INDEMNISATION - "L'acte 18" des Gilets jaunes a dégénéré sur les Champs Elysées ce 16 mars. Bilan : 91 commerçants ont été pris pour cibles. Parmi eux et pour la première fois depuis le début de la mobilisation, plusieurs kiosques à journaux, suscitant une vague d'indignation. Sur les réseaux sociaux, vous avez été nombreux à réagir et à vous interroger : qui va payer la facture ?
Depuis ce week-end, José Russo est dans tous les médias. À la télévision, dans les journaux ou à la radio, il fait part de sa colère après que le kiosque à journaux dans lequel il travaille depuis quelques mois sur les Champs-Elysées a été brûlé. "Je vois un amas de cendres, c'est dingue", confiait-il au micro de TF1 alors qu'il découvrait son "bureau". "Ça va coûter cher au patron, déjà que c'est difficile pour nous en ce moment." L'homme à la barbe rousse a déjà perdu un premier poste de kiosquier fin 2018 "à cause de la crise des Gilets jaunes". "S’attaquer à ce genre de trucs…", dit-il amèrement dans les colonnes du Parisien. "Ce sont des travailleurs qui sont là, pas des multimilliardaires."
Va dire ça au kiosquier!!! Est-ce que tu sais seulement combien il gagne? Quelle retraite il aura en travaillant 70h/semaine? Il n’a pas droit au chômage : il se retrouve sans rien!!! Un minimum de respect, c’est un être humain! Ça devrait être possible, même avec 2 neurones... — Pascal Bou (@pabou80) 16 mars 2019
Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes se sont émus de sa situation et ont souligné les conditions difficiles de ce métier. "10 heure par jour", "6 heures par semaine", selon MediaKiosk. Plusieurs cagnottes ont même vu le jour pour venir en aide à José ou pour aider plus largement les kiosquiers des Champs-Elysées dans leur ensemble. L'une d'entre elles avait déjà collecté 2300 euros ce lundi.
Car José n'est pas le seul impacté, loin de là. Sur les neuf kiosques présents sur cette la plus belle avenue du monde, cinq ont été entièrement brûlés et deux endommagés. "Il n'y en a que deux qui ont pu ouvrir ce matin", confirme Nelly Todde, vice-présidente du syndicat des kiosquiers.
Bonjour à tous, j'ai lancé une cagnotte pour aider José qui a perdu son Kiosque et son emploi suite aux violences des Gilets Jaunes. Merci de l'aider et de RT. https://t.co/afQl5I4fgL @nikosaliagas @lnzelany @EAssayag @roqueeva @jmaphatie @laurentguimier @AnneLeGall_ pic.twitter.com/SgxOktC49S — Olivier Sarrazin (@o_sarrazin) 17 mars 2019
Pour d'autres internautes, cette indignation n'a pas lieu d'être. "Le chef" réplique sur Twitter que José Russo touchera le chômage technique et soulignent que les kiosquiers ne sont pas propriétaires de leurs kiosques mais qu'ils appartiennent à l'entreprise JC-Decaux. Alors qui dit vrai ? Quels sont les dessous du métier de kiosquier, un statut méconnu et pourtant présent dans (presque) toutes les villes de France ?
« Le Kiosquier n’a pas pu me garder » 🤔 Il n’est donc pas propriétaire comme il l’a dit dans une précédemment, mais au chômage technique! Spoiler : Ces kiosques appartiennent à JC-Decaux, multinationale spécialiste de l’évasion fiscale! À samedi prochain! 👋🏻 #GiletsJaunes https://t.co/74Ip1EJBYG — Le Chef 👨🏻🍳 (@ChefMayerus) 18 mars 2019
À qui appartiennent les kiosques à journaux ?
Pour y répondre, nous nous sommes tournés en premier lieu vers le syndicat des kiosquiers, et là nous avons découvert que "le chef" était allé un peu vite en besogne. "On n'est pas propriétaire des kiosques", reconnait Nelly Todde, elle-même gérante d'un kiosque à journaux dans le quartier Saint-Germain de Paris. "On n'a même pas de fonds de commerce." Mais ces structures n'appartiennent pas non plus à JC-Decaux, n°1 mondial de la communication extérieure.
Elles sont en réalité la propriété de la ville de Paris qui a décidé de déléguer la gestion à la société Mediakiosk, une filiale de JC-Decaux. Un contrat de délégation de service public en somme. Montant d'une structure, selon les services municipaux : entre 100 et 120.000 euros selon la taille et le modèle.
Manque de bol, la Ville était justement en train d'effectuer une opération de rénovation dans toute la capitale. Un kiosque flambant neuf fait ainsi partie du lot des structures parties en fumée, regrette Olivia Polski. L'adjointe au Commerce, à l'artisanat et aux professions libérales et indépendantes assure cependant que tous les kiosques endommagés seront remplacés dans les plus brefs délais pour limiter le manque à gagner des kiosquiers. "D'ici la semaine prochaine" exactement, car "il ne suffit pas de nettoyer et remplacer, il faut également refaire le branchement électrique qui là dépend d'Enedis", explique-t-elle.
Le souci, c'est que les nouveaux kiosques ne sont pas tous prêts. En attendant, Mediakiosk va donc ressortir d'anciennes structures, un vrai micmac.
Et qui va payer la facture pour tout ça ? "On a évidemment des assurances", détaille Me Polski, "mais il faut se rendre compte que le coût des dégradations sur les Champs-Elysées est énorme". Et que ce soit pour les kiosques ou pour tout autre mobilier public dont la ville est propriétaire, au final c'est bien le contribuable qui paye. Le chiffre de 15 millions d'euros circulait jusqu'à ce week-end. "Ah non", a réagi l'adjointe au maire à cette évocation. "Avec samedi dernier, ce sera beaucoup plus que ça".
Un manque à gagner certain pour les kiosquiers
Si les kiosquiers n'ont pas à payer pour les structures, cela ne les empêche pas d'avoir perdu beaucoup. Déjà les kiosques contenaient toute leur marchandise. "En tant que travailleur indépendant, on a obligation d'assurer la marchandise mais en attendant d'être indemnisés,, il faut continuer à payer" les sociétés de distribution de la Presse, nous indique Me Todde, faute de quoi "ils arrêtent net de nous fournir".
Ajoutez à cela le manque à gagner sur les journées "perdues". "La Préfecture leur a déjà demandé de fermer tous les samedis, or le samedi, c'est le plus gros chiffre d'affaires de la semaine - au minimum 2000 euros par kiosque" poursuit-t-elle. "Moi sur le boulevard Saint Germain, ils m'ont demandé de fermer deux samedis, je vais m'en remettre, mais eux, ils ont intérêt à avoir une bonne trésorerie". Et d'ajouter, comme une preuve de la situation extrêmement précaire de ces travailleurs indépendants : "Un des plus anciens kiosquiers de Paris a fait un malaise cardiaque en apprenant ce qui était arrivé à son kiosque, il est en soins intensifs."
Les kiosques sur les Champs-Elysées emploient également de 1 à 3 salarié(s), comme le fameux José Russo, qu'il faut bien payer, kiosque ouvert ou non. Michèle Petterlin-Brigaut nous explique se verser actuellement "un Smic" à cause de ces "samedis noirs", le même montant que ses trois salariés. Mais si le remplacement du kiosque tarde, elle devra se résigner "à les mettre au chômage technique". Une possibilité en cas de sinistre limitée à 1000 heures par salarié et qui permet aux salariés de toucher 70% de leur rémunération. "Ceux qui pensent que 'le chômage technique, c'est facile, on est payés'. Non", prévient la travailleuse indépendante. "Il faut en amont faire des papiers, il y a de la comptabilité à faire. Rien n'est facile."
Quelles aides pour les kiosquiers ?
Alors, au-delà des cagnottes créées spontanément, existe-t-il des aides pour leur venir en aide ? "Oui", répond la mairie. Anne Hidalgo "a annoncé une aide d'urgence", mais pour le moment aucune information n'est disponible sur son montant. Me Polsky tente de prouver qu'elle fait ce qu'elle peut : exonération de taxes pour les commerçants impactés en décembre ( à hauteur d'un million d'euros), et création d'un fonds d'aide (qui devrait être porté à 1,5 million d'euros au prochain Conseil de Paris).
Paris est résolument aux côtés des #kiosquiers victimes des casseurs. Avec @mediakiosk_ , nous mettons en place un dispositif d'urgence : les kiosques détruits sur les #ChampsElysees seront rouverts dès la semaine prochaine. — Anne Hidalgo (@Anne_Hidalgo) 18 mars 2019
Et la mairie soutient les kiosquiers même en dehors des sinistres. "Nous continuons à promouvoir les kiosques pour qu'il y ait encore de la presse à Paris", souligne Olivia Polsky. "L'idée c'est que les kiosquiers puissent arriver à minima à un Smic mensuel". Une aide, conditionnée au montant du chiffre d'affaires lié à la vente de la presse, est ainsi versé chaque année. Montant maximal : 8.500 euros par an. D'après la mairie , de 60 à 70% des kiosquiers touchent ces aides, signe que peu d'entre eux affichent des rentrées d'argent conséquentes.
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