Tout comprendre au mouvement de grève illimitée qui secoue les services d'urgences

par Amandine REBOURG
Publié le 3 juin 2019 à 17h20, mis à jour le 4 juin 2019 à 12h28
Tout comprendre au mouvement de grève illimitée qui secoue les services d'urgences

EN GREVE - Depuis la mi-mars, des services d'urgences des hôpitaux français sont en grève illimitée pour dénoncer leurs conditions de travail, le manque de personnel et demander la création d'un statut spécifique pour les urgentistes, assorti d'une prime. Un mouvement sans réel précédent en France. D'où vient cette colère des blouses blanches ? Quelle est la situation réelle ? LCI fait le point.

"On est à bout de souffle", "cette situation est intenable", "on est fatigué moralement et on a peur du drame"... En quelques mots, les personnels soignants des urgences résument leur état d'esprit. Depuis le début du mois de mars, des services d'urgence ont entamé une grève illimitée. Débuté après "l'agression de trop" contre un soignant de l'hôpital Saint-Antoine à Paris, ce mouvement a depuis essaimé dans une vingtaine de services d'urgences de l'AP-HP, ainsi qu'en régions. Il touche aujourd'hui "plus de 65 services d'urgences en France", selon les chiffres du collectif Inter-Urgences. 

L'assemblée générale de ce collectif a décidé d'une journée de mobilisation le 6 juin prochain et les fédérations santé des syndicats CGT, FO, SUD et CFE-CGC ont appelé à "une journée de mobilisation et de grève nationale le 11 juin" pour "élever le rapport de force" face au gouvernement pour obtenir une hausse des effectifs et des salaires et exiger l'ouverture de négociations sur les services d'urgences". Pourquoi nos soignants en ont-ils ras la blouse, au point de se mettre en grève de façon illimitée ? On vous explique. 

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Pourquoi ce mouvement de grève illimitée ?

Au départ, il y a "l'agression de trop" à l'hôpital Saint-Antoine à Paris, la dénonciation du manque de sécurité dans les locaux, le manque de considération et de reconnaissance salariale et, en filigrane, des conditions de travail jugées "insupportables". A l'arrivée, près de 65 services d'urgences sont en grève sur le territoire français et les revendications sont sensiblement les mêmes. Les soignants demandent une revalorisation salariale de 300 euros, la création d'un statut spécifique de travailleur aux urgences, davantage de sécurité dans les locaux et des effectifs plus nombreux pour encaisser la hausse de fréquentation de leurs services. 

A Lons-le-Saunier (Jura), "le personnel est à bout de souffle. Ils ont les yeux rouges et sont à deux doigts de craquer de nouveau. Ils tiennent à peine debout". A l'hôpital Saint-Antoine à Paris, les soignants sont "fatigués moralement" et ont "peur du drame". A Voiron, les personnels sont "en souffrance toute l’année". A Saint-Malo, on estime "avoir la vie des gens entre nos mains. Et si on est dans la rue, c'est parce qu'on n'en peut plus de travailler comme ça". Plusieurs établissements s'étaient mis en grève au cours de l'année passée, mais jamais un mouvement n'avait fédéré autant de services. Preuve d'un malaise très ancré chez les blouses blanches.  

Partout en France, les soignants dénoncent des personnels en sous-effectif et épuisés, la fermeture de lits, des patients non pris en charge durant des heures... Pour eux, la pénurie de lits et de soignants est structurelle et directement liée aux réductions budgétaires drastiques demandées par les précédents gouvernements. Alors ils demandent "la titularisation des contractuels", "une revalorisation salariale de 300 euros pour les spécificités du travail aux urgences" et notamment l'assurance de la sécurité des personnels pour les protéger contre les agressions. 

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Dans son dernier rapport, l'Observatoire national des violences en milieu de santé indique que les personnels représentent 81% des victimes des violences dans les hôpitaux français. La majorité d'entre elles sont des femmes, pour beaucoup infirmières ou aides-soignantes. Les patients représentent 71% des auteurs de ces violences. "Le nombre de signalements est en hausse, avec un nombre d’établissements participant au dispositif plus important et de façon significative", souligne le rapport. 

Autre rapport illustrant le malaise, celui du Sénat datant de 2017 : les urgences ont vu leur fréquentation doubler en vingt ans, avec près de 21 millions de passages enregistrés en 2016. Une hausse de fréquentation que les soignants eux-mêmes estiment "calquée sur les problèmes de dégradation sociale et économique de la société" mais qui ne s'est pas accompagnée par une augmentation des effectifs. Entre autres conséquences, un médecin sur deux présente au moins l'un des trois symptômes du syndrome d'épuisement professionnel (burn-out). Les plus touchés sont les urgentistes et les jeunes praticiens. C'est ce que révèle l'étude de deux psychiatres de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille, publiée en janvier 2019. 

Où en est-on ?

Dans les services, l'accueil des patients se fait, malgré le mouvement, les soignants étant assignés pour garantir la continuité des soins. Mais parfois, la tension est telle que des soignants en arrêt de travail sont réquisitionnés, chez eux, sur ordre du préfet. Comme ce fut le cas à Lons-le-Saunier, la semaine dernière. "Certains membres du personnels ont été amenés par la police. L'un d'entre eux est réquisitionné pour quatre nuits supplémentaires. Il a déjà travaillé deux nuits dans ces conditions. Ce soir, il ne se sent pas capable de continuer. Il est rentré chez lui en sachant que refuser une réquisition peut conduire a des sanctions pénales (...) Ils ont quand même réquisitionné des agents en arrêt maladie et en accident du travail lié à nos conditions de travail", raconte un soignant à LCI. 

Concernant les négociations, elles piétinent. A l'AP-HP, on a indiqué que désormais, celles-ci seront menées localement, "hôpital par hôpital", notamment pour "mettre en oeuvre sans tarder la répartition" des 61 postes mis sur la table. SUD-Santé reconnaît "la volonté de la direction générale de trouver des solutions", a cependant jugé que "les 61 postes immédiats proposés" n'étaient "pas une base suffisante". La direction a réitéré ses propositions "en matière de rémunération", à savoir une prime mensuelle de 65 euros net pour l'ensemble des agents des services d'urgences et un "forfait spécifique d'heures supplémentaires" pour les aides-soignants et les infirmières, de l'ordre de 250 euros net, qui pourrait être versé "dès la sortie de grève".

Pour le collectif Inter-Urgences, l'urgence est telle qu'il a adressé une lettre à Agnès Buzyn, ministre de la Santé et que le 6 juin prochain, ils défileront à Paris entre Montparnasse et l'adresse de leur ministère de tutelle. 

Que répond le ministère de la Santé ?

Le 27 mai dernier, Agnès Buzyn, a jeté quelques gouttes d'huile sur le feu. La ministre de la Santé a déclaré qu'en l'état actuel des choses, il n'y avait pas de "solution miracle" pour régler la tension au sein des services d'urgences, tant la situation est internationale. Avançant quelques pistes qui n'ont pas convaincu les personnels en grève, elle a également appelé les hôpitaux à "un effort considérable pour mieux organiser les urgences", afin de "dégager du temps d'urgentistes pour que ceux-ci se concentrent sur les urgences vitales", assurant "entendre évidemment leur fatigue et leur agacement". 

Parmi les pistes avancées par la ministre : "Former plus de médecins urgentistes pour occuper les postes vacants, organiser des entrées directes dans les hôpitaux pour les patients chroniques connus, créer des maisons médicales de garde adossées aux services d'urgences pour désengorger les urgences et permettre de traiter les petites urgences. Tout cela aujourd'hui est en train de se monter dans beaucoup de sites et permet de faciliter le travail des urgentistes". 

"Il y aura dans les années qui viennent 400 urgentistes par an formés qui vont se déployer sur le territoire, donc cette période de tension devrait s'apaiser dans les années qui viennent", a également fait valoir Agnès Buzyn. Reste maintenant à savoir si la tension s'apaisera en attendant leur arrivée. Rien n'est moins sûr. 


Amandine REBOURG

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