Le cyberharcèlement des médecins, l’autre combat de Karine Lacombe

Publié le 2 septembre 2021 à 16h23, mis à jour le 3 septembre 2021 à 10h49
Le cyberharcèlement des médecins, l’autre combat de Karine Lacombe
Source : ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

COVID - Pour ses prises de position, l'infectiologue fait régulièrement l’objet de vagues de harcèlement. Dans une tribune publiée mardi 31 août, Karine Lacombe dénonce de nouvelles menaces, relayées cette fois par France Soir.

Dans cette crise sanitaire, il y a la lutte contre la désinformation relayée massivement sur les réseaux sociaux, et puis celle contre les tentatives d’intimidation dont les cibles de nombreux médecins et scientifiques. La Pr Karine Lacombe, cheffe de service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine de Paris, ne sait que trop bien de quoi elles retournent. 

Depuis le début de la pandémie, la chercheuse est régulièrement visée par une partie des harceleurs en ligne, qu’ils soient défenseurs de l’hydroxychloroquine ou opposants aux vaccins contre le Covid. Les dernières menaces l’ayant ciblée ont été publiées non pas par un compte anonyme d’un réseau social quelconque, mais par un ancien journal de référence devenu un hébergeur de tribunes complotistes : France-Soir. 

"Des gens dérangés peuvent passer à l'acte"

Dans une tribune intitulée "Covid-19 (diagnostic, traitements, vaccin) : panorama d’une escroquerie", le site s’en prend à "ceux à qui profite le crime", qu’ils soient salariés de l’industrie pharmaceutique, médecins ou politiques et les prévient en faisant directement allusion à la "Veuve", autre nom de la guillotine : "Un procès devra se tenir. La Veuve s’impatiente. Tout a été dit." Le nom de Karine Lacombe, ainsi que d’autres de ses confrères, y figure. "J’ai été menacée nommément dans cet article de France Soir et puis dans les manifestations anti-pass avec mon portrait accompagné de signes nazis", nous confie l’infectiologue, se disant plus choquée par "les menaces relayées sur les réseaux sociaux et dans les commentaires" que par les manifestations publiques : "La plupart des messages sont anonymes mais des gens dérangés peuvent passer à l’acte".

Alors, Karine Lacombe a décidé, sous l'impulsion de l'association Citizen4Science, de répondre au texte de France Soir, qui "marque un tournant dans cette escalade de menaces et de violence avec incitation à commettre des crimes". Dans une tribune publiée par L’Express, les signataires décrivent leur quotidien : "Depuis un an et demi, nous portons une parole pour défendre la science que l'on tente d'instrumentaliser et de mettre sous silence à des fins politiques dans la crise sanitaire, tout en dénonçant le harcèlement et les menaces que nous subissons quotidiennement".  

Les critiques contre Raoult aux origines

Ce sont d’abord des critiques à l’encontre de l’hydroxychloroquine et de son défenseur Didier Raoult qui ont valu à la cheffe de service une première vague de cyberharcèlement au printemps 2020. L’une des premières personnalités à avoir pointé du doigt "la méthodologie contestable" du chercheur marseillais reçoit alors une déferlante de menaces : sur les réseaux sociaux, les pro-Raoult se lâchent, persuadés que l’hydroxychloroquine est la recette miracle contre le Covid-19. "C’était très virulent l’année dernière", souligne Karine Lacombe. Et c’est tout le temps la même chose : des gens allument la mèche et d’autres relayent. Ce sont toujours les mêmes." 

À l’époque, l’infectiologue ne voit d’autre solution que de fermer son compte Twitter. Mais cette déconnexion de trois mois ne change rien, ou presque. À son retour en juillet 2020, le cyberharcèlement se poursuit, comme le suggère ce tweet ci-dessous. "Je suis la seule femme à être ciblée", insiste-t-elle encore aujourd'hui. "Je concentre une espèce de rancœur, de haine dont j’ai du mal à comprendre l’origine en dehors du fait que malgré les menaces reçues, je continue à m’exprimer." Car la chercheuse ne s’est jamais empêchée de prendre la parole, malgré les tentatives pour la faire taire. En 2020, elle était même la 12e professionnelle de santé la plus citée dans les médias audiovisuels sur le sujet du Covid, selon une étude commandée par le Journal du Dimanche, aux côtés de deux femmes seulement : l’infectiologue Anne-Claude Crémieux et l’épidémiologiste Catherine Hill. 

Ce statut lui fera d’ailleurs prendre position publiquement, dans une première tribune cosignée avec ses consœurs Caroline Samer et Alexandra Calmy, médecins aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). "Les femmes peuvent être plus sujettes que les hommes à la cyberintimidation, qui vise à dénigrer leur probité et leur compétence scientifique. Les commentaires sont souvent dirigés contre leurs caractéristiques physiques ou destinés à les juger et à leur nuire", témoignent les trois médecins dans les colonnes du Lancet, arguant que "l'image des femmes dans les rôles scientifiques doit être normalisée". Face à ce torrent de haine, déversé par des partisans de Didier Raoult avant qu'ils ne soient relayés par des antivax, Karine Lacombe a choisi d’emprunter la voie judiciaire. Mais sa plainte a fini par être classée sans suite, faute d’identification des auteurs. 

Pas de quoi décourager l’infectiologue, qui continue de saisir les opportunités médiatiques pour prendre part au combat.  Mais après un an et demi de pandémie, le manque de soutien public devient pesant. "Que font les autorités pour lutter contre ça ? Pourquoi le parquet ne se saisit pas ?", s’interroge Karine Lacombe, regrettant ce silence de l’État. "On nous menace, mais des centres de vaccination et des pharmacies ont été détruits. Il faut que les autorités s’expriment publiquement et prennent position." En juin, le sénateur socialiste Bernard Jomier, interpellé par Citizen4Science, interrogeait le gouvernement sur ses actions pour "protéger les scientifiques victimes de ces actes". Une demande restée lettre morte à ce jour. 


Caroline QUEVRAIN

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