EDUCATION - Le ministre de l'Education nationale veut assurer la "continuité pédagogique" durant le confinement et souhaite que l'ensemble des élèves soient contactés pendant la période. Les enseignants craignent un risque de décrochage dans certaines familles.
"Continuité pédagogique" ou système D ? Alors que Jean-Michel Blanquer mise sur les ressources numériques du Centre national d'enseignement à distance (Cned) pour permettre aux enseignants de continuer à assurer leurs cours, avec des supports en ligne voire des visioconférences, ces derniers pointent, à la deuxième semaine de confinement, des difficultés à établir ou garder tout simplement le contact avec leurs élèves.
D'autant que le ministre de l'Education national avait recommandé, la semaine dernière, aux équipes pédagogiques de maintenir le lien avec les familles des enfants scolarisés en les appelant toutes une fois par semaine.
"Au total, je suis 120 élèves sur cinq classes, et à ce stade, il y a environ 40 d'entre eux pour lesquels j'ai zéro nouvelle", indiquait mercredi 25 mars à l'AFP Coline, une enseignante d'histoire-géographie dans un collège REP+ en Seine-Saint-Denis, en guise de premier bilan. "Cela ne signifie pas forcément qu'ils ont complètement décroché, car ils n'ont peut-être juste pas de matériel informatique", estimait-elle.
Equipement et implication, les deux "angles morts" de l'école à distance
Contacter tous les élèves de France : "Cela peut être fait", estime Sophie Vénétitay, secrétaire générale adjointe du Snes-FSU, syndicat du second degré, jointe jeudi 26 mars par LCI. "Nous connaissons bien les élèves et leurs familles." Mais, pointe l'enseignante, les situations peuvent être extrêmement variables. D'abord parce que de nombreux élèves "sont parfois plus à l'aise dans les échanges par emails que par téléphone".
Ensuite et surtout, parce qu'"il y a deux angles morts dans cet enseignement à distance. D'une part, des familles n'ont pas les moyens d'être contactées", faute de matériel informatique ou de connexion au domicile. D'autre part, parce que des élèves "reçoivent bien les messages mais ne répondent pas, et semblent un peu perdus chez eux". "Nous ne parvenons pas à avoir cette relation de proximité qu'il y a en classe", assure la représentante Snes-FSU.
Enfin, pour une classe de 30 à 35 élèves, les coups de fils représenteraient "cinq à sept appels par jours, ce qui est assez chronophage" dans une journée d'enseignement, y compris à distance.
"Il n'est pas possible de faire classe quand il n'y a aucune interaction"
Les difficultés concernent tout particulièrement les milieux populaires, estime Elisabeth Kutas, secrétaire départementale du Snuipp-FSU 75 (premier degré), auprès de LCI. "Dans ces familles, les parents sont souvent au travail, dans des activités maintenues car 'essentielles', et ne peuvent pas aider leurs enfants. Parfois, ils n'ont pas suffisamment de place au domicile et garder le contact est particulièrement difficile", estime la responsable syndicale. "Nous ne sommes pas dans du télétravail, mais dans une forme de travail à distance non réglementé. Loin des injonctions du ministère, chacun fait ce qu'il peut."
"J'ai créé un blog pour les élèves mais aucun ne s'est rendu dessus", témoigne auprès de LCI une enseignante en UPE2A, cursus dédié aux élèves non francophones. "Je leur ai envoyé des emails, des SMS... Finalement, je les ai tous appelés un par un lundi pour savoir ce qu'il se passait. Les parents ne parlent pas le français, ou bien n'ont pas de connexion chez eux à part le téléphone", détaille cette professeure qui s'occupe de neuf enfants et ne dispose, à son domicile, que d'un ordinateur fixe qui sert à toute la famille. "Pour beaucoup de collègues dans la même situation que moi, l'enseignement se fait par téléphone, ou par groupe WhatsApp." Une situation qui crée des inégalités entre les élèves. Dans la classe de son propre enfant, raconte cette enseignante, "le maître a créé un blog et un vrai travail peut être accompli".
"Nous avons été placés devant le fait accompli", constate Frédéric, un enseignant parisien de CM2, professeur dans un établissement du 9e. "Nous n'avons pas été formés au travail à distance. Nous avons seulement reçu des outils en ligne et une boîte mail qui ne fonctionnait toujours pas hier. J'utilise mon ordinateur personnel que je partage avec ma fille..." Pour Frédéric, il est moins question de poursuivre l'enseignement et d'assurer la "continuité pédagogique" que "d'occuper les enfants", en donnant des conseils aux parents. "Il n'est pas possible de faire classe quand il n'y a aucune interaction de classe, aucun débat", tranche ce professeur, pour qui les enfants ne reprendront véritablement le cours de leur année scolaire qu'à leur retour en classe.
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