la cuve et l'enceinte de confinement. "Tout le reste, on peut le changer, que ce soit les kilomètres de tuyaux qui serpentent, les vannes, les capteurs…"

Dès lors, il convient plutôt de s'intéresser à la durée de vie de la cuve et de l'enceinte, dont la dégradation serait l'unique problème matériel irréversible. Des éléments sous haute surveillance, "qui font l'objet comme toute la centrale de contrôles très réguliers", explique Geneviève Baumont. Les plus importants sont "les visites décennales, qui permettent si elles s'avèrent concluantes d'autoriser une exploitation pour dix années supplémentaires". "Aucune centrale ne peut dire qu'elle a une durée de vie dépassant les dix ans", résume-t-elle, puisque ces échéances permettent de conclure ou non à une poursuite de l'exploitation.

Des contrôles qui évoluent avec le temps

Aujourd'hui, la fermeture de Fessenheim n'est donc pas motivée par des raisons de sûreté, la centrale ayant passé avec succès les contrôles effectués lors de ses quarante ans d'activité. Une décision politique, donc, conséquence d'un accord passé entre le PS et EELV en novembre 2011, six mois après la catastrophe de Fukushima. 

Une catastrophe qui a contribué, comme celle de Tchernobyl en son temps, à faire évoluer les contrôles et à les renforcer. "Chaque incident, qu'il soit minime ou majeur, est remonté aux autorités de sûreté", insiste Geneviève Baumont. "Après Fukushima, les experts ont observé que le combustible, non refroidi, avait fini par attaquer le béton en le perçant sur 65 centimètres. En conséquence, le béton à Fessenheim, qui n'était que de 50 centimètres d'épaisseur, a été doublé pour atteindre un mètre." 

Fallait-il fermer la centrale nucléaire de Fessenheim ?Source : 24H PUJADAS, L'info en questions

L'accident a traumatisé le Japon, mais a aussi permis de nourrir la réflexion des chercheurs et des autorités de sûreté : "Un très grand nombre de conférences ont été organisées, assure Geneviève Baumont. Il s'agissait de faire le point et de déterminer les conséquences à en tirer. Le nucléaire est une industrie dans laquelle le retour d'expérience est particulièrement organisé, c'est l'une des conséquences du fait qu'il terrorise une partie de la population"

En résumé, il est donc inexact d'affirmer que la durée de vie d'une centrale nucléaire est de 40 ans. Si elle est conçue pour être exploitée au minimum pendant cette durée, la prolongation de son exploitation est, en réalité, actée tous les dix ans par l'ASN à l'occasion de contrôles poussés. Il faut par ailleurs noter que la durée de vie de deux éléments importe avant tout : la cuve et l'enceinte de confinement. Tous les autres composants peuvent en effet être changés, et n'ont donc pas un impact majeur sur la durabilité des installations. 

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Thomas DESZPOT

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