Comment expliquer la recrudescence des actes antisémites en France ?

par Amandine REBOURG Amandine Rebourg
Publié le 12 février 2019 à 21h30, mis à jour le 12 février 2019 à 21h48

Source : JT 13h Semaine

DÉCRYPTAGE - Le ministre de l'Intérieur a levé le voile mardi sur les chiffres de l'antisémitisme en France. Des chiffres qui ont explosé en 2018. D'où viennent ces actes et menaces ? Peut-on réellement mesurer leur ampleur ? LCI fait le point.

Les chiffres sont sans appel : les actes antisémites ont bondi de 74% en France en 2018. Dans le détail, ceux-ci sont passés de 311 en 2017 à 541 l'an passé, a précisé lundi le ministère de l'Intérieur. Soit, environ 1,5 par jour. Une hausse déjà subodorée en novembre dernier lorsqu'Edouard Philippe avait présenté des données, partielles à l'époque, en nette augmentation sur les neuf premiers mois de l'année. 

L'antisémitisme semblait pourtant en baisse depuis 2015, considérée comme une année "record". En 2016 en effet, les actes antisémites avaient largement reculé (-58%). Et la décrue s'était poursuivie en 2017 (-7%), avec 311 actes répertoriés, même si elle masquait une augmentation des actes violents visant les Juifs. De quoi interroger sur l'origine de ces actes et leur ampleur.

Les juifs sont l’une des minorités les mieux considérées en France depuis le début des années 2000
Le dernier rapport de la CNCDH

Dans son dernier rapport en date (2018) sur la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie, la CNCDH, commission consultative des Droits de l'Hommes, estime que "les Juifs sont l’une des minorités les mieux considérées en France depuis le début des années 2000". Une mise en garde toutefois : "La persistance de vieux préjugés antisémites et les violences dont ils sont victimes requièrent toutefois une extrême vigilance."

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Preuve que ces chiffres doivent être pris avec des pincettes, la CNCDH indique également que, si la tendance est à la baisse en ce qui concerne les actes racistes constatés, une progression inquiétante des actes les plus violents est à relever. Les Juifs "semblent particulièrement touchés" par ces derniers, souligne d'ailleurs la commission dans son rapport. En d'autres termes : si la communauté est bien insérée dans la société française et jouit d'une tolérance relativement grande, les actes la visant sont plus violents.

Déconstruire les stéréotypes

Pour Carole Reynaud-Paligot, ce que démontre l'enquête de la CNCDH est une évolution de l'antisémitisme sur le long terme depuis les années 90. "La tendance a été marquée par une forte baisse de l’antisémitisme en France", souligne-t-elle. "C’est une tendance longue dans la société. Mais cela n'empêche pas que les stéréotypes sont toujours présents et c’est inquiétant." Parmi eux, l'idée que les Juifs ont de l'argent, du pouvoir et qu'ils on infiltré les médias. Selon elle, il faut "expliquer et déconstruire ces stéréotypes dans une lutte globale contre le racisme et que cela soit porté par une politique ambitieuse. L'enseignement de la Shoah ne suffit pas". 

"Il faut aussi expliquer comment le racisme se construit dans une société donnée, avec les acteurs sociaux qui ont intérêt à raviver ces sentiments là", analyse-t'elle. "Il est nécessaire de continuer à punir les responsables de ces actes, mais cela doit surtout passer par l’éducation. Il faut expliquer le phénomène aux enfants."

L'extrême-droite comme foyer traditionnel

Mais d'où proviennent ces violences ? Carole Reynaud-Paligot, docteure de l'EHESS et enseignante à Sciences Po Paris explique à LCI que "le foyer traditionnel de ces actes antisémites est l'extrême droite avec des groupuscules minoritaires". Elle poursuit : "Ces idéologies sont porteuses de cet antisémitisme et c'est une poignée de ces gens-là, une minorité, qui agit (...) mais les actes antisémites sont difficiles à mesurer. Ils sont, la plupart du temps, sous-estimés."

"Il y a aussi des actes antisémites de la part des milieux radicalisés", ajoute la chercheuse. "Mais on n'a pas d'enquête d’envergure qui permettent de les mesurer. On ne sait pas ce que cela représente."

Un retour aux années 1930 ?

Doit-on pour autant faire un parallèle avec ce qu'il se passait dans les années 1930 ? Pas vraiment, d'après Carole Reynaud-Paligot. Elle s'explique : "À l'époque, une grande partie de l'opinion publique montrait de l'antisémitisme. Les études montrent qu'il y avait une très forte imprégnation dans la société. Aujourd'hui, l'antisémitisme est minoritaire dans la société française. Il se diffuse certes sur les réseaux sociaux plus facilement qu'avant, mais dans les années 30, c'est la presse qui était antisémite."

Toujours selon la CNCDH, l'antisémitisme n'apparaît d'ailleurs pas comme la discrimination la plus marquée en France. En 2018, le nombre d’actes antichrétiens s'est ainsi élevé à 1063 contre 1038 en 2017, soit une relative stabilité. Les actes antimusulmans ont, avec 100 faits recensés, atteint cette année leur plus bas niveau depuis 2010, même s'ils existent toujours, tandis que les faits à caractère raciste et xénophobe ont, eux, connu une baisse de 4,2% avec 496 actes en 2018, contre 518 l'année précédente.


Amandine REBOURG Amandine Rebourg

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