Addiction aux écrans : et si vous faisiez découvrir à votre enfant les vertus de l'ennui ?

Publié le 29 août 2018 à 14h01

Source : JT 20h WE

ÉDUCATION - Face à la consommation intempestive des écrans, à l'intensité extrême qu'elle provoque et à la dépendance qu'elle peut générer chez les enfants, la question se pose : et si l'ennui était plus que jamais nécessaire ?

On ne compte plus les articles alarmants expliquant que les tablettes et les smartphones se révèlent des drogues dures pour les enfants, soutenant qu'ils sont de plus en plus nombreux à présenter des signes de dépendance aux écrans et que n’importe quel jeu en ligne a un effet sur la dopamine, une hormone liée au plaisir incitant à jouer toujours plus. 

Impossible de nier les ravages de cette addiction, surtout lorsque d’anciens employés de Facebook font des mea-culpa publics, à l’instar de Sean Parker, associé de Mark Zuckerberg qui a déclaré le 17 novembre dernier : "Nous avons exploité consciemment la vulnérabilité de la psychologie humaine." Mais existe-t-il des remèdes pour éviter que les enfants des années 2010 ne deviennent des zombies vulnérables à cette batterie de symptômes ? Que faire pour en finir avec l'irritabilité, voire les actes de violences quand on leur éteint téléphone ou jeu vidéo ? Et si, au fond, c'était l'apprentissage de l'ennui qui leur permettait d'échapper à tous ces maux ? 

"Tout dépend la définition que vous donnez de l’ennui, assure le psychologue Jean-Luc Aubert. Si c’est un ennui de la déprime, c’est affreux. En revanche, l’ennui où le parent ne sollicite pas sciemment l’attention de l’enfant, effectivement, c’est de l’ennui positif. C’est à l’enfant de se créer un imaginaire dans la rêverie. S’il reste peu inactif, il va se trouver une activité à faire avec une feuille, un crayon. Et alors l’enfant deviendra créatif."

Une ouverture à l'intériorité

De l’ennui positif pour les enfants, certes, mais aussi pour les parents qui n’en peuvent plus d’être des machines à divertir leur progéniture. "Ce besoin de solitude chez l’enfant, bon nombre de parents en rêvent aussi, souligne Alain Sotto, psychopédagogue et neuropédagogue. Les parents veulent que leur enfant s’amuse tout seul, qu’il ait des instants à lui. Mais ce n’est pas le cas de tous. On en connaît autour de nous qui gavent leur enfant d’activités pour ne pas lui laisser de répit. En résultent des enfants hyperactifs, guère tentés de s’isoler et de prendre un livre."

Il ne faut pas non plus culpabiliser face à l’ennui éprouvé par son enfant, au contraire ! C’est dans cette période-là qu’il peut se retrouver avec lui-même. Un ennui qui ne rime pas avec mélancolie morbide mais avec initiation au discours intérieur : "L’enfant va alors se dire : tiens, qu’est-ce que je peux faire ? Qu’est-ce que je vais regarder ? Cela va l’inciter à nouer le dialogue avec l’autre, aussi, assure Alain Sotto. De ces questionnements, une mobilité mentale peut émerger. Si on est tout le temps en train de mettre l’enfant en 'perception', il est en suractivité."

En d’autres termes, l’ennui a cela d’intéressant qu’il ouvre à l’intériorité. Et c’est aux parents d’en faciliter l’accès : "Les parents peuvent aussi conseiller l’enfant, lui dire ce qu’ils faisaient quand ils s’ennuyaient à son âge, ce qu’ils font en tant qu’adultes quand ils s’ennuient. Et montrer que s’y cachent toutes les ressources de l’imaginaire, à portée de main. Quand on lit, quand on se forme des mots en images et en sensations, on ne s’ennuie pas."

Quand une nouveauté technologique surgit dans notre quotidien, elle s’accompagne toujours d’une réflexion sur l’éducation.
Jean-Luc Aubert, psychologue

Toujours selon le psychopédagogue et neuropédagogue Alain Sotto, la baisse de la lecture a augmenté la sensation d’ennui chez l’enfant : "Les enfants lisent beaucoup moins, c’est même catastrophique, ils lisent mal et moins, s'insurge-t-il. La lecture est remplacée par les images, les smartphones, Youtube. 95% des 12-18 ans ont des smartphones alors que les adultes sont à 65% seulement." Mais ne pas vivre avec les évolutions technologiques n’est pas une solution satisfaisante non plus : "Bien sûr, il ne faut pas condamner la consommation des écrans. Le mieux, c’est d’accompagner l’enfant, de verbaliser ce qui se passe sur un écran. Mais quand l’enfant regarde plus d’une heure d’écrans, trop d’images se muent en agressivité."

Jean-Luc Aubert poursuit sur la même ligne : "Le problème, c’est que les smartphones et les tablettes sont des objets nouveaux, et comme toutes les nouveautés, ils sont très intrusifs. C’est le cas aussi pour les adultes qui n’arrivent plus à prendre leur distance par rapport à ces objets. On a connu le même phénomène avec la télévision dans les années 60-70. Quand une nouveauté technologique surgit dans notre quotidien, elle s’accompagne toujours d’une réflexion sur l’éducation. C’est juste une question de distance. Les smartphones et les tablettes trouveront leur place progressivement dans le foyer, même si aujourd’hui leur place se révèle excessive."

L’enfant est comme une éponge qui absorbe des images, avec une mémorisation nulle.
Alain Sotto, psychopédagogue et neuropédagogue

Ce qu'il faut retenir de tout ça ? C'est qu'un parent aura beau essayer de gaver son enfant de distractions visuelles, ce dernier aura de toute façon besoin d’ennui existentiel : "Avec le temps, l'enfant se rend compte par lui-même de cette nécessité introspective, confirme Alain Sotto. Face à ce trop-plein d’images, il saturera et comprendra tout seul qu’il n’a pas accès à son intériorité, qu’il ne peut pas réfléchir." 

L’une des raisons de cette remise en cause ? L’incapacité à se souvenir de ce que l’on a vu : "L’enfant est comme une éponge qui absorbe des images, avec une mémorisation nulle. C’est valable pour les enfants mais aussi pour les adultes. Interrogez ces derniers à la fin d’un journal télévisé, vous n’aurez rien du tout." Dans cette culture du règne de l’image, et quelque part du règne du vide, chacun a forcément besoin de faire le plein.  

Apprivoiser l'ennui pour développer l'imaginaire

Tout dépend en réalité de notre capacité à créer un imaginaire riche qui peut se développer hors des écrans. Facile à dire, difficile à faire. Aussi, comment peut-on donner la possibilité à un enfant d’apprivoiser son ennui ? Alain Sotto propose "une solution simple à laquelle les parents ne pensent pas toujours : créer une interactivité chez l’enfant face à l’environnement". "Les enfants, développe-t-il, aiment qu’on leur raconte des histoires mais ils aiment aussi se raconter des histoires. Mon conseil, c’est de les laisser jouer dans un jardin. Je vois mon petit-fils de 5 ans et ma petite-fille de 2 ans, ils ne s’y ennuient pas une seconde, ils creusent, font des monticules, observent des insectes, parfois les martyrisent. Ils passent plus de temps à inventer des activités qu’avec leurs jouets qu’ils ont en abondance. Les enfants les plus créatifs vont préférer, en observant leur environnement, voir ce qu’ils vont en tirer pour avoir du plaisir."

Quand on est jeune parent, on a la sagesse de mettre le smartphone dans la poche et de communiquer avec l’enfant.
Jean-Luc Aubert, psychologue spécialiste de l'enfant

Jean-Luc Aubert propose lui aussi de revenir à des choses simples. Il évoque "la simple promenade où l’on fait découvrir des choses à son enfant, lire un livre avec lui, regarder une émission en en discutant. Un autre moyen de communiquer, d’échanger en utilisant d’autres schémas neuronaux. Quand on est jeune parent, on a la sagesse de mettre le smartphone dans la poche et de communiquer avec l’enfant. L’essentiel, à mon sens, c’est de garder le dialogue, le contact."  Et si la communication était LA vraie solution à tous les discours alarmistes ? L'apprentissage, aussi. L'éducation, en somme. 


Romain LE VERN

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