INTERVIEW - En déplacement chez un fabricant français de masques ce mardi, Emmanuel Macron a souligné la mobilisation exceptionnelle de notre industrie pour faire face aux besoins liés à la crise du Covid-19, plaidant pour le rapatriement d’usines dans l’Hexagone. Promesse envisageable ou utopique ? El Mouhoub Mouhoud, Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine, réagit pour LCI.
Emmanuel Macron a rendu visite ce mardi 31 mars à Kolmi-Hopen. Une entreprise de 102 salariés basée à Saint-Barthélémy-d’Anjou, dans l’agglomération d’Angers (Maine-et-Loire), en première ligne dans la lutte contre le coronavirus. En pleine polémique sur le manque de masques, le chef d'Etat a annoncé une dotation de 4 milliards d'euros afin de financer l’achat et la production de médicaments, masques et respirateurs et affirmé que "produire plus sur le sol national pour réduire la dépendance" est un enjeu stratégique. En d'autres termes, il veut "montrer la mobilisation de notre industrie" et plaide pour le "rapatriement d'usines dans l'Hexagone".
El Mouhoub Mouhoud, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine, spécialiste des relocalisations et auteur en particulier de "Mondialisation et délocalisation des entreprises" (La Découverte, 2017), livre ses impressions sur ce discours pour LCI.
Que penser de l'éloge de la souveraineté française fait par Emmanuel Macron ce mardi ?
El Mouhoub Mouhoud : Le discours d’Emmanuel Macron ressemble à une réponse politique à court terme qui a somme toute sa logique en période de crise. L’annonce d’une dotation de 4 milliards d'euros afin de financer l’achat et la production de médicaments, masques et respirateurs, risque bien de ne pas suffire à moyen terme. Il doit préciser par quelle manière il souhaite agir car la relocalisation ne se décrète pas verbalement : est-ce par la nationalisation d’une partie de l’industrie pharmaceutique, voire davantage ? Est-ce par l’élévation des barrières douanières pour freiner l’incitation à dilater les chaînes de valeur mondiales ? Si son option est d’établir des barrières protectionnistes pour rendre plus coûteuses les délocalisations et l’approvisionnement à l’étranger, cela ne peut se réaliser qu’au niveau européen. Proposera-t-il de nationaliser par prise de participation dans le capital des grandes firmes du secteur de la pharmacie ? S’il s’agit juste d’une incitation par les aides publiques financières, cela ne peut pas marcher, comme le montrent toutes les expériences passées.
C'est-à-dire ?
Entre 2005 et 2013, seulement 6% d’entreprises ayant relocalisé avaient utilisé les aides publiques.
Finalement, le chef de l’Etat donne la cible, mais pas encore le véhicule pour y aller. Comme à chaque période de crise, on peut craindre des effets d’annonce : on va produire en France, on va rapatrier les industries, on va déclarer que 'la mondialisation, c’est fini'… En outre, il faut aussi regarder ce qui va se passer dans les activités immatérielles, les services, y compris de haute valeur ajoutée, insensibles aux barrières douanières ou aux coûts de transport.
La crise provoquée par le coronavirus n’a rien à voir avec celle de 1929, ni celle des années 1930, ni celle de 2007-2008
El Mouhoub Mouhoud
Pour autant, jugez-vous envisageable une relocalisation à la lumière de la crise du coronavirus ?
La relocalisation existe déjà, elle est possible bien sûr, mais elle ne se décrète pas en réalité, sauf peut-être dans des secteurs stratégiques comme la pharmacie, à condition de subventionner éventuellement le différentiel de coût. Des secteurs manufacturiers de biens solides comme l’automobile le font d'ailleurs déjà, il n’y a pas d’obstacle technique à la robotisation. Jusqu’à présent, les laboratoires pharmaceutiques avaient tendance à minimiser les coûts de fabrication des molécules par la délocalisation, au risque de ruptures d’approvisionnement en cas de crise, en partie pour financer leurs dépenses de Recherche et développement. A court terme, ils ont tout intérêt à relocaliser car ils dépendent de peu de fournisseurs. Ils vont le faire par eux-mêmes, il y aura un surcoût pour les dépenses de santé, mais les groupes économiseront les problématiques d’approvisionnement. Reste un troisième type de secteur dans le manufacturier qui n’est pas automatisable comme l’habillement (les masques par exemple), tout simplement parce que les robots ne sont pas capables de manipuler les matières souples. La part du coût de main d’oeuvre dans l’assemblage étant d'environ 70%, il est plus intéressant pour eux de continuer la délocalisation.
Avons-nous déjà connu une crise semblable par le passé ?
La crise provoquée par le coronavirus n’a rien à voir avec celle de 1929, ni celle des années 1930, ni celle de 2007-2008. La propagation était alors progressive (quelques années) et l’arrêt n’avait pas été immédiat. La crise de 2008 a commencé par les subprimes puis elle s’est propagée dans le secteur réel en quelques mois. La chute de la croissance mondiale a davantage touché les pays développés, mais le choc a été amorti grâce à l’assistance de la demande dans les pays émergents comme la Chine et l’Inde, prenant le relais et tirant la croissance mondiale vers le haut. En 2020, un mur est dressé devant l’économie. C'est une crise simultanée et brutale qui touche tous les pays et tous les secteurs en même temps. En ce sens, c’est inédit.
Comment voyez-vous l'avenir ?
Dans l’hypothèse d’une fin proche à cette crise du coronavirus et à cet épisode brutal de blocage économique jamais vu dans l’histoire (sauf peut-être durant les deux guerres mondiales), si la demande mondiale reprend et en l’absence de politiques industrielles et de régulations des échanges et des technologies numériques, deux scénarios se profilent : une relocalisation de l’industrie qui va se poursuivre dans les secteurs déjà concernés, sans besoin d’aide publique. La délocalisation dans les matières souples se poursuivra mais, dans les services aux entreprises, les délocalisations vont augmenter considérablement, ce qui est déjà visible dans les banques ou les assurances. Comme 76% de nos emplois sont dans les services, le gros choc à venir ne concernera pas les industries mais les services aux entreprises et certains services aux ménages (distribution). Au total, dans l’hypothèse où la crise se termine dans un temps relativement proche, les choses peuvent bien repartir comme avant si l’on en reste aux effets d’annonce. La question est bien celle des politiques structurelles industrielles pour favoriser la reprise de l’activité productive en France par l’innovation dans les filières industrielles qui ressemblent, comparées à leurs homologues allemandes, à des raquettes de tennis.
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