Des centaines de chauffeurs de poids lourds ont pris d'assaut plusieurs villes canadiennes, en particulier Ottawa.Le mouvement proteste contre les restrictions sanitaires, mais a aussi été noyauté par des groupes d'extrême droite.S'il reste marginal, le "Convoi de la Liberté" pourrait toutefois faire bouger les lignes de la droite canadienne.
En un peu plus d'une semaine à peine, des centaines de routiers ont assiégé la capitale canadienne d'Ottawa, passant jour et nuit à klaxonner, et la manifestation a gagné d'autres villes, comme Toronto, Winnipeg ou Québec. À la genèse de ce "Convoi de la Liberté", des camionneurs non-vaccinés, issus d'une profession pourtant vaccinée à 90%, qui s'opposent à l'obligation vaccinale instaurée à la mi-janvier par le pays pour les conducteurs de poids-lourds qui passent la frontière avec les États-Unis. Avant de dériver vers une protestation plus globale contre les mesures sanitaires en général et le gouvernement de Justin Trudeau.
La grande majorité des protestataires, venus de l'Ouest canadien et en particulier de l'Alberta, n'est donc pas du tout vaccinée, ou pas complètement et tous versent, à différents niveaux, dans les théories complotistes. Des "groupes religieux intégristes", qui veulent organiser leurs offices librement et des "influenceurs New Age anti-médecine traditionnelle" sont venus grossir leurs rangs, explique Martin Geoffroy, professeur en sociologie au Cégep Edouard-Montpetit et directeur du Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation (Cefir).
"La cause a été pervertie par ailleurs par le parti d'extrême droite Maverick", pro-armes et sécessionniste, ancré dans la province d'Alberta également, ajoute le spécialiste. Le parti soutient Donald Trump et selon des médias canadiens, cette expédition a même été financée par des fonds venus de la droite et de l'extrême droite américaine. Ce n'est donc "pas un hasard", estime le sociologue, si l'ancien président des États-Unis a récemment apporté son soutien au mouvement et a qualifié le premier ministre canadien Justin Trudeau de "fou d'extrême gauche". Le leader d'un autre parti d'extrême droite, le Parti populaire du Canada, figure parmi les défenseurs de ces manifestations, tandis que certains protestataires ont affiché des croix gammées.
Une "conspi-fest" qui rassemble des "groupes très hétéroclites"
Avec ce noyau dur d'environ 250 militants d'extrême droite, ce mouvement recoupe ainsi un éventail de "groupes très hétéroclites avec des objectifs différents, mais qui se sont coalisés depuis le début de la pandémie dans l’opposition à la politique sanitaire", analyse Martin Geoffroy. Désormais, tous font front commun contre une autorité qu'ils défient : "certains veulent renverser le pouvoir politique, d’autres le pouvoir médical", résume le chercheur. "C’est très difficile de séparer la mouvance anti-vax de l’extrême droite", appuie Thomas Huchon, spécialiste des fake news et des théories complotistes.
Les manifestations prennent ainsi la forme d'une large "conspi-fest", ironise Martin Geoffroy, qui sous des apparences festives - musique, pétards, mobilisations en famille... - débouchent sur une véritable "guérilla urbaine".
"On a une vision un peu angélique du Canada, mais le complotisme a pris une ampleur folle dans le pays depuis plusieurs années grâce notamment à une porosité linguistique avec les mouvements américains, comme QANon, qui arrivent en France après avoir été traduits en français par les Canadiens", abonde Thomas Huchon. Le journaliste, qui co-anime sur LCI "anticomplot, l'émission" compare le mouvement à celui des manifestations anti-vax et anti-pass particulièrement marquées l'été dernier en France, qui regroupaient différentes catégories sociales quand les Gilets Jaunes étaient plutôt "précarisés". Pour preuve, le patron de Telsa Elon Musk, "l'un des hommes les plus riches et influents du monde", a soutenu les camionneurs, relève-t-il.
Tous ont pour point commun de s'informer sur les réseaux sociaux, là où le mouvement des camionneurs s'est aussi structuré. Ils agissent donc comme de "vrais catalyseurs de ces mouvements sociaux parallèles", ajoute le Thomas Huchon. Et désormais, via ces "ponts numériques", le "Convoi de la Liberté" pourrait inspirer des protestataires français, qui ambitionnent déjà de reproduire l'initiative.
Une adhésion limitée de la population mais une influence possible sur la droite canadienne
Mais ce convoi représente-t-il un poids et un danger politique ? Pour l'heure, il reste "relativement marginal" et a bien peu de chance d'infléchir les choix de Justin Trudeau. D'autant que son écho dans la population générale, vaccinée à plus de 80% pour deuxième dose et plus de 50% avec le rappel, grimpe à 32% d'après un récent sondage, mais risque d'aller en s'amenuisant au fil des semaines - bien que des cagnottes de soutien drainent des millions de dollars. "C'est dans l'ADN des Canadiens de privilégier la paix et d'être dociles", glisse Martin Geoffroy. D'autant qu'après un coup de vis sanitaire de plusieurs semaines, les vaccinés peuvent depuis le début de la semaine accéder à nouveau aux restaurants et cinémas, et risquent donc d'abandonner la contestation contre les mesures sanitaires.
D'un point de vue politique en revanche, "le siège a eu des effets relatifs" qui pourraient être durables, analyse le sociologue. Le chef du parti conservateur, principale opposition à Ottawa, plutôt porté au centre, a été désavoué la semaine passée tandis que son potentiel successeur et la présidente par intérim ont manifesté leur soutien au convoi. "Ce parti est en train de glisser vers le populisme à la Trump, on encourage des mouvements d'extrême-droite qui s’inscrivent en faux contre le jeu démocratique", déplore-t-il.
Quant à savoir si le mouvement va perdurer, difficile de le savoir. À Ottawa, la police peine à déloger le siège, "sûrement prise de court" selon le chercheur, et s'est engagée dans une "guerre d'usure", en tentant de confisquer les ravitaillements des camionneurs en essence notamment, pour les obliger à rebrousser chemin face au froid de l'hiver canadien. La partie est délicate, affirme le spécialiste : "C'est le jeu du chat et de la souris, un noyau dur de groupes d’extrême droite veut en découdre et rêve que la police les expulse pour se faire passer pour martyr."
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