FOCUS – Après l’interdiction qui a frappé jeudi le spectacle de Dieudonné à Nantes, le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, souhaite porter l'offensive sur Internet, où l'humoriste diffuse ses vidéos. Une action difficile à mener.
Après la scène, Internet. Loin de se satisfaire de l'interdiction, jeudi, du spectacle de Dieudonné, à Nantes, prononcé par le Conseil d’Etat , le ministre de l’Intérieur a affirmé vouloir poursuivre son offensive conte l'humoriste très actif sur la Toile. "Le combat continue" contre "la parole raciste et antisémite" qui se diffuse sur Internet, a ainsi déclaré Manuel Valls vendredi sur France Inter. "Là où il y a une parole raciste, antisémite qui se diffuse, la justice doit pouvoir agir", a-t-il insisté.
Jeudi, la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, envisageait, sur BFM TV, la possibilité de mener une action auprès des plates-formes qui diffusent des vidéos de Dieudonné, comme Dailymotion ou Youtube. La ministre reconnaît cependant qu'"en ce qui concerne Youtube, c'est un site américain et donc les choses sont beaucoup plus compliquées."
Les plates-formes pas responsables a priori du contenu diffusé par les internautes
Une complexité qui n'a pas non plus échappé à son collègue de la place Beauvau. "Nous ne pouvons laisser se diffuser cette parole. Il faut en discuter notamment avec les opérateurs. (...) mais sur le plan juridique les choses ne sont pas simples", a encore commenté vendredi Manuel Valls.
Dans les faits, les limites posées en droit français à la liberté d'expression, qu'il s'agisse de propos diffamatoires, d'incitation à la haine, d'injures raciales, entre autres, s'appliquent à Internet comme au reste de la sphère publique. Les plates-formes de diffusion et de partage de vidéos comme Youtube ou Dailymotion ont l'obligation de supprimer les contenus signalés comme contraires à la loi. Mais le statut d’hébergeur et non d'éditeur de ces sites, qui a été confirmé en 2009 par un arrêt de la Cour de cassation, décharge ces plates-formes de la responsabilité a priori du contenu mis en ligne par les internautes.
La dignité humaine comme motivation principale
Toutefois, la bataille peut se jouer sur un autre terrain juridique, comme le souligne Alain Bensoussan, avocat spécialisé dans les problématiques internet : "la décision du Conseil d’Etat est dans la lignée de l'article I de la Charte européenne des droits fondamentaux, qui protège la dignité des personnes". "On peut tout à fait envisager que même Youtube, qui est une société américaine, se soumette à une telle décision. Si les différences sont réelles entre les Etats-Unis et la France sur la liberté d'expression, les deux pays se rejoignent en revanche sur cette notion de protection de la dignité", ajoute Alain Bensoussan.
Actif sur la Toile, Dieudonné a notamment ouvert deux chaînes sur YouTube, qui revendiquent près de 243 500 abonnés pour l'une et déjà plus de 59 000 pour la seconde, une chaîne "de secours", précise l'humoriste qui l'a ouverte il y a seulement deux semaines. Sur sa dernière vidéo, postée il y a une semaine et qui affiche près de 3 millions de vues, YouTube a affiché un simple message préventif : "Le contenu suivant a été identifié par la communauté YouTube comme potentiellement offensant ou choquant. Il vous appartient de choisir de le visionner ou pas." L'humoriste continue donc de bénéficier sur la Toile d'un espace d'expression large et ce, même s'il a été condamné fin novembre en appel 28 000 euros d'amende pour diffamation, injure et provocation à la haine et à la discrimination raciale pour des propos tenus dans deux vidéos diffusées sur Internet.