"Balance ton stage" : ces trois étudiants veulent libérer la parole sur le sexisme en entreprise

par Léa LUCAS
Publié le 11 septembre 2020 à 16h07, mis à jour le 14 septembre 2020 à 17h45
Simon, Agathe et Camille, étudiants à l'EM Lyon, fondateurs de "Balance ton stage"

Simon, Agathe et Camille, étudiants à l'EM Lyon, fondateurs de "Balance ton stage"

Source : Elea Molmeret

MOBILISATION - Simon, Camille et Agathe (de g. à d.), étudiants à l'EM Lyon, ont lancé le mouvement "Balance ton stage". Après avoir reçu des centaines de témoignages, ils viennent de lancer un guide pédagogique pour lutter contre le sexisme en entreprise.

"Il s'est mis à quatre pattes devant moi et a essuyé ses lunettes avec ma jupe", "Tu as tes règles en ce moment ? Parce que tes seins sont beaucoup plus gros que d'habitude", "Pense à la planète, ne mets pas de clim et enlève ton t-shirt". Ces témoignages recueillis par Agathe, Camille et Simon, étudiants en troisième année à l'EM Lyon, ont été publiés sur leur compte Instagram Balance ton stage. Ces propos ont été envoyés par des stagiaires de toutes entreprises, victimes de sexisme. En quelques semaines seulement, des centaines de récits similaires ont afflué. "Nous en recevons quinze à vingt par jour depuis la création du compte fin juillet", relate Agathe, à LCI. 

"Notre initiative a pris une ampleur imprévisible, raconte Camille. Le projet est né d'une expérience personnelle vécue par les deux jeunes femmes qui réalisaient leur premier stage dans la même entreprise aux Etats-Unis. Témoins et victimes de sexisme ordinaire, elles veulent transformer ce mauvais souvenir en "quelque chose de positif", expliquent-elles. "C'était des remarques déplacées sur la vie intime, des discours stéréotypés dégradants sur la façon de travailler des femmes." Un jour, la parole de trop. Leur colère éclate à l'encontre du manager. 

Après être restées silencieuses plusieurs mois, elle alertent le service des stages de leur école et mènent une enquête auprès de leurs camarades. Les autres stagiaires rapportent des "faits semblables, à différents degrés." Les résultats des sondages lancés à leur promotion révèlent une tendance fréquente de sexisme en entreprise. Sur les 170 élèves interrogés : 23 % ont été victimes d'outrages sexuels, 43 % en ont été témoins. Cependant, une victime sur trois n'en a parlé à personne (y compris famille et amis). Aucune victime n'a porté plainte. Seuls 5% des faits sont remontés aux oreilles des enseignants.

Suite à ce constat préoccupant, elles lancent avec leur ami Simon, un guide pédagogique à destination des étudiants de leur établissement pour lutter contre le sexisme et le harcèlement en entreprise. Puis, élargissent cette initiative en dehors du cadre universitaire sur le réseau social Instagram. Leur compte Balance ton stage recense à ce jour plus de 5.300 abonnés. 

Pas de "name and shame" mais plutôt un "éveil de conscience"

Pas de "name and shame", c'est-à-dire dénoncer les entreprises en les citant, mais plutôt "enclencher un éveil de conscience", clarifient-elles. Donner de la visibilité au phénomène en libérant la parole et savoir comment réagir face à ces situations. "Parfois, les jeunes ne repèrent pas les limites de l'acceptable", explique Agathe. Avec leur Petit manuel du sexisme en entreprise de 30 pages, illustré par Elea Molmeret, les fondateurs du mouvement veulent donner des outils aux futurs stagiaires. "Il n'y a pas de profils types d'agresseurs ou d'entreprises mais il y a des comportements types à repérer" : remettre en question la légitimité des femmes, imposer des contacts physiques, commenter le physique, s'introduire dans la vie privée. 

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Après la prise de conscience, leurs objectifs :  informer l'école, mettre fin au stage de la stagiaire harcelée, informer la hiérarchie de l'entreprise pour que "l'agresseur" soit sanctionné, black-lister l'entreprise où le problème a été rencontré, pousser l'étudiant à porter plainte ou à se tourner vers l'annuaire d'associations spécialisées disponible dans le guide pédagogique, comme l'Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail, en mesure de l'accompagner dans des démarches juridiques. "Nous comptons les pousser à porter plainte, mais nous ne pouvons pas le faire à leur place, ni jouer le rôle de la justice, rappelle Agathe. Nous n'avons pas l'expertise juridique nécessaire." 

Agathe, Camille et Simon espèrent également qu'un budget de 10.000 euros sera débloqué par leur école pour mettre en place des formations de sensibilisation sur le sujet. Ce serait alors une première pour une grande école. "A terme, nous voudrions dupliquer ce modèle dans toutes les écoles d'études supérieures, terminent Agathe et Camille. Les étudiants sont potentiellement de futurs managers. Il faut les éduquer. Nous voulons obtenir un changement structurel.


Léa LUCAS

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