LE SENS DES MOTS - La question de l'intentionnalité est centrale pour qualifier un viol aux yeux de la justice, mais elle est souvent contournée pour minimiser les faits. L'affaire du jeune Théo, pénétré par une matraque de policier, en est symptomatique.
Le 2 février dans la cité de la Rose-des-Vents, à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), Théo n’aurait pas subi un viol mais une pénétration "accidentelle". C’est en tout cas la stratégie de défense opérée par l’avocat du policier dont la matraque a été enfoncée dans l’anus du jeune homme, occasionnant une déchirure de dix centimètres au niveau du rectum, pendant son interpellation. "C’était un geste involontaire" a d’ailleurs rappelé jeudi, sur France Info, maître Gabet relayant la version de son client.
Bien que le policier en question ait été mis en examen pour "viol", contrairement à ses trois collègues poursuivis pour "violences volontaires", la question de l’intention de son geste demeure au cœur du débat. C’est elle, en réalité, qui permet d’appeler un chat, un chat. De nommer un "acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise", un viol. De différencier, in fine, un délit d’un crime. Eric Morain, avocat pénaliste inscrit au Barreau de Paris, nous rappelle justement : "De manière générale, ce qui caractérise un viol, c’est l’intention. On peut pénétrer involontairement, de la même manière qu’on peut tuer involontairement. C’est d’ailleurs ce qui distingue l’homicide involontaire du meurtre. Si on parle d’un viol, c’est forcément délibéré : cela veut dire que le juge d’instruction a estimé qu’il y a, derrière le geste, une intention."
"Un bug" dans la définition du viol
Rappelons-le donc : un "viol accidentel", aux yeux de la loi, ça n’existe pas. Pourtant, dans les premières conclusions de son enquête que nous révélions jeudi, la police des polices (IGPN) a pris soin de rejeter toute idée de "viol délibéré", une expression ressemblant fort à un pléonasme. Cette acrobatie sémantique, selon Muriel Salmona, médecin psychiatre et présidente de l’association "mémoire traumatique et victimologie", en dit long sur le traitement médiatique et juridique des faits de viols dans notre société. "On voit à travers cette affaire qu’il y a un bug dans la façon d’utiliser la définition du viol et de considérer l’enquête", nous explique-t-elle. "On trouve toujours une raison pour justifier le viol et pour dédouaner l’agresseur. Dans notre travail d’aide aux victimes, c’est une attitude que nous voyons tous les jours."
En résultent, selon elle, ces chiffres désormais connus de tous sur la très faible proportion de viols déclarés et punis par la justice. "En France, 1% des violeurs sont condamnés", rappelle-t-elle. "Parce que la notion d’intentionnalité dans le viol n’est pas assez large, 70% des plaintes pour viol venant d’adultes sont classées sans suite, et 60% des plaintes des mineurs. C’est la raison pour laquelle nous essayons de faire évoluer cette définition, de l’élargir, de façon à ce que soit pris en compte un faisceau d’indices sur le comportement du violeur présumé. Son attitude avant, pendant et après la pénétration est importante pour définir le geste."
"Une volonté d'humilier"
Dans le cas de Théo, selon Muriel Salmona, le contexte de l’interpellation n’a rien d’anodin pour le geste qui s’en est suivi. "Comment nier l’intention sexuelle dans ce viol présumé ?", demande-t-elle. "On peut suspecter une volonté d’humilier sexuellement la victime, un jeune homme, surtout si le geste est accompagné, comme le dit Théo, d’une insulte comme ‘salope’." Sur ce point, ce sera à l'enquête de déterminer les intentions du policier, notamment grâce à l'exploitation de la vidéo.
L’affaire Théo deviendra-t-elle suffisamment symptomatique pour aboutir à un élargissement de la loi ? Toute évolution est possible. Selon George Vigarello et son ouvrage Histoire du viol, on déterminait au 18e siècle la réalité d’un viol… si des témoins avaient entendu la victime crier.
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