ON A LU - Deux chercheurs, Camille Alloing et Julien Pierre, publient "Le Web affectif", un essai dans lequel ils analysent comment nos émotions ou affects sont de plus en plus scrutés et utilisés par les grandes entreprises du web à des fins marchandes. Les deux auteurs nous expliquent.
Hervé au soleil sur son transat ? Trop beau ! On clique ! Sabine à l’apéro en bord de mer ? Like ! Smiley. Une photo de vacances ? Clic. Un article qui plait ? Clic, clic. Un témoignage émouvant ? Clic, clic, clic. Une pétition qui alarme ? Clic, partage, like. C’est devenu un réflexe, une manière d’exprimer ses impressions via la souris. De manière quasi impulsive. Et bien sachez-le, ce n’est pas anodin.
C’est ce que montrent deux chercheurs, Camille Alloing et Julien Pierre, qui dans "Le Web affectif", ont étudié comment nos émotions sont de plus en plus recherchées, scrutées, captées par les grands acteurs du web social et entreprises du numérique, Facebook, Twitter en tête. Avec un but : mieux nous connaître... et pouvoir mieux vendre ces données, mieux orienter leursstratégies.
La première alerte a lieu en 2014 : appuyés par Facebook, des chercheurs américains annoncent qu’ils ont manipulé le flux d'actualités de 700.000 utilisateurs, et ont désormais "la preuve à grande échelle que la contagion émotionnelle entre personnes est possible via un support textuel, et ce en l'absence d'expressions faciales et de signaux non verbaux". En clair, Facebook arrive, s’il le souhaite, à "manipuler l’humeur des internautes". Découvrir qu’une entreprise s’intéresse aux émotions de ses utilisateurs, et veut les analyser, et influencer, c’est nouveau. Hasard ou pas, quelques mois plus tard, Facebook sort ses "Facebook reactions", ces cinq petits smileys qui complètent le "like" sous les articles, - joie, peur, tristesse, dégout, colère-, censés représenter le panel des émotions humaines.
Tout comme Facebook propose aussi, avec les émoticônes via l'onglet "comment allez-vous", d'étaler ses humeurs sur le réseau. Twitter, de son côté, a lancé le "petit coeur" en plus du "retweet" qui permet de "liker" certaines publications.
Peut-on vraiment mesurer nos émotions ?
Autant de signaux qui ont poussé les deux chercheurs à analyser les discours, les représentations des grandes entreprises du web, des ingénieurs, des cellules marketing, mais aussi ce qui se voit moins, les recherches informatiques, les brevets, l’idéologie sous-jacente. "Aujourd’hui, Marc Zuckerberg ou les grands acteurs du web disent arriver à capter nos émotions", indique Camille Alloing. Sauf que dans les faits, ce n’est pas si exact. "Le code informatique ne permet pas de capter l’entièreté des réactions émotionnelles d’un être humain dont le spectre affectif est très large." Sauf que comme les entrepreneurs ont cette croyance, qu’ils développent les dispositifs en ce sens, "cela induit un phénomène performatif, et créé tout un business des émotions."
C’est comme ça que de plus en plus, les fonctionnalités développées par Facebook et Twitter permettent de cibler au mieux chaque internaute, d’affiner ses choix, ses humeurs, lui permettant toujours plus d’exprimer ses émotions. "Hashtag et tags donnent un sens à ce qui est partagé, les "trending topics" indiquent les sujets faisant l’actualité et sur lesquels porter son attention, la "timeline", où circulent toutes sortes de contenus, ludiques, intimes, publicitaires, boutons de partage permet de faire circuler des opinions ou des affects", résume Julien Pierre. Autant d'incitations constantes à partager leurs données personnelles, leurs avis et opinions, en ligne.
Un business autour de nos émotions
Mais pourquoi se focaliser autant sur nos émotions ? Parce que c’est ce qui marche. Qui nous fait réagir. "On veut jouer sur l’impulsion des gens, les faire cliquer, sans réfléchir", estime le chercheur. "Et plus les messages auxquels nous sommes exposés contiennent de l’affectivité, plus ils nous font réagir, suscitent des commentaires et des clics. Exemple parlant, pendant les attentats, les messages les plus partagés sont des messages émotionnels, et pas du tout informatifs."
Et si Facebook ou Twitter développent toutes ces nouvelles fonctions, ce n’est pas (que) par altruisme. Ainsi, en 2016, quand Facebook lance ses "Facebook reactions", officiellement c'est pour faire plaisir à ses utilisateurs, leur permettre de partager leurs émotions, d'être en contact avec leurs famille et amis. "Mais la cellule marketing de Facebook a aussi vite envoyé des messages à ses clients en leur disant qu’ils étaient désormais capables d’enregistrer les réactions émotionnelles des clients", détaille Camille Alloing. Pas anodin. "Il y a véritablement une fonction business qui se développe derrière le discours avancé."
La recherche en pointe pour mieux percer notre cerveau
Un brevet cédé à Facebook en 2012 s’attache ainsi à déterminer la personnalité d’un usager à partir des élements écrits (analyse des commentaires, âge, genre, nombre d’amis, photo de profil, nombre de fois que l’usager accède au réseau...), et non textuels, avec les états affectifs indiqués. Tout ça permet de classer les individus selon des profils psychologiques. "Il y a une course en avant sidérante de ces entreprises, sur le sujet", explique Julien Pierre. "Facebook dédie un tiers de son revenu net d’exploitation à la recherche et au développement, débauche de grosses pointures pour piloter des programmes d’intelligence artificielle, finance des start-ups spécialisées sur le sujet", détaille-t-il. Avec un but : comprendre par quoi les consommateurs sont affectés, pour ajuster toujours plus finement les algorithmes et autres éléments utiles aux partenariats avec des annonceurs.
Les entreprises ne s’arrêtent pas au clic. Les gros mastodontes de la Silicon Valley, Microsoft, Apple, IBM, investissent dans la reconnaissance faciale des émotions. Des éditeurs de logiciels développent de nouvelles approches de mesure d’audience télé en se basant sur les sentiments des téléspectateurs. L’Apple Watch reconnaît si l'usager est triste ou heureux à partir de l’analyse de sa voix. Samsung a déposé dès 2003 un brevet visant à identifier les émotions à partir d’une montre.
Sommes-nous des ouvriers du clic ?
Et oui, derrière tout ça, se profile la récupération des données sensibles des individus, pour les toucher plus finement. "Savoir ce qui touche chacun, ce qui le met en mouvement, est une forme de pouvoir très spécifique", détaille Camille Alloing. "Cela permet de pouvoir lui faire faire ce que je veux, de pouvoir l'influer sur un homme politique, une marque, d’adresser un message commercial."
Les deux chercheurs voient là ce qu'ils appellent un "capitalisme affectif", du business fait à partir de nos émotions, reposant même sur un "prolétariat affectif", nous-mêmes. "Un individu sur un réseau social subit ces injonctions très fortes à se connaitre, à partager des expériences, et cela va se traduire par un clic", résume Camille Alloing. Et quand des milliards d’individus cliquent, cela a valeur de production quasi industrielle. "La valeur économique de Facebook naît du clic de chacun des individus qui vont faire un clic. A l’échelle globale, c’est 500 millions de clics à la journée par les deux milliards d’utilisateurs, ce qui se traduit par autant de chiffres d’affaires." Tout ça sans rémunération pour le "cliqueur".
Malgré les auteurs du "Web affectif" ne se veulent pas dans "un discours 100% alarmiste" : "C'est une économie dans laquelle on s’insère volontairement, il doit y avoir une nécessaire pédagogie, une éducation à nos émotions, aux médias, à savoir protéger nos données personnelles. "Cela devient dangereux quand tout le champ de la recherche sur le sujet est laissé à des acteurs privés." Ce qui est, cependant, déjà le cas...
>> "Le Web affectif, une économie numérique des émotions" de Camille Alloing, enseignant chercheur et maître de conférence en Sciences de l'information à l'Université de Poitiers et Julien Pierre, enseignant chercheur associé à l'Audencia Business School, INA éditions. 10 euros.
>> Pour lire les bonnes feuilles de l'ouvrage, c'est par ici.
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