Que cachent nos couches culottes ?

par Cédric STANGHELLINI
Publié le 13 juin 2019 à 15h27

Source : JT 13h Semaine

À LA LOUPE - Les couches culottes sont-elles dangereuses pour la santé des bébés ? C'est la question que pose l'Association pour la Santé des Enfants. Elle dénonce une absence totale de transparence suite à une étude de l'Anses portant sur les substances toxiques présentes dans les couches. Des parents ont déposé un recours devant le Conseil d'Etat pour que l'Anses dévoile le noms des marques incriminées et que, à terme, les autorités retirent les couches du marché.

L'Association pour la Santé des Enfants, ainsi que plusieurs parents, ont déposé le 11 juin un recours devant le Conseil d'Etat, LCI l'a consulté. Leur objectif : obtenir la liste des marques de couches culottes pour lesquelles l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) avait détecté la présence de produits toxiques dans un avis rendu public en janvier 2019. Dans cette étude, le Comité d'experts spécialisés de l'Anses alertait sur la présence de plusieurs "substances chimiques dangereuses" dans les couches jetables, si bien, disent les scientifiques, qu' "il n’est pas possible d’exclure un risque sanitaire".  Que contiennent réellement les couches culottes ? 

Les couches culottes comprennent-elles des composés dangereux pour la santé ?

C'est en janvier 2017 que l’Anses est saisie par les pouvoirs publics, notamment par la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) et par le ministère de la Santé, pour réaliser une expertise sur "la sécurité des couches pour bébé". L'objectif est d'évaluer "les risques liés à [aux] substances" présentes dans les couches et "d’émettre des recommandations pour un meilleur encadrement des modes de fabrication, de la composition et de l’information du consommateur." Après deux années d'étude et l'audition des principaux fabricants, l'Anses rend finalement son avis. Ses conclusions sont pour le moins inquiétantes. 

"Des substances chimiques dangereuses ont été retrouvées dans ces couches". Une évaluation des risques sanitaires "a mis en évidence des dépassements de seuils sanitaires pour plusieurs" d'entre-elles, conclue l'Anses. Pour tirer ses conclusions, l'agence a broyé des couches puis analyser les résidus détectés à l'intérieur. Ainsi, l'Anses a pu retrouver des traces de naphtaline (cancérigène probable), de toluène (solvant, irritant pour la peau), de styrène (composé plastique, mutagène). Les substances parfumées ajoutées par les fabricants posent également problème, avec notamment des traces de salicylate de benzyle (allergène) ou du butylphényl méthyle propional, derrière ce nom abscons se cache un potentiel perturbateur endocrinien. 

Enfin, l'Anses retrouve la trace de glyphosate ainsi que trois pesticides interdits d'usage en Europe, le lindane, le quintozène et le hexachlorobenzène. La liste complète de ces produits est dans l'avis de l'Anses.  

Pourquoi retrouve-t-on des substances toxiques sur les couches ?

Inutile de chercher la liste de ces composés sur l'étiquette de vos paquets de couches, ils n'y figurent pas. Pour autant, les marques se veulent de plus en plus transparentes. Sur son site internet, Pampers, par exemple, entend rassurer les parents en publiant la liste des produits que le leader mondial de la couche culotte "n'ajoute pas". On retrouve notamment les parabènes, les métaux lourds ou les vingt-six allergènes tels que définis par l'Union européenne. 

Mais le fabricant précise juste en-dessous par un petit astérisque que comme "quelques-unes de ces substances" sont présentes dans notre environnement et elles "peuvent être retrouvées à l’état de traces dans une grande variété de produits du quotidien", dont leurs couches. Aucun fabriquant de couches ne rajoute volontairement des éléments potentiellement toxiques pour les enfants. Une situation rappelée par l'Anses : les substances détectées "ne sont pas ajoutées intentionnellement par les industriels, hormis les substances parfumantes." Leur présence provient d’une contamination des matières premières - par exemple pour les pesticides - ou des procédés de fabrication comme lors du blanchiment et du collage. 

Pourquoi les noms des marques ne sont pas communiqués ?

L'Association pour la Santé des Enfants a déposé un recours devant le Conseil d'Etat car l'Anses a gardé le silence sur les marques testées. Une position qui étonne Quentin Guillemain, un des parents requérants. "Le rôle de l'Anses est d'informer, d'alerter. Elle ne doit pas retenir de l'information. C'est comme si la composition des couches culottes était un secret d'Etat." L'Association avait adressé cette demande, notamment au ministère de la Santé, sans qu'ils n'obtiennent la moindre réponses des autorités.  

Nous nous sommes donc adressé à la DGCCRF (Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes) qui pilote le dossier. La Direction nous explique que tout est fait en totale transparence. "Nous avons indiqué en 2017 que l'Anses étudierait la question de la toxicité des couches. Nous avons communiqué les résultats dès leur publication en janvier dernier. Nous avons alors donné six mois aux marques pour nous adresser les mesures nouvelles prises pour écarter tout danger." 

Concernant le silence gardé par les marques, la DGCCRF nous précise que "les couches ont été testées en 2017 et ne reflètent donc pas forcément l'état des composants actuels." De plus, toutes les marques n'ont pas été testées et "les couches non-étudiées ne sont pas forcément plus vertueuses." 

Existe-il une réglementation spécifique pour la fabrication des couches ?

S'il n'existe pas de réglementations nationale ou européenne spécifiques à la composition des couches culottes, tous les produits d'hygiène doivent être en conformité avec le REACH (Registration, Evaluation, Authorization and restriction of Chemicals), une réglementation de l'UE qui encadre la présence des substances chimiques. 

Contactée par LCI, la Commission européenne nous répond qu'elle a pris connaissance avec beaucoup d'attention de l'avis de l'Anses, et qu'en vertu du REACH, les Etats membres ont la possibilité "de retirer du marché tout produit considéré comme dangereux" par les autorités nationales "lorsque les limites maximum autorisées ne sont pas respectées". Des dispositions de retraits également permises par le Code de la consommation. 

Pourquoi les couches n'ont pas été retirées de la vente ?

Les parents réclament le retrait des couches incriminées par les scientifiques de l'Anses. Dans leur recours devant le Conseil d'Etat, ils s'appuient sur le triste exemple du talc Morhange, une affaire qui avait bouleversé la France. En 1972, suite à une mauvaise manipulation au sein de l'usine de l'entreprise Morhange, un puissant bactéricide avait été mélangé avec du talc destiné aux bébés. Cette poudre mortelle provoqua la mort de 36 nourrissons et une grave intoxication pour 168 enfants. Une fois la cause des décès identifiée par l'Inserm, ce talc fût rapidement retiré du marché. 

Pour Quentin Guillemain, les révélations de l'Anses sur les couches auraient dû provoquer la même mesure. D'autant qu'une loi de 1978, adoptée en réaction à l'affaire Morhange, permet l'application de telles mesures temporaires d'urgence. Les parents à l'origine de la requête devant le Conseil d'Etat estiment que "la ministre des Solidarités et de la Santé a commis une erreur manifeste d’appréciation [...] en refusant de prendre un arrêté suspendant la mise sur le marché." Pour Quentin Guillemain, l'avis de l'Anses est suffisamment clair et objectif pour que les autorités sanitaires prennent des décisions plus coercitives que la simple convocation des fabricants de couches et la promesse de ces dernier d'agir autrement. 

De son côté, la DGCCRF rappelle que, bien que démontrant son inquiétude, l'Anses ne recommande pas une telle mesure de retrait et qu'elle n'évoque pas un danger immédiat. "L'Anses poursuit actuellement sa campagne de test. Les résultats seront connus fin 2019, début 2020", nous précise la DGCCRF. "La France est le premier pays au monde a étudié aussi précisément la composition des couches." 

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Cédric STANGHELLINI

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