BILAN - Sept mois après avoir expérimenté le confinement, les Français doivent de nouveau s'y résoudre depuis le 30 octobre, dans une forme toutefois moins stricte. Au printemps, et les mois qui ont suivi, les conséquences sur le moral et le mental avaient déjà été criantes.
C'est un aspect du confinement souvent relégué au second plan, voire au troisième, après l'impact sanitaire et économique. Pourtant, les répercussions sur le plan psychologique d'une telle mesure ne sont plus à démontrer depuis le printemps dernier. Angoisse, stress, détresse psychologique, isolement social… de nombreux témoignages et plusieurs études, françaises ou étrangères, ont en effet permis ces derniers mois de détailler des effets conséquents et durables sur la santé morale et mentale.
Alors qu'un "reconfinement adapté" est en vigueur depuis le vendredi 30 octobre, certains Français ne semblent pas tout à fait remis de l'expérience entamée en mars. Alors que cette première expérience était alors inédite à l'échelle du pays, dans un point-presse le 18 novembre, Jérôme Salomon, le Directeur général de la Santé, a prévenu d'une hausse des états dépressifs "encore plus marqué chez les personnes en situation financière très difficile, les personnes ayant des antécédents de troubles psychologiques, les inactifs, et les jeunes".
Un bond des troubles psychologiques dès mi-mars
Les états anxieux et dépressifs, ainsi que des troubles du sommeil restaient ainsi en août à des niveaux nettement supérieurs à la normale d'après le suivi initié par Santé publique France, nommé Coviprev. Rien à voir toutefois avec le bond des troubles psychologiques observé mi-mars lors de la première semaine de confinement. Dans le détail, la dépression était passée brutalement à 19,9% (contre environ 10% habituellement) avant de diminuer à la fin du confinement. Les troubles anxieux avait bondi de 15% habituellement à 26,7% tandis que les troubles du sommeil s'étaient maintenus à un niveau plus élevé que d'ordinaire et ce durant toute la durée du confinement et également après. La prévalence de ces troubles s'était par la suite stabilisée, tout en restant plus élevée qu'attendue.
Dans un bulletin épidémiologique daté du 7 mai, soit quelques jours avant le déconfinement, les chercheurs de l'agence de santé publique avaient détaillé les facteurs susceptibles d'accentuer ce risque d’anxiété. A savoir, dans l'ordre, le fait "d’être une femme, un parent d’enfant(s) de 16 ans ou moins, et de déclarer une situation financière difficile" ; ou encore les "conditions de vie liées à la situation épidémique (télétravailler en période de confinement et avoir un proche malade ou ayant eu des symptômes du Covid-19) ; les "connaissances, perceptions et comportements face au Covid-19".
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Les conclusions de Coviprev ont mis en évidence que les personnes de plus de 50 ans ont été moins sujettes à l’anxiété. Ces résultats corroborent des travaux publiés par des chercheurs chinois dès le mois de mars, selon lesquels les individus de 18 à 30 ans étaient les plus impactés par la détresse psychologique. "D’après les auteurs, l’angoisse des jeunes adultes pouvait s’expliquer par leur tendance à chercher activement des informations sur la maladie via les réseaux sociaux. Une autre hypothèse peut être également celle d’un biais d’échantillonnage", détaille Santé Publique France.
Les étudiants et personnes invalides plus sensibles
Autant de conséquences sur le bien-être mental que décrypte Nicolas Franck, psychiatre, chef de pôle au Centre hospitalier Le Vinatier, dans un livre intitulé "Covid-19 et détresse psychologique, 2020 l’odyssée du confinement" et à paraître ce mercredi. Basée sur les réponses de 20.000 personnes, cette enquête soulignait notamment qu'être confiné dans un petit appartement sans accès à un espace extérieur ou encore avoir un enfant de moins de dix ans étaient liés à un niveau de bien-être inférieur. Sur ce point, une récente étude israélienne sur les ravages psychologiques du confinement, présente les jeunes parents comment les plus touchés.
"Le confinement a joué le rôle d'un facteur de stress. Il a altéré le bien-être de la population française, touchant plus fortement les étudiants, les personnes en invalidité et celles qui vivent dans les conditions les plus modestes", résume Nicolas Franck pour Slate. Et de détailler : "l'augmentation du stress est susceptible de révéler les fragilités de chacun, il est plausible d'anticiper une augmentation des troubles anxieux généralisés, des dépressions, après le confinement, modes d'expression les plus fréquents d'une vulnérabilité psychique y compris chez les personnes indemnes jusque-là. Ceux qui présentaient déjà des troubles touchant ces dimensions ou d'autres –psychotique, maniaque, obsessionnel ou autre– courent le risque de voir leur pathologie s'aggraver."
Dans les Ehpad aussi, les deux mois d'isolement demeurent un épisode douloureux et angoissant, notamment pour les plus fragiles. Au point que des troubles persistent chez certaines personnes dépendantes : sentiments d'abandon, pertes de repères, et même parfois des tentatives de suicide. "Une personne a voulu se défenestrer et une autre a voulu partir pour aller se jeter à l'eau", confirmait mi-septembre dans un reportage pour TF1 Catherine Ruffenach, directrice d'un Ehpad strasbourgeois.
Consommation d'antidépresseurs et anxiolytiques accrue
La consommation des médicaments ciblant les troubles psychologiques durant la période concernée, conforte cette tendance. "Deux classes thérapeutiques de médicaments des troubles mentaux, les anxiolytiques et les hypnotiques, ont vu leur consommation et leur instauration accrues de façon persistante pendant et au décours du confinement", notait ainsi le groupement d’intérêt scientifique Epi-phare dans un rapport publié le 9 octobre consacré à l’usage des médicaments face à l’épidémie de Covid-19. Dans le détail, plus de 330.000 patients supplémentaires ont recouru sur ordonnances à des anxiolytiques en à peine deux mois (+ 1,1 million en six mois), alors que le nombre de nouveaux patients (ce qu’on appelle des "instaurations") est stable par rapport à 2019 (− 0,4 %).
Ce pic de délivrances au début du confinement s'est aussi observé concernant les antidépresseurs et dans une moindre mesure, concernant les hypnotiques (somnifères), ainsi que les traitements liés aux addictions à l’alcool et aux opiacés.
SOS Amitié débordée d'appels
Débordée par les appels depuis le début de la crise sanitaire, l'association SOS Amitié qui prête une oreille attentive aux personnes en détresse avait, elle, lancé un appel aux bénévoles il y a quelques semaines. "Avant la crise, nous recevions en moyenne 6000 appels par jour et nous en prenions entre 1500 et 2000, soit environ un appel sur 3, sachant qu’il y a des gens qui nous appellent plusieurs fois de suite. Au moment de la crise, le nombre d’appels entrants par jour est monté à plus de 8000", nous expliquait alors le président de SOS Amitié, Alain Mathiot. Les 1600 bénévoles que compte l'association, qui assurent des permanences d'à peu près quatre heures par semaine, ont tout fait pour répondre à un maximum de personnes. 32% d’appels en plus ont ainsi pu aboutir lors de la période du confinement par rapport à la même période 2019 : 102.644 appels pris du 15 mars au 10 mai 2020 contre 77.722 sur la même période 2019. Des appels à l'aide de personnes seules, de personnes angoissées, voire suicidaires.
La France ne fait pas figure d'exception s'agissant de la détresse psychique observée au printemps dernier. En témoigne, les chiffres chez nos voisins belges qui avaient eux quasiment doublé durant le premier mois de confinement par rapport à la même période en 2018, passant de 11% à 20% pour les troubles anxieux et de 10% à 16% pour les troubles dépressifs. Là encore, les femmes et les jeunes comptaient parmi les plus touchés.
Aux États-Unis, les chiffres liés aux troubles dépressifs n'ont pas doublé mais triplé chez les adultes, passant de 8,5% à 27,8% d'après une étude menée entre le 31 mars et le 14 avril, alors que la population américaine était confinée à 96%.
Reconfinement : Quel impact sur la santé mentale des français ? Réponse dans ce podcast d'Expertes à la Une avec le docteur Astride Chevance
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Avec « EXPERTES A LA UNE », Christelle Chiroux part à la rencontre de CELLES qui ont des choses à dire. Parfois trop invisibles, elle plonge dans chaque épisode au cœur de leur univers intime ou professionnel, sous la forme d’une conversation pour les mettre dans la lumière.