FLUX TENDU – La grande distribution est pointée du doigt par plusieurs ordres de professions de santé, suspectée d'avoir constitué des stocks de masques alors que les soignants faisaient face à des pénuries. Les enseignes se défendent, tandis qu'une sénatrice demande qu'une commission d'enquête parlementaire soit mise en place.
Sujet de multiples crispations, la question des masques continue de susciter des débats. Les plus récents concernent la grande distribution, qui se prépare dès le 4 mai à proposer à prix coûtant des masques à ses clients. Et même des centaines de millions de masques : 225 millions annoncés par Carrefour, 170 millions de masques pour Leclerc, .... Une mise à disposition à grande échelle qui a fait réagir sept ordres de professionnels de santé dénonçant une "surenchère de l'indécence" et surpris de constater un tel approvisionnement alors que des personnels de santé ont fait face à une pénurie ces dernières semaines.
"Nous ne comprenons pas comment, d'un seul coup, la grande distribution a pu réunir un stock de 400 millions de masques. Où étaient-ils avant ?", interroge notamment Delphine Chadoutaud, présidente de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO) de l'Essonne. Dans ce contexte, les acteurs de la grande distribution sont suspectés d'avoir constitué des stocks lors des semaines passées, ce que réfutent aujourd'hui catégoriquement les représentants du secteur.
Un approvisionnement au jour le jour et non des stocks
La Fédération du commerce et de la distribution (FCD), surprise d'une telle polémique, a pris la parole par l'intermédiaire de son délégué général Jacques Creyssel. Celui-ci est formel, "il n'y a pas de stocks cachés". Et de poursuivre : "On voit bien qu'il y a des débats politiques. […] Les masques qui représentent effectivement une masse importante, ce sont des commandes. Tous les chiffres qui ont été donnés, ce sont des masques qui vont arriver progressivement." Une gestion à flux tendu, donc, et des ventes qui seront réalisées au fur et à mesure des approvisionnement.
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"C’est quoi le problème français ?"
Les centaines de millions de masques annoncés sont donc , affirme la grande distribution, les annonces de commandes et non de stocks. Jacques Creyssel souligne qu'actuellement chacune d'entre elles ne dispose que de stocks très réduits, quelques millions à peine. "Pas de faux procès !", s'agace-t-il. "Nous sommes dans une mission de service public qui est de faire en sorte que les Français puissent avoir accès à des masques. […] Ça fait dix jours qu'on nous a demandé de vendre des masques. Nous nous battons nuit et jour pour y arriver et se faire critiquer de cette façon-là, très franchement, on trouve ça extrêmement désagréable."
Même son de cloche chez Michel-Edouard Leclerc, dirigeant des magasins du même nom. Via un post sur Facebook, il a lui aussi pesté contre ces accusations de stocks cachés : "il faut arrêter le délire", a-t-il lancé. Répondant à un internaute, il a poursuivi son propos, toujours très remonté : "Dans tous les pays touchés par le Covid dans le monde, les supermarchés distribuent des masques ! C’est quoi le problème français ?"
Comment autant de masques ont ils été commandés ? "La grande distribution utilise ses réseaux d'approvisionnement", explique Rodolphe Bonasse, spécialiste du secteur sur l'antenne de LCI (voir la vidéo ci dessous).
Dans un communiqué, la FCD a enfin rappelé que "les enseignes de la grande distribution ne sont pas, et n’ont jamais été, en charge de l’achat et de la fourniture de masques pour les soignants". Ainsi, "leur attribuer les difficultés d’approvisionnement est donc faux et malhonnête", estime l'organisation. Elle assure que les enseignes du secteur "ont, par ailleurs, remis leurs stocks de masques FFP2 au monde de la santé, dès le début de la crise, et effectué de nombreux dons aux hôpitaux".
Bientôt une commission d'enquête parlementaire ?
Le coup de gueule poussé par les soignants a connu des échos au sein de la classe politique. Pour le ministre de la Santé, cette polémique n'a pas lieu d'être. "La grande distribution me dit disposer en pratique de l'équivalent de 5, voire 10 millions de masques", a-t-il indiqué ce samedi, niant lui aussi tout volonté de constituer des stocks dissimulés. Dans son communiqué où il annonçait la vente de masques dans les grandes enseignes le 4 mai, le ministère de l'Economie avait d'ailleurs précisé de son côté que les ventes monteront en puissance "après le 11 mai."
La sénatrice centriste Nathalie Delattre, membre du Mouvement radical, a toutefois appelé de ses vœux la constitution d'une commission d'enquête parlementaire via une lettre envoyée à Gerard Larcher. "Les Français sont en droit de se demander comment les grandes enseignes ont pu acheminer autant de masques en si peu de temps", écrit-elle notamment.
À LCI, l'élue confie qu'elle juge "légitimes" ces interrogations et comprend la réaction de professionnels de santé qui ont exprimé leur colère. Pour autant, il n'est pour elle question de "jeter la pierre sur la grande distribution", rappelant le courage de ses salariés, qui ont continué à travailler pour que les supermarchés puissent permettre aux Français de s'approvisionner. Avec la commission qu'elle demande aujourd'hui, Nathalie Delattre souhaite que l'on puisse analyser en détail la gestion de la situation, tant par le secteur privé que par la puissance publique. Une volonté partagée, semble-t-il, par d'autres parlementaires : "J'ai eu des appels de collègues, il y a une véritable envie d'avoir des réponses plus poussées sur ces questions", conclut-elle.