REPORTAGE - Classes à 12 élèves en CP et CE1 : à Epinay-sur-Seine, la rentrée en petit comité fait l'unanimité

par Claire CAMBIER
Publié le 3 septembre 2018 à 16h50, mis à jour le 4 septembre 2018 à 3h11
REPORTAGE - Classes à 12 élèves en CP et CE1 : à Epinay-sur-Seine, la rentrée en petit comité fait l'unanimité
Source : Image d'illustration

RENTRÉE SCOLAIRE - Après avoir été lancé en CP en 2017, le dispositif des "classes à 12" est élargi cette année aux CE1 des écoles d'éducation prioritaire renforcée (REP+). LCI a suivi la rentrée de Moussa, Steven et Fatoumata dans une des écoles concernées, à Epinay-sur Seine (Seine-Saint-Denis).

Il est 8h10 et, déjà, une centaine d’élèves et leurs parents attendent devant le perron de l’école Jean-Jacques Rousseau à Epinay-sur-Seine (Seine-Saint-Denis). Dans dix minutes, les portes vont s’ouvrir, tout juste le temps de retrouver ses copains et ses copines et de découvrir sa nouvelle classe. 

Les listes sont placardées sur la porte de l’école. Pour certains, c’est la panique. "Je ne vois pas mon prénom" souffle, dépité, un jeune garçon. C’est que chaque année, il y a de nouveaux élèves, et le changement d’établissement n’est pas toujours fait à temps. Son cas sera vite résolu. Il y a aussi les crises de larmes. Pas toujours facile de quitter ses parents et de tourner la page des vacances. Heureusement, la majorité des enfants sont ravis de reprendre l'école. "Ah ça non, elle n'est pas du tout stressée", nous confie la maman de Holyness. "Elle est ravie, on aimerait que ça dure jusqu'au lycée", glisse-t-elle, amusée.

On fait la rentrée en musique. C'est du Bach, parce que c'est reposant.
Bruno Tosi, directeur de l'école Jean-Jacques Rousseau - Epinay-sur-Seine

"Ah non, les CP, c'est tout à l'heure, à 9 heures", explique le directeur à un père de famille. "Ben oui, si votre fils est déjà rentré, allez le chercher du coup." "Les CE1, oui c'est maintenant, du CE1 au CM2, les enfants peuvent retrouver leur classe dans la cour", poursuit M. Tosi. Steven se dépêche d'aller retrouver ses amis, avec qui il "n'(a) pas joué depuis des mois !". A peine entend-il la musique qui s'échappe d'une enceinte portative dans le hall d'entrée. "On fait la rentrée en musique", développe le directeur. "C'est du Bach, parce que c'est reposant."

Ça lui a permis de progresser très vite. En arrivant au CP, il ne parlait pas français !
La maman de Steven, originaire de Moldavie

Steven est en CE1 et, comme l'année dernière, cet élève profitera d'une classe à effectif réduit. Un dispositif mis en place il y un an pour les CP et élargi en cette rentrée aux CE1. Une bonne chose pour sa maman. "Ça lui a permis de progresser très vite", explique-t-elle. "En arrivant au CP, il ne parlait pas français !" La famille a en effet quitté la Moldavie pour s'installer en France il y a un peu plus d'un an. Un cas assez fréquent dans cette école en éducation prioritaire renforcée ou REP+. 

"On a cinq primo-arrivants cette année", rapporte Bruno Tosi, des enfants à qui il faut apprendre les bases du français. Et puis, il y a également "beaucoup de familles où les parents ne sont pas francophones", rapporte Mme Mellet-Petiot, inspectrice de l'Education nationale dans la circonscription. "Le public est un public d’éducation prioritaire, donc ce sont des familles plus ou moins éloignées de la culture de l’école, plus ou moins en situation de précarité sociale et pécuniaire."

Le CP et le CE1, ce sont des classes qu’il faut vraiment cibler, c’est là où tous les apprentissages se mettent en place.
Bruno Tosi, directeur de l'école Jean-Jacques Rousseau - Epinay-sur-Seine

Le dédoublement des classes est forcément vu d'un bon œil. Le CP et le CE1, "ce sont des classes qu’il faut vraiment cibler, c’est là où tous les apprentissages se mettent en place", reconnaît le directeur. Nadia Taleb a d'ailleurs décidé de quitter son niveau habituel – le CE2 – pour enseigner dorénavant aux CE1. "Pour moi c’est une première. J’ai toujours eu une classe à 20 voire même plus donc avoir une classe à effectif réduit, j’aborde ça de manière très positive, c'est un luxe", souligne-t-elle d'un ton enjoué. Sa collègue a fait le même choix. "On pourra accorder plus de temps aux élèves", nous explique Asma Boutayeb. "Ça nous donne la possibilité d’approfondir certains sujets." 

Immersion dans une classe de CP à 12 élèvesSource : Sujet JT LCI
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Toutes deux ont travaillé ensemble pour préparer cette rentrée un peu particulière, et ont adapté leurs cours. "On peut mettre des choses plus pointues au niveau du programme dans la mesure où on a moins d’élèves", rapporte Me Taleb. "On aura davantage le temps d'expliquer les consignes. Et puis, avec ma collègue, ça nous permet de décloisonner. Par exemple, une enseignante peut prendre les élèves en difficulté, et l'autre ceux qui y arrivent mieux". Un moyen de faire évoluer les enfants à leur rythme. Toutes deux comptent bien aussi en profiter pour développer plus d'ateliers.

Quand on a une classe à 25, on n’a pas d’espace dans la salle, on n'a que les tables.
Nadia Taleb, professeure des écoles en CE1

Une petite nouvelle se range dans les rangs de la classe de Mme Boutayeb. "12 élèves, c'est le nombre institutionnel", reconnaît l'institutrice. "Après, il y a les nouveaux arrivés, là par exemple,  j'en suis finalement à 14." Les enfants regagnent peu à peu leur salle de classe. Mme Taleb n'a pas le temps de parler que Moussa fonce bille en tête dans la classe. "Attends Moussa, reviens, qu'est-ce qu'on doit faire avant de rentrer en classe ?" "Euh, demander", répond l'élève tout penaud. "Se ranger", renchérit un de ses camarades. "Oui mais surtout, il faut enlever…" "Ahh son manteau!", crient en cœur les enfants. 

Dans la classe, les élèves s'assoient par quatre sur des îlots de tables, face à un tableau numérique. Au mur sont déjà affichés les lettres de l'alphabet, les jours de la semaine, un poster des drapeaux du monde entier ou encore le tableau des "responsabilités" qui seront confiées aux élèves. Dans un coin, des petits fauteuils font face à une bibliothèque. "Au niveau de l’espace, c’est aussi très intéressant", avance l'enseignante. "Quand on a une classe à 25, on n’a pas d’espace dans la salle, on a que les tables. Là, vous avez vu, on a un coin détente où ils peuvent lire. On a une table à part pour faire des ateliers."

Mais madame, quand est-ce qu'on travaille ?
Un élève de CE1

Mais pour l'heure, il est temps de vérifier les fournitures scolaires – "on a le même cahier", s'enthousiasme Asma à sa table - et de parler des règles de vie. Au mur, trois cases de couleur – vert, orange et rouge – symbolisent le comportement des écoliers. Gare à celui qui verra son nom dans le rouge. Mais pour cela, il faut avoir fait une grosse bêtise. "Ce n'est pas la même chose si on frappe son camarade ou si on n'a pas fait son travail par exemple", explique la professeure. "Qu'est-ce qui est plus grave?", interroge-t-elle. Fatoumata secoue sa main en l'air : "ne pas faire son travail", réplique-t-elle du tac au tac. "Ah ben, j'ai bien fait de poser la question", s'amuse Mme Taleb.

"Mais madame, quand est-ce qu'on travaille ?", s'étonne un peu plus tard un zélé. Si la rentrée est un jour un peu particulier, bientôt viendront les dictées quotidiennes. "Je le faisais déjà", prévient Nadia Taleb. "Mais là, on va faire beaucoup plus de productions écrites dans la mesure où on n’a pas 25 corrections à faire." 

Des classes de 12 ou des classes à deux professeurs

Un étage au-dessus, M. Gaudin et Mme Gelvez ont choisi de conserver une classe de 24 élèves pour travailler à deux. "Ce que je trouve intéressant dans le fait de travailler à deux, c’est qu’on va vraiment avoir le temps d’observer les élèves, on va pouvoir différencier un maximum", se réjouit le professeur. "Quand on est seul, on ne voit pas tout alors que là, pendant que l’un gère le groupe, l’autre peut circuler dans les rangs, observer des stratégies." "Et puis la notion d’échanges est forcément intéressante", renchérit sa collègue. 

Tous deux comptent se réunir tous les deux jours pour faire le point et préparer conjointement la suite des cours. Ils le savent, "il faut vouloir travailler ensemble, se connaître et avoir les mêmes exigences de travail sinon ça ne peut pas bien se passer." Frédéric Gaudin prend en exemple un binôme de deux enseignantes de CP, pourtant amies. "Ça s’est très mal passé parce qu’elles n’avaient pas les même exigences, les mêmes priorités." 

CP et CE1 à 12 : la clef du succès ?Source : JT 20h Semaine

On fera vraiment le bilan quand ces enfants rentreront en 6e
Bruno Tosi, directeur de l'école Jean-Jacques Rousseau - Epinay-sur-Seine

Après un an de pratique, enseignants, élèves et parents d'élèves saluent le dédoublement des classes. "Pour moi c'est une réussite", avance l'inspectrice de l'Éducation nationale. "Les retours ont été très positifs à tous les points de vue : du point de vue des enseignants qui voient une meilleure assimilation des acquis mais aussi des directeurs d'écoles qui estiment que ça amène de la sérénité dans les établissements." "Ça s’est vu, les élèves progressent très vite, c’est plus serein de travailler à 12 ou 14", abonde M. Tosi, même s'il reconnaît que certains élèves spécifiques auront toujours des difficultés "que ce soit à 24 ou à 12".

Pour ces cas spécifiques, Mme Gelvez regrette que les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased) ne soient pas accordés aux classes dédoublées. "Ils estiment que nous n’avons plus besoin d’aides extérieures du fait qu’on a des effectifs réduits, alors que ce n’est pas vrai. Un enfant en grande difficulté, c’est très bien qu’il soit dans une classe à 12 mais il lui faut toujours cette aide extérieure", regrette l'enseignante. "On nous a donné des choses, mais on nous en retire d’autres et ça, ça assombrit un peu le tableau."

Quant aux bienfaits à long terme, il faudra attendre quelques années pour le savoir. "On fera vraiment le bilan quand ces enfants rentreront en 6e", estime le directeur de l'école.


Claire CAMBIER

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