Après "Paris est une fête" et "Notre-Dame", "la Peste" : pourquoi chaque événement éprouvant nous fait redécouvrir un livre

par Sibylle LAURENT
Publié le 4 mars 2020 à 15h44
Après "Paris est une fête" et "Notre-Dame", "la Peste" : pourquoi chaque événement éprouvant nous fait redécouvrir un livre
Source : AFP

REFUGE - C'est une tendance depuis quelques temps : lors de grands événements comme les attentats de 2015, l'incendie de la cathédrale Notre-Dame ou, aujourd'hui, l'épidémie de coronavirus, des œuvres littéraires resurgissent. Comment l'expliquer ?

Est-ce un effet du confinement d'une partie du pays face au coronavirus ? Il paraît en tout cas qu’en Italie, tout le monde se met à lire. Et pas n’importe quels livres : "la Peste" d’Albert Camus, et "l’Aveuglement" de José Saramango. 

D’après le quotidien La Repubblica, qui s'en fait l'écho, ces deux livres, des classiques du genre, sont de retour dans les classements des ventes depuis l’arrivée du coronavirus en Italie. Le chef d’œuvre de Camus est ainsi passé en un mois de la 71e à la troisième place des ventes sur Libreria IBS, la plus grosse librairie italienne en ligne, et est désormais 14e sur Amazon, avec des ventes qui ont triplé. Et celui de Saramango, publié en 1995, atteint lui aussi les premières places des plateformes de vente en ligne : il figure dans les 10 plus livres vendus sur IBS, et à la… cinquième place sur Amazon, où il a enregistré une augmentation de 180% de ses ventes.

Littérature catastrophiste

Dans les deux cas, analyse le quotidien italien, joue la fascination d’un sujet d’actualité, un thème qui éveille la curiosité et l'envie d'aller redécouvrir des livres du passé… même si les scénarios sont tout sauf réconfortants. "L’Aveuglement" de Saramango raconte la maladie qui rend les habitants d'une ville mystérieuse aveugles et féroces. "La Peste", sorti en 1947, retrace l’histoire d’une peste qui touche Oran, en Algérie, et d'un médecin qui lutte pour sauver les malades et défendre la dignité humaine. 

Aussi en phase avec l'actualité, d'autres livres regagnent aussi de la vigueur : dans le registre des essais scientifiques, "Spillover", de David Quammen passe premier de sa catégorie sur Amazon et IBS. Le sous-titre de ce livre produit par le scientifique américain est parlant : "Infections animales et la prochaine pandémie humaine". Quelle plus belle résonance avec l'actualité...

La France, pour l’instant, ne semble pas encore avoir élu son livre champion. Le baromètre des ventes Amazon indique quelques tendances. Alors oui, si l’on cherche bien, en sociologie, les meilleures remontées du classement sont pour "Les lois de la nature humaine de Robert Greene" ou les "Prophéties" de Nostradamus. Il est vrai aussi que "La Peste", dans les meilleures ventes dans la catégorie Ouvrages littéraires, remonte des tréfonds du classement vers la 12e place. Mais, d’après Le Monde, qui a interrogé Gallimard, l’éditeur du prix Nobel 1957, mieux vaut être prudent dans le maniement des indicateurs : le titre reste de manière générale assez vendu, et 2020 marque aussi le 60e anniversaire de la mort d’Albert Camus.  

Reste que  dans le passé, de grandes événements ont marqué le renouveau de livres anciens : l’on se rappelle ainsi de "Paris est une fête", d’Ernest Hemingway, après les attentats terroristes de novembre 2015, ou encore de "Notre-Dame", de Victor Hugo, après l’incendie de la cathédrale en avril 2019, dont les ventes avaient été dopées. 

Se rassurer, chercher des explications

Sans doute ces "fictions allégoriques", qui décrivent la "ruine, l’éclatement ou la fuite du sens" font écho à des peurs réveillées par ces événements catastrophistes. C’est d’ailleurs le thème d’une thèse portée par l'universitaire Aurélie Palud, qui voit dans la "fiction d’épidémie" la recherche de sens face à une "crise" du monde contemporain. "Parce que les individus qui composent la communauté peinent soudain à partager le même espace, l’épidémie interroge notre capacité à vivre ensemble : elle dévoile la nature du lien social, exhibe les soubassements d’une société et met en question les valeurs qui la régissent", écrit-elle. "On comprend alors que l’épidémie, en tant qu’événement total, puisse convoquer dans son sillon tout un imaginaire ." Et donner envie au lecteur le besoin de s'y plonger, quand il est confronté à des événements qui lui semblent semblables, pour mieux les comprendre.

Dans un registre plus léger, le dernier jeu des internautes français, ces derniers temps, est de retrouver dans la littérature des récits qui avaient "prédit" cette épidémie. On retrouve ainsi un Astérix où sévissait déjà un légionnaire – masqué ! - s’appelant coronavirus.

D'autres ont déterré un livre américain qui aurait, en son temps, prédit ce qui allait nous arriver. Etrange, non ?

"Contagion" de Soderbergh remonte dans les classements

Cette recherche d'ouvrages qui parlent de notre réalité s'observe aussi avec le cinéma. Ainsi, le long métrage de Steven Soderbergh "Contagion", sorti en 2011, fait une remontée remarquée sur les plateformes vidéo... Il présente un scénario très similaire à celui de l'épisode du coronavirus. 

Dans une chronique sur France culture, la journaliste Mathilde Serrell s’interroge : "En pleine épidémie, pourquoi regarder un film de contagion : expérience masochiste ou visionnage cathartique ? Fascination du pire ou exorcisation des fantasmes ?" Elle avance une théorie : le film constitue avant tout une forme de remède. "Ce qui rend "Contagion" profondément pertinent aujourd’hui, c’est d'y voir l’impact du virus dans notre monde globalisé et dans un contexte médiatique de défiance et de rumeurs", écrit-elle. Le film sait notamment interroger de "manière complexe notre éthique face à ce genre de crise", et il en "ressort, l’air de rien, un conte philosophique dont la morale est 'rien ne se propage mieux que la peur'. Charge à nous face à l’universalisme de cette catastrophe, de relever le défi humaniste planétaire qu’elle nous lance."


Sibylle LAURENT

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