DÉCRYPTAGE - La polémique enfle dans l'affaire du stage de Sud Education 93, qui prévoit, notamment, d'organiser des ateliers "non-mixtes" réservés aux "enseignants racisés". Mais de quoi parle-t-on exactement ? Qu'est-ce que la non-mixité et à quoi sert-elle ? On fait le point.
Le ministre de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer a annoncé mardi qu'il allait porter plainte pour "diffamation" à l'encontre d'un syndicat, Sud Education 93, qui a prévu d'organiser mi-décembre des ateliers de formation destinés aux enseignants, dont deux se feront "en non-mixité". Et ce n'est pas la première fois que ces rassemblements font polémique.
En mai dernier, une polémique similaire avait éclaté à Paris autour d'un festival "afroféministe", qui prévoyait de réserver des espaces pour les femmes noires. La maire de Paris Anne Hidalgo avait alors condamné avec fermeté l'organisation de ce festival "interdit aux blancs", réclamant son interdiction. En 2016, des réunions féministes organisées à Nuit Debout, place de la République, avaient également fait débat. Mais en quoi consiste la non-mixité ? Depuis quand est-elle pratiquée ? A-t-elle fait ses preuves ? On fait le point.
C'est quoi le principe de non-mixité ?
Commençons par le commencement : qu'est-ce que le principe de non-mixité ? La non-mixité est "un outil politique utilisé depuis longtemps et qui permet de se retrouver entre personnes qui vivent la même réalité et de pouvoir en discuter sans avoir l'oppresseur en face", explique à LCI Rose Ndengue, chercheuse en histoire et science politique à l'université Paris Diderot.
Elle est régulièrement utilisée lors de rassemblements organisés par des mouvements militants féministes ou antiracistes, excluant de facto les autres groupes considérés comme dominants (les hommes, les Blancs...). Mais c'est aussi une pratique souvent critiquée - notamment par les instances de l'Etat - car considérée comme excluante pour certaines catégories de personnes, voire discriminante.
Qui est concerné ?
La non-mixité est majoritairement utilisée par des femmes, mais pas seulement. On peut aussi retrouver des rassemblements en non-mixité organisés par des personnes racisées (non-blanches) - d'origine asiatique, maghrébino-arabe, noire, rrom - par des personnes LGBTQ, et même par des membres de syndicats.
Les réunions en non-mixité peuvent aussi concerner des personnes à l’intersection de plusieurs discriminations, comme les femmes lesbiennes par exemple.
A quand remonte-t-elle ?
Il est difficile de dater la naissance du concept de non-mixité, qui a dû, finalement, exister tout au long de l'histoire. On peut toutefois affirmer que sa mise en perspective historique remonte aux années 1960, pendant la lutte des droits civiques aux Etats-Unis. Après deux ans de lutte mixte, plusieurs mouvements, comme les Black Panthers, ont décidé de créer des groupes réservés aux personnes noires. Des réunions nécessaires pour Christine Delphy, sociologue féministe et auteure de La non-mixité : une nécessité politique.
"Les 'Blancs' ne peuvent pas avoir les mêmes analyses sur la situation des 'Noirs' que les 'Noirs' eux-mêmes car ils n’en ont pas le vécu, a-t-elle assuré à LCI. Leurs analyses sont faites depuis un point qui ne comporte pas les expériences".
En France, le principe de non-mixité aurait émergé pendant les années 1970, avec le Mouvement de libération des femmes (MLF), influencé par les mouvements des droits civiques aux Etats-Unis. A ce moment-là, le MLF fait toutefois figure d'exception parmi les autres associations féministes. Il faudra attendre les années 1980 et 1990 pour que les mouvements militants, notamment féministes et antiracistes s'en emparent.
A quoi sert-elle ?
Pour Christine Delphy, la non-mixité a plusieurs vertus. Elle permet déjà aux opprimés de "partager leur expérience de discrimination et d'humiliation sans crainte d'être jugé" par les dominants. "Les dominants ont tendance à minimiser les constats des dominés en disant : 'oh mais vous exagérez, ce n'est pas comme ça' ou 'ce n'est pas partout, ce sont des exceptions'", regrette-t-elle. En d'autres termes, ces réunions existent pour que les personnes autorisées à y assister s'y expriment plus librement que sous le regard des personnes qui n'appartiennent pas ce groupe.
Plus concrètement, elle estime d'ailleurs que les réunions non-mixtes ont prouvé leur efficacité à travers leurs "analyses, beaucoup plus réelles, pointues". "Les gens qui ne souffrent pas d’une situation ne sont pas aussi habilités à l’analyser et à la comprendre que ceux qui en souffrent", assure-t-elle.
Et de s'exclamer : "Regardez cet incroyable déversoir d’accusations de harcèlement sexuel, ça n’aurait pas été possible si les femmes ne s’étaient pas réunies ensemble pour parler de ça. C’est la même chose pour le racisme et dans la lutte des ouvriers contre leurs patrons. C’est en se réunissant entre opprimés qu’on fait avancer la cause ".
Pourquoi est-elle critiquée ?
Dans son allocution devant l'Assemblée nationale mardi, le ministre de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer a bien résumé les critiques à l'encontre de la non-mixité : "On parle de 'non-mixité raciale', on parle de 'blanchité', on parle de 'racisé' : (...) les mots les plus épouvantables du vocabulaire politique sont utilisés au nom soi-disant de l'antiracisme alors qu'en fait ils véhiculent évidemment un racisme", a-t-il déclaré.
Un avis partagé par plusieurs associations antiracistes françaises comme la Ligue Internationale Contre le Racisme et l'Antisémitisme (Licra) et SOS Racisme. Mario Stasi, président de la Licra, a estimé auprès de LCI que ce stage représentait une "résurgence raciste qui vise à signer des groupes une identité victimaire. Au moment de la polémique sur le festival Nyansapo, que la maire de Paris Anne Hidalgo souhaitait faire interdire, certains internautes avaient même comparé cette pratique à "la ségrégation".
Pour Christine Delphy, "c'est un déni de la réalité". "Ce qui les gène, c’est qu’on puisse prouver que la discrimination vis-à-vis des personnes racisées est dans tous les domaines, estime-t-elle. Une société qui est dans le déni et la dénégation ne peut pas régler des problèmes qu’elle refuse de connaître". Et de conclure : "Le fait pour l'Etat de nier ces problèmes fait partie du racisme d’Etat".
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