LINGUISTIQUE - Depuis près de dix ans, l'expression "jungle" est apparue dans notre vocabulaire pour décrire les campements de fortune où s'entassent les migrants. Mais au regard de la situation, la question se pose : cette expression est-elle raciste ? Eléments de réponse.
La "jungle" de Calais. Mais aussi la peur d’une "jungle" en Belgique. A l’écrit, le mot s’entoure la plupart du temps de guillemets. Mais à l’oral, la nuance n’existe pas. Lorsque le ministre de l’Intérieur belge, Jan Jambon, a justifié en février 2016 le rétablissement temporaire du contrôle aux frontières avec la France, il l'a justifié ainsi : "Nous ne voulons pas avoir une jungle comme à Calais sur notre côte". Mais à quoi fait-on exactement référence quand on utilise cette expression ? Comparons-nous, du coup, les migrants à des animaux ? Où doit-on plus y voir une métaphore pour désigner un espace social où la loi est celle du plus fort ? L’expression est désormais largement utilisée dans notre vocabulaire, avec ou sans précaution, par les médias, les politiques et plus largement la société pour désigner le plus grand bidonville de France. A tort ou à raison ?
D’où vient ce mot ?
Originellement, le substantif "jungle" est la transposition littérale de l’anglais "jungle", qui désigne une végétation dense que l’on trouve dans les pays tropicaux. Le mot anglais a lui-même été inspiré du terme hindou "jangal" et de l’adjectif sanskrit "jangala" qui signifie "aride". Il y a donc eu un glissement de sens d’une zone inhabitée désertique vers celui d’une végétation dense où la forêt ne laisse pas passer la lumière, impénétrable. Les migrants de Calais ont eux-mêmes recours au terme de "jungle". "Mais ils l'utilisent en anglais, et dans cette langue le terme est beaucoup moins péjoratif. Il signifie d’avantage le lieu géographique qu’une organisation sociale", avance auprès de metronews un responsable de Médecins du Monde présent dans le bidonville.
A quoi renvoie le terme de "jungle" ?
Par extension, la "jungle" est aussi en Français l’endroit où la loi qui prime est celle du plus fort. "Le cerveau fonctionne par métaphore et par la mémoire de souvenirs anciens", nous explique Vanessa Biard, membre de l’institut de sémantique générale (ISG). Selon elle, la définition du mot dépend de qui l’utilise et découle d’une "réaction émotionnelle correspondant à une culture, une histoire commune et de sa propre expérience". Autrement dit, la notion discriminatoire ou raciste supposée de l’utilisation du mot "jungle" varierait selon les personnes qui l'utilisent.
Comment les médias emploient l’expression ?
L’expression "jungle de Calais" est utilisée indifféremment avec ou sans guillemet par les sites d’actualité. De Valeurs actuelles à Libération, sans distinction de ligne politique. Parfois, sans que l’on ne comprenne même pourquoi, des guillemets entourent le mot "jungle" dans le corps du texte, mais pas dans le titre.
Des poursuites judiciaires ?
A notre connaissance, aucune association n’a jamais poursuivi en justice des personnalités publiques ou des médias pour l’utilisation du mot "jungle". "C’est un mot ambigu. Et a minima inapproprié, qui a été récupéré par des mouvements d’extrême-droite", constate Philippe Genin, ancien bâtonnier, à l’initiative de la création d’un pôle anti-discrimination au barreau de Lyon. Selon lui, des poursuites judiciaires pourraient être envisagées lorsque le mot "jungle" est utilisé pour "assimiler des migrants à des animaux", voire même "lorsqu’il s’agit de comparer les conditions de vie des migrants à la notion de pourrissement intérieur et de décomposition". Ce qui pourrait être le cas pour certaines pages Facebook qui ont recours au terme de "jungle" au sens premier :
Pour Pierre Mairat, avocat du Mrap, le caractère raciste pourrait être établi dans le seul cas où le terme de "jungle" servirait à "comparer des migrants à des animaux de la jungle, comme des singes par exemple".
Que disent les associations et les autorités ?
Les associations utilisent le terme de "bidonville de Calais". "Même si le mot 'jungle' n’est pas forcément raciste pour tous ceux qui l’emploient, il est pour le moins inapproprié. Mais comme souvent le mot sans doute conçu pour blesser, s’est imposé. A nous de lui substituer le mot plus juste de 'bidonville' qui souligne la responsabilité de ceux qui n’en font pas assez pour les réfugiés", souligne-t-on à la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra).
En face, Bernard Cazeneuve, le ministre de l’Intérieur se refuse lui aussi à utiliser le mot de "jungle". Il lui préfère celui de "campement de la lande"."Les mots ont un sens. Le mot 'jungle' est apparu début 2000 quand les observateurs ont décrit la situation après le démantèlement de Sangate. Aujourd'hui, Calais n'est pas une jungle, les migrants sont mis à l'abri et protégés. Des solutions sont proposées," appuie auprès de metronews un proche conseiller de Bernard Cazeneuve. "On ne peut pas parler de jungle. Les migrants ne sont pas livrés à eux-mêmes. Cette facilité de langage n'apporte aucune solution mais est utilisée à des fins politiques", ajoute-t-il. Et pour prouver que les migrants ne sont pas abandonnés aux réseaux de passeurs, ce dernier cite les derniers chiffres du ministère de l'Intérieur : 251 filières de passeurs démantelées l'année dernière en France, dont 28 dans la ville de Calais.
Enfin, du côté du Défenseur des droits, qui a créé récemment une plateforme pour signaler les actes et propos à caractère racistes , on ne condamne pas l'emploi du terme "jungle". "Mais nous ne l'utilisons pas. Nous parlons d'un bidonville, ce qui pour nous est le terme le plus adapté", tranche une communicante de l'institution, se refusant à tout autre commentaire sur cette question. Pour rappel, la lutte contre le racisme est pourtant censé être l'un des cheval de bataille du Défenseur des droits.
[Article originellement publié le 24/02/2016]
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