A LA LOUPE - Le terroriste auteur de l'attentat de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, le 15 mars dernier s'en réclame : mais d'où vient la théorie du "grand remplacement" et que signifie-t-elle aujourd'hui ? Tour d'horizon de ses diverses ramifications.
Le terroriste de Christchurch en a fait le titre de son manifeste. Avant d'ouvrir le feu sur deux mosquées de Nouvelle-Zélande vendredi 15 mars et de faire cinquante victimes, Brenton Tarrant a pris soin de poster sur les réseaux sociaux un document de 74 pages, intitulé "Le Grand Remplacement". Une expression que vous avez peut-être déjà vu circuler ça et là. Mais d'où vient-elle, exactement ?
Il s'agit en fait d'une référence directe à l'extrême droite française. Car c'est bien en France qu'a été popularisée la théorie du "grand remplacement". L'écrivain nationaliste Renaud Camus en est ainsi souvent présenté comme l'inventeur, dans son ouvrage "L'Abécédaire de l'in-nocence", publié en 2010. Un an plus tard, il dédie même à cette expression un livre entier, intitulé "Le Grand remplacement". En substance, cette théorie repose sur la peur d'un supposé remplacement des "peuples européens", blancs, par des "immigrés extra-européens", non-blancs et en majorité musulmans. Anaïs Voy-Gillis, doctorante à l'Institut Français de géopolitique, précise cette définition auprès de LCI, en décrivant une expression fondée sur "la peur d'une mise en danger culturelle et civilisationnelle".
Des occurrences avant 2010 ?
Rapidement après l'attentat de Christchurch, Renaud Camus, condamné en 2014 pour provocation à la haine contre les musulmans, s'est désolidarisé de cet acte, dénonçant des attaques "épouvantables, criminelles, désastreuses et imbéciles". Mais le terroriste, lui, reprend l'armature exacte de cette théorie dans son manifeste, en précisant vouloir lutter, précisément, contre ce qu'il appelle "le génocide blanc".
La théorie du "grand remplacement", donc, si elle a été rendue accessible au grand public en 2010, n'a même pas encore une décennie d'existence derrière elle. Néanmoins, un article du Monde indique que l'expression pourrait trouver ses origines dans un passé plus lointain. Plus exactement, "à la fin du 19e siècle", sous la plume de l'écrivain Maurice Barrès, écrivain nationaliste et directeur de la revue La Cocarde. Sur ce point, les spécialistes de l'Histoire des droites extrêmes ne trouvent guère de consensus. Valérie Igounet, par exemple, indique à LCI que "certaines personnes ont cité cette théorie avant Camus mais c'est bien lui qui l'a popularisée. L'association de ces deux mots a fait mouche dans un contexte français particulier, et ce de manière très récente", ajoute cette historienne, spécialiste de l'histoire du négationnisme.
Une théorie, plusieurs piliers
Toujours est-il qu'aujourd'hui, la théorie du "grand remplacement" s'appuie sur plusieurs piliers. Valérie Igounet y voit "la xénophobie", dans le rejet de l'étranger non-blanc et non-caucasien, "une thèse démographique" selon laquelle une population venue "en masse" engendrerait de nombreux descendants et dépasserait, en nombre, les Français "de souche". Enfin, "l'aspect complotiste" n'est pas à négliger pour comprendre la théorie du "grand remplacement" : selon ses partisans, le pouvoir "mondialiste" serait complice d'un tel remplacement. Le terroriste de Christchurch assure avoir décidé de passer à l'acte lors d'un voyage en France pendant la précédente campagne électorale. Il décrit Emmanuel Macron comme "un ex-banquier d'affaire globaliste, capitaliste, égalitarien, sans croyances nationales". Il ajoute : "La victoire de l'internationaliste m'a plongé dans le désespoir".
De ce point de vue, on observe quelques similarités avec la théorie du "complot juif". Même si, aujourd'hui, la théorie du "grand remplacement" semble être "vidée de son antisémitisme", selon Valérie Igounet. L'historien Nicolas Lebourd, auteur d'un billet dans Mediapart, ne dit pas autre chose. Selon lui, cette théorie a pu s'appuyer sur des racines antisémites, pour mieux les transformer ensuite : "La thématique de la destruction de l'Europe par importation des immigrés africains va être le cœur d'une grande part des réflexions des extrêmes droites radicales : après 1945, en la disant oeuvre du complot juif, après le 11 septembre 2001 en en extrayant l'argumentaire antisémite pour le faire seulement mythe mobilisateur raciste et islamophobe", écrit-il ainsi.
Depuis 2010, cette expression connaît un succès dans sphères identitaires. Eric Zemmour, par exemple, écrit dans une chronique du Figaro, en 2016, à propos du "grand remplacement ": "Et si c'était tout simplement un projet ? Un objectif ? Une réalité en marche qu'on ne peut, qu'on ne veut arrêter." Valeurs Actuelles, en 2014, reprend l'expression sans guillemets, en l'associant à "la vérité des chiffres".
Au Front national, Jean-Marie Le Pen s'est approprié à plusieurs reprises cette théorie. Philippe Martel, membre du Rassemblement National et un temps chef de cabinet de Marine Le Pen , assurait sur Twitter en 2014 que le "grand remplacement" n'avait rien d'une théorie, mais relevait plutôt "d'un phénomène démographique".
Non,Aymeric #Caron ,le grand remplacement n'est pas une théorie,c'est un phénomène démographique. — Philippe Martel (@PhMartel) 5 octobre 2014
Quant à la patronne du Rassemblement national, elle préfère garder ses distances avec cette théorie et en rejeter l'aspect complotiste. Et de détailler, auprès du JDD, en 2014 : "Je pense de manière plus pragmatique que l'immigration est utilisée depuis trente ans par les grands milieux financiers pour peser à la baisse sur les salaires."
Reste que pour la doctorante Anaïs Voy-Gillis, cette théorie ne se circonscrit pas uniquement aux sphères identitaires et aux partis d'extrême droite, partout en Europe. "C'est une crainte de perte d'identité, de culture nationale, qu'on retrouve aussi dans une partie de la droite", précise-t-elle. Et ailleurs encore ? La chercheuse précise encore : "Les attentats de 2015 ont été une matérialisation du discours du danger." Et qui, donc, continue de prospérer.
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