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Burkini : la mesure votée dans les piscines de Grenoble peut-elle être annulée ?

Publié le 17 mai 2022 à 18h59
Eric Piolle pendant le vote sur le burkini, le 16 mai 2022

Eric Piolle pendant le vote sur le burkini, le 16 mai 2022

Source : JEFF PACHOUD / AFP

Dans les piscines municipales de Grenoble, le burkini est désormais autorisé.
La mesure, qui fait débat, va être contestée par le préfet de l’Isère devant le juge administratif.
Mais peut-elle être annulée ? Explications de notre partenaire, Les Surligneurs.

Réuni lundi 16 mai, le conseil municipal de Grenoble a pris un arrêté autorisant le port du burkini dans les piscines, ainsi que le topless qui n’était pas permis jusqu'ici pour les nageuses. C’est bien la première mesure qui fait polémique depuis, à droite comme à gauche. Le nouveau règlement intérieur des piscines de la ville doit entrer en vigueur "à compter du 1er juin 2022", d’après l’ordre du jour du conseil municipal. Mais pourra-t-il voir le jour ?

La laïcité et la neutralité à l'égard des usagers ?

Dans sa démarche, le maire Éric Piolle trouve cependant des soutiens, comme Nathalie Appéré, la maire de Rennes qui autorise le burkini dans sa ville depuis 2018, ou encore Julien Bayou, porte-parole d’EELV. Selon eux, le port du burkini ne va pas à l’encontre du principe de laïcité, mais trouve au contraire sa justification dans le respect de l'égalité. "La loi de 1905, qui reconnait la neutralité de l’État à l’égard de l’Église combinée au principe de neutralité des services publics, garantit l’égalité. La laïcité et la neutralité ne s’appliquent qu’aux agents : les usagères des services publics sont libres d’exercer leur culte et leur religion", a avancé Julien Bayou au micro de France Inter.

Des membres de l'association pro-burkini "Alliance Citoyenne", après l'annonce du vote en conseil municipal de Grenoble, le 16 mai 2022
Des membres de l'association pro-burkini "Alliance Citoyenne", après l'annonce du vote en conseil municipal de Grenoble, le 16 mai 2022 - JEFF PACHOUD / AFP

En effet, et à la différence des employés, les usagers des services publics "ne sont pas soumis à l’obligation de neutralité". Le ministère de la transformation et de la fonction publiques rappelle alors qu’"ils peuvent porter un signe d’appartenance religieuse dans les services publics, sous réserve de certaines limitations précises", comme "des nécessités du bon fonctionnement du service ou des impératifs d’ordre public, de sécurité, de santé ou d’hygiène".

C’est bien sur ces fameuses limitations que compte s’appuyer le préfet de l’Isère, pour contester la mesure si elle venait à être votée. Dans un communiqué, il estime que "cette délibération, dont l’objectif manifeste est de céder aux revendications communautaristes à visées religieuses, paraît contrevenir au principe de laïcité posé par la loi de 1905 ainsi qu’aux dispositions de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République". Contactée, la préfecture de l’Isère nous indique simplement que "le délibéré officiel est entre les mains du service juridique, qui se charge de l'étudier". Mardi, une précision a cependant été apportée par Gérald Darmanin : "J'ai donné instruction au préfet de déférer en 'déféré laïcité' la délibération permettant le port du 'Bukini', et le cas échéant, d'en demander le retrait". 

Ce type de recours, introduit par l'article 5 de la loi de 2021 contre le séparatisme, permet à un préfet de demander la suspension d'un acte d'une collectivité qui porterait "gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics". Concrètement, le déféré laïcité oblige le juge administratif à statuer dans les 48 heures et à suspendre l’acte s’il considère qu’il y a violation du principe de laïcité ou de neutralité. Ce que faisait déjà le référé libertés, rappelait alors le collectif des Surligneurs lorsque ce nouveau recours avait été évoqué en octobre 2020 par Emmanuel Macron.

Jean-Paul Markus, professeur à l’Université Paris-Saclay et directeur de la rédaction des Surligneurs, nous éclaire sur les motifs pouvant être invoqués par le préfet de l'Isère pour contester la mesure votée à Grenoble. "Le préfet semble se fonder sur un impératif d’ordre public", anticipe-t-il. "Or, cela parait difficile d’invoquer le principe de laïcité contre les usagers dès lors qu’ils ne font pas de prosélytisme. Et porter une tenue n’est pas considéré comme du prosélytisme." D’après le professeur de droit public, tout l’enjeu serait de "réussir à prouver que le port du burkini est une forme de prosélytisme" et qu’il "pose en soi un problème d’ordre public". Ce qui n’est pas considéré jusque-là par la jurisprudence. 

Et la loi votée en 2021 contre le séparatisme ne change rien, selon Jean-Paul Markus, qui rappelle la jurisprudence constante : "Le port d’un insigne religieux en soi n’est pas un trouble à l’ordre public. Il doit s’accompagner de comportements contraires à l’ordre public : le prosélytisme ou des incidents, comme il y en a eu en Corse". En effet, le port du burkini a été interdit une fois en 2016 sur l’île à la suite d’incidents sérieux, peut-on lire dans cet article des Surligneurs. Le tribunal administratif de Bastia avait alors validé l'arrêté en raison "des risques avérés d’atteinte à l’ordre public". Dans cette affaire, le collectif rappelait alors que "tout arrêté municipal sert un objectif de prévention des troubles à l’ordre public, et non à faire respecter des grands principes tels que la laïcité".

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Caroline QUEVRAIN

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