POLÉMIQUE - "L'affaire Matzneff" a déjà fait couler beaucoup d'encre avant la publication le 2 janvier du "Consentement", le livre dans lequel Vanessa Springora raconte sa relation avec l'écrivain Gabriel Matzneff quand il avait 50 ans et elle 14. L'affaire relance les débats sur les mesures de protection légales des mineurs.
Le livre de Vanessa Springora intitulé "Le consentement" est publié jeudi 2 janvier. La directrice des éditions Julliard témoigne dans cet ouvrage de la relation qu'elle a subie, sous emprise psychologique, avec l'écrivain Gabriel Matzneff au milieu des années 80. Si la sortie de son ouvrage fait grand bruit dans le milieu littéraire comme dans la société civile, c'est parce que Vanessa Springora n'avait que 14 ans au moment des faits, alors que l'auteur en avait déjà 50.
Laure Dourgnon, juriste spécialiste des droits de l'enfant et du droit de la dignité, apporte pour LCI un éclairage juridique sur cette affaire qui pourrait être déterminante dans l'évolution des lois contre la pédocriminalité.
LCI : Trente ans plus tard, Gabriel Matzneff peut-il être inquiété pour les faits dénoncés par Vanessa Springora ?
Laure Dourgnon : La première difficulté sur cette question est que les faits ont été perpétrés sous l'empire de l'ancien Code pénal, abrogé en mars 1994. Si un procès démarrait aujourd'hui, les actes qu’il a commis avant 1994 seraient jugés en fonction des textes en vigueur à cette époque là, même si les lois ont changé depuis. Deux questions se posent ensuite : celle de la qualification des faits, et celle de la prescription. A supposer qu’il y ait une plainte, il faut s'attendre à des débats judiciaires sans fin sur ces deux points.
Sur la qualification pénale de ce qu'elle a subi, je préfère ne pas me prononcer. Cela va être le rôle des avocats d'aller chercher les textes applicables aux moments des faits, puis de mener des débats (très probablement horribles) sur son consentement. En revanche en 1986 - année où Matzneff et Springora se sont rencontrés - les prescriptions d’atteinte sexuelle, agression sexuelle ou viol sur mineurs étaient plus courtes. Ce qui induit que les faits, peu importe la façon dont ils seront qualifiés, sont probablement prescrits.
Mais Vanessa Springora ne semble pas être la seule victime. En tout état de cause, il m'apparaît nécessaire qu'il y ait une plainte, un procès pourra libérer la parole d'autres femmes ou hommes qui ont été victimes plus récemment, dans des affaires où l'absence de prescription ne fera aucun doute.
LCI : Les livres de Gabriel Matzneff peuvent-ils être considérés comme des aveux ?
Laure Dourgnon : Il faut faire attention au terme, dans le cadre de la justice, les "aveux" caractérisent ce qui est dit devant un tribunal. En revanche, ses écrits sont évidemment des éléments de preuve. L'alibi pseudo artistique n'enlève rien à cela. Dans le cadre d'un procès, il aurait donc à répondre à ces éléments de preuve. Il pourrait se défendre en disant que tout cela était imaginaire, que ses récits n'étaient formulés à la première personne que pour ajouter un style littéraire, etc. Mais cela semble peu probable qu'il fasse un démenti, après s'être vanté toute sa carrière dans les médias de la véracité de ces aventures.
LCI : Que dit la loi actuelle sur les rapports entre mineurs et adultes ?
Laure Dourgnon : On attendait de la loi du 3 août 2018 qu'elle pose clairement le principe de la majorité sexuelle, ce qu'elle n'a pas fait. Le texte en vigueur aujourd'hui (article 222-22-1 du CP) est très alambiqué. Il énonce que : "Lorsque les faits sont commis sur la personne d'un mineur de moins de 15 ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l'abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes." Si cela ne vaut pas pour une présomption d’absence d’innocence automatique, le texte doit cependant faciliter le travail des avocats pour prouver qu’un mineur de moins de 15 ans ayant eu des rapports avec un adulte doit être considéré comme victime de viol, car il n’a pas la maturité pour avoir un consentement éclairé. C’est regrettable que la loi française ne se positionne pas clairement pour énoncer le principe qu’on ne doit pas toucher à un enfant. Quant à la prescription du viol, elle est actuellement de 30 ans après la majorité, soit jusqu'à la veille du jour des 48 ans.
On est qu’au tout début du début des réflexions sur le sujet du consentement. C’est la raison pour laquelle les affaires dévoilées par Vanessa Springora ou par l’actrice Adèle Haenel sont extrêmement intéressantes et importantes. Je les vois comme des phénomènes sociologiques qui vont faire évoluer le droit.
LCI : D'autres actions en justice peuvent-elles être envisagées ?
Laure Dourgnon : Ce n’est pas qu’une histoire de pédocriminalité comme il y en a malheureusement plein, l’affaire Matzneff pose la question des complicités, notamment de la part des nombreux “relais” des agissements de l’auteur, que peuvent être par exemple les proches. Plus globalement dans le "cas Matzneff", on peut penser à la responsabilité civile des éditeurs, qui se prescrit par 20 ans (article 2226 du Code civil). La maison d'édition qui a notamment réédité Les moins de 16 ans en 2005, pourrait être attaquée en tant qu'incitation à la pédocriminalité.
Mais les médias et journaux l'ayant accueilli ou diffusé, ainsi que les membres du jury du concours Renaudot - lui ayant attribué le prix en 2013 - sont aussi potentiellement concernés. Cela suppose encore une fois que les victimes ou les associations portent plainte pour leur demander réparation. Tous ceux qui par leurs actions ont engagé leur responsabilité civile pourraient être traduits devant les juridictions civiles et avoir des condamnations financières.
Enfin, le tourisme sexuel à l'étranger, dont Gabriel Matzneff ne se cache pas, peut être poursuivi devant les juridictions françaises. Et je ne serais pas étonnée que ce soit cette incrimination qui l'envoie sous les verrous.
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