40 ans de la loi IVG : deux anciennes du manifeste des "343" racontent

Cerise Sudry-Le Dû
Publié le 26 novembre 2014 à 7h29
40 ans de la loi IVG : deux anciennes du manifeste des "343" racontent

INTERVIEW - Claudine Monteil a longtemps été une proche amie de Simone de Beauvoir. Yvette Roudy a été ministre des Droits de la Femme de François Mitterrand. Quelques années plus tôt, en 1971, elles ont toutes les deux signé le désormais célèbre "manifeste des 343". Alors que l'Assemblée Nationale va célébrer solennellement mercredi les 40 ans de la loi IVG, elles racontent à metronews cette période agitée.

Comment avez-vous été contactées pour signer ce manifeste  ?
Claudine Monteil : J'ai participé à la fondation du MLF, dans les années soixante-dix. J'étais la benjamine des signataires : j'avais 21 ans, j'étais majeure depuis quelques mois.
Yvette Roudy : C'est  Colette Audry , une camarade du Parti socialiste, qui m'en a parlé. Elle-même avait été contactée par Simone de Beauvoir. Tout s'est fait de bouche-à-oreille, dans une certaine confidentialité. Il fallait un certain courage. On prenait des risques.

A LIRE AUSSI >> Les députés suppriment le délai de réflexion d'une semaine pour l'IVG

Avez-vous eu des craintes au moment de signer ?
CM : Oui, imaginez : le mot "avortement" était celui qu'on prononçait le moins dans la société française. Nous risquions de perdre nos emplois, d'être mises au ban de la société. Mais nous avions encore plus peur d'une chose : de tomber enceinte.
YR : Bien sûr, mais il fallait faire quelque chose de violent et de provocateur. L'IVG était considérée comme une "affaire de femmes". C'était la seule manière d'intéresser les hommes politiques. La situation en France était scandaleuse, des femmes avortaient dans les pires conditions d'hygiène et de sécurité. C'est après la publication qu'on a vu la lâcheté des autorités. Autant les politiques étaient capables de s'attaquer à des femmes anonymes, faibles, autant, quand ils ont vu la liste, avec autant de noms connus, ils ont eu peur.
CM : Ce qui nous a sauvées, ce sont ces actrices, ces auteures qui ont signé. Ça nous a protégées.

Vous avez eu des répercussions dans votre vie personnelle ?
CM :
Ma famille, qui comprenait mon engagement, a été terrorisée. Mes parents craignaient que je ne puisse plus trouver de travail par la suite.
YR : Non. La lâcheté des hommes est incommensurable. Personne n'a réagi autour de moi. J'étais pourtant à l'époque dans la direction du PS. Au siège, on nous regardait avec insistance, mais personne ne m'en a parlé.

40 ans plus tard, estimez-vous que la cause des femmes a beaucoup progressé ?
CM : Simone de Beauvoir m'avait dit : "Ne crions pas victoire. N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise économique, politique ou religieuse pour que nos droits soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez demeurer vigilantes". En France, des centres IVG ferment . Certaines femmes partent aux Pays-Bas se faire avorter ; aucun combat n'est gagné.
YR :
Il y a toujours des choses à faire. On peut toujours revenir en arrière. Regardez, le ministère du droit des femmes a été supprimé  ! Si les associations se sont émues, les femmes politiques n'ont pas réagi avec assez de force. Elles auraient dû le défendre bec et ongles ! Pour moi, c'est un recul de la démocratie. 

Est-il plus facile d'être féministe aujourd'hui ?
CM : Je suis très heureuse de voir qu'i y a une relève. Mais il faut que la nouvelle génération se batte pour que l'histoire du féminisme soit désormais enseignée.
YR
 : Oui, bien plus facile. Être féministe n'est plus un gros mot. Cependant il y a une multitude d'associations. Elles sont éparpillées et c'est parfois leur faiblesse.

Y a-t-il un combat prioritaire pour les femmes aujourd'hui ?
CM : La défense de la laïcité. Certains extrémistes, dirigés par des hommes, veulent reprendre le contrôle sur le corps et l'esprit des femmes.
YR : Le droit des femmes c'est un tout ; c'est pour ça qu'il est important d'avoir un ministère qui se préoccupe de tous les aspects de la situation. Il faut siéger autour de la table du Conseil des ministres une fois par semaine. Un secrétariat d'Etat, ça ne suffit pas.

Y a-t-il une femme politique qui vous inspire aujourd'hui ?
CM : Yvette Roudy a été la meilleure ministre du des femmes qui ait existé. Mais depuis, je n'admire aucune femme politique. Celle qui m'inspire, c'est par exemple la jeune Malala , qui a obtenu le prix Nobel de la Paix.
YR :
Non. Leur seul souci, c'est de s'intégrer. De se mêler à l'ensemble de la majorité. Il n'y a pas de courant féministe en tant que tel. Najat Vallaud Belkacem était très bien. Mais elle n'est plus là. 


Cerise Sudry-Le Dû

Tout
TF1 Info