A Nantes, bientôt un resto tenu par des trisomiques : "On veut aider la société à aller à la rencontre de ces personnes extra-ordinaires"

par Sibylle LAURENT
Publié le 21 octobre 2016 à 17h42, mis à jour le 24 octobre 2016 à 10h10
A Nantes, bientôt un resto tenu par des trisomiques : "On veut aider la société à aller à la rencontre de ces personnes extra-ordinaires"
Source : Le Reflet

L'INITIATIVE - A Nantes, un restaurant pas comme les autres va ouvrir d’ici quelques semaines dans le centre-ville : le Reflet, qui fera travailler à 70% des personnes trisomiques. L’initiative est une première. Explications avec la conceptrice du projet, Flore Lelièvre.

Elle veut mélanger les publics, chambouler les codes, dézinguer les acquis. Flore Lelièvre est à l’origine d’un projet un peu fou : le Reflet, un restaurant qui doit ouvrir avant Noël dans le centre de Nantes. Sa spécificité : il sera tenu presque entièrement par… des personnes trisomiques, aussi bien en salle qu'en cuisine. Une première en France. "Ce sera un restaurant extra-ordinaire, tenu par des employés extra-ordinaires !", se réjouit Flore, tout sourire.

Quel rapport entre cette jeune femme de 26 ans, architecte d’intérieur, et le milieu handicapé ? "L'un de mes frères aînés est trisomique, et comme projet de fin d’étude, j’ai travaillé autour du handicap et son intégration dans la société", explique Flore à LCI. Car elle le constate : "C’est très compliqué pour les personnes handicapées de travailler en milieu ordinaire. Certains se retrouvent à faire du bénévolat parce qu’ils n'ont pas le choix."

Il a fallu tout remettre à plat, repenser tout l'aménagement
Flore Lelièvre

Les personnes handicapées évoluent en effet souvent dans des structures parallèles, et travaillent, quand elles le peuvent, la plupart du temps dans des Esat (Etablissement et service d’aide par le travail). Un milieu plus protégé, mais parfois subi, et une vie en parallèle du reste de la société. "A moins d’avoir quelqu’un de notre entourage qui est handicapé, on ne les voit pas dans la vie de tous les jours", constate Flore. "Pourtant,  si certaines personnes sont très bien en milieu protégé, d’autres aspirent à travailler au cœur de la société, cela les tire vers le haut. Et elles ont aussi tellement de choses à nous apporter. On veut aussi aider la société à aller à la rencontre de ces personnes extra-ordinaires".

Et l’idée de Flore est que cette intégration, ce mélange des genres, puisse passer par le milieu professionnel. D’où ce projet de restaurant. Au Reflet, tout a été pensé, conçu, pour que les salariés – six employés trisomiques encadrés par un gérant et un cuisiner – se sentent bien, s’épanouissent, trouvent leur repères. "Il a fallu tout remettre à plat, l’architecture, l’aménagement, repenser tout le fonctionnement du restaurant", souligne Flore. De grands chamboulements, qui passent parfois par de menus détails. 

On veut valoriser nos employés, qu'ils se sentent bien
Flore Lelièvre

Ainsi, à la cuisine, qui sera ouverte pour que les univers se mélangent, vont être installés des postes de travail assis, pour que les employés ne se fatiguent pas. La salle sera divisée en zones colorées, pour faciliter la communication avec la cuisine. La carte a, elle, été ultra simplifiée : trois choix d’entrée, de plats et de desserts. Ce qui tombe bien, car le restaurant veut travailler à base de produits frais, en circuits courts. Pour la prise de commande, il a fallu régler un problème : les employés ne savent pas forcément lire ou écrire. Alors, des tables sur mesures ont été inventées, sur lesquelles seront installées des photos des plats, numérotés. "Ce sera au client de tamponner ses choix sur une fiche", révèle Flore. "Et au final, on résoud une problématique, en créant un moment ludique, d'échange avec le serveur et les convives." 

Les employés ne feront quant à eux pas plus d’un service par jour. Et une gamme de vaisselle a été conçue, pour être transportée plus facilement. "Les personnes trisomiques ont souvent une moins grande sensibilité dans les mains. Nous avons fait le test avec eux pour voir comment ils prenaient les plats et les assiettes. On a dégagé une empreinte de main globale, qu’on a imprimé sous les assiettes, ce qui apporte de l’assurance et de la stabilité." Au final, toutes ces adaptations, qui rendent service, sont aussi esthétiques. Et participent à l’identité du lieu. "Cela valorise nos employés, alors que  le milieu médical où ils évoluent souvent est plutôt aseptisé."

Le Reflet

Flore n’est pas naïve. Elle a aussi en tête les impératifs d’un commerce, un modèle économique qui tienne la route. "Comme la rentabilité sera sans doute moins importante qu’un restaurant classique, on a voulu enlever les charges les plus lourdes", détaille-t-elle. "Et comme le loyer est l'un des principaux postes de dépense, nous avons décidé de devenir propriétaire des murs." Une campagne de financement, menée entre avril et juillet dernier, a permis de lever 400.000 euros.

Car si la jeune femme est à l’initiative de ce projet fou, elle n’est pas toute seule. Elle a désormais deux associés. Il y a un an et demi, ils ont monté, avec toute une petite équipe, l'association Trinôme 44. Sa mission : développer des outils et lieux pour favoriser l’intégration des personnes en situation de handicap. Le Reflet est leur premier projet. "Il y en aura certainement d’autres", avance Flore. "On a la volonté de créer un modèle économique viable, et on a reçu des appels d’associations à l’autre bout de la France".

A Nantes en tout cas, les choses se précipitent. L’équipe signe pour les locaux mardi prochain, commence les travaux mercredi, et compte bien ouvrir avant Noël. L’équipe, elle, est en cours de recrutement. "L’objectif, à terme, est de leur proposer un CDI, qu’ils soient traités et payés comme tout le monde", note la jeune femme. "A travers un projet comme celui-ci, on peut changer le regard des gens sur le handicap". Et son frère, qui l’a inspiré, travaillera-t-il dedans ? Flore se marre : "Ah, tout le monde lui demande, mais il dit qu’il préfère aller manger en salle ! "

VIDÉO ARCHIVES - Ne dites pas "C'est une petite trisomique", l'émouvant message d'une maman sur sa fille Source : Les vidéos infos
Cette vidéo n'est plus disponible

Sibylle LAURENT

Tout
TF1 Info