Cours d'éducation morale et civique : "On ne sait jamais sur qui on peut tomber"

Publié le 22 octobre 2020 à 11h43, mis à jour le 26 octobre 2020 à 17h31
Un enseignant et des élèves en classe / Photo d'illustration
Un enseignant et des élèves en classe / Photo d'illustration - Source : iStock

TÉMOIGNAGE - Comment faire face aux questions des élèves sur la liberté d'expression ? Comment montrer les caricatures de "Charlie Hebdo" en classe ? C'est la mission d'Audrey, professeure dans un collège parisien, via les cours d'Education morale et civique.

Depuis la rentrée 2015, un nouvel enseignement a fait son apparition, de l'école primaire au lycée : l'Education morale et civique (EMC). Remplaçant l'Education civique, il doit permettre à n’importe quel professeur d'aborder des thèmes comme la laïcité, l'égalité femmes-hommes, les discriminations ou la liberté de la presse. C'est après avoir montré des caricatures de Mahomet dans le cadre de cette classe que Samuel Paty a été assassiné près de son collège de Conflans-Sainte-Honorine le 16 octobre.

Professeure dans un collège d'un quartier défavorisé de la capitale, Audrey* explique avoir "systématiquement" des questions et contestations au cours de ces heures passées à aborder les questions de la liberté de la presse, des caricatures, de Charlie Hebdo. "Je sais que lorsque j'aborde ces sujets, je vais avoir des élèves avec qui ça passe et d’autres non. Souvent, ce sont les meneurs, les grandes gueules, qui revendiquent leur appartenance à l'islam sans forcément le pratiquer. Ce ne sont pas des élèves qui vont à la mosquée et qui connaissent bien l’islam. Ce sont des adolescents qui revendiquent un islam identitaire, qui ont besoin d’appartenir à un groupe, de trouver des racines, de provoquer", nous explique Audrey.

"En discutant, on y arrive"

Pour autant, l'enseignante assure que cela ne gêne jamais la tenue des cours, et ne l'empêche jamais d'aller jusqu'au bout de son enseignement. "Ces élèves, je les ignore. Je les laisse dans leur désaccord pendant un certain temps, sans les forcer à faire le travail. La clé est de ne pas les rejeter, ne pas les mettre à part. Et au final, en discutant, on y arrive. Il faut parfois passer par les cours d'histoire, évoquer les Lumières, rappeler que la laïcité permet aux minorités de pratiquer leur culte, leur montrer que ce qui est vrai pour le croyant ne l'est pas forcément pour les autres. Mais ils finissent toujours par écouter, respecter l'école et le professeur", assure-t-elle. 

"Ce sont des heures de travail et d’échange. Ces discussions ne se font pas en une séance, mais en plusieurs, l’idéal étant de construire un parcours de plusieurs heures", explique la professeure d'histoire-géographie. "Il est donc primordial que l'Education nationale nous accorde du temps pour ces cours d’EMC, alors que l’enveloppe d’heures par établissements baisse régulièrement ces dernières années." D'autant plus qu'Audrey l'assure : en passant du temps sur ces sujets avec les élèves, les résultats sont positifs et encourageants.

"On ne sait jamais sur qui on peut tomber"

"Je suis absolument convaincue de ce que je fais. En classe les élèves peuvent nous poser des questions qu’ils ne peuvent pas poser à la maison. Chez eux ils sont assez seuls face à leurs doutes et leurs questionnements. C’est là qu’ils ont des chances d'aller chercher les réponses sur les réseaux sociaux. Et les adolescents sont hyper perméables à tout ce qu’on trouve sur internet. D’autant plus lorsqu'ils n’ont plus d’adultes en face pour échanger."

Après l'assassinat de Samuel Paty, Audrey a-t-elle peur de continuer à enseigner cette matière ? "Non, je n’ai d'ailleurs jamais eu peur. Mais j'ai pris conscience qu’on ne sait jamais sur qui on peut tomber, que rien ne m'assure qu'au cours de ma carrière je ne tomberai pas sur une famille qui réclamera ma tête. Je sais en revanche que d'autres collègues, parfois dans des quartiers plus difficiles, n'osent plus parler de liberté d'expression."

*Le prénom a été modifié.


Justine FAURE

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