Comment la pandémie a compliqué les parcours d'adoption

par Charlotte ANGLADE
Publié le 4 mai 2021 à 17h09, mis à jour le 5 mai 2021 à 16h50
Comment la pandémie a compliqué les parcours d'adoption

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EMBÛCHES - Adopter un enfant n'a jamais été un parcours de santé, que la pandémie de Covid-19 n'a fait que complexifier. Les procédures sont rallongées, parfois suspendues, avec des conséquences psychologiques importantes pour les parents adoptants et pour les enfants.

Depuis 2018, les adoptions à l'étranger sont en baisse constante. Une conséquence de l'application de la convention de La Haye de 1993, qui privilégie l’adoption des enfants dans leur pays d’origine, ratifiée par des pays toujours plus nombreux ces dernières années. Ainsi en 2020, 244 enfants ont été adoptés à l’étranger par des ressortissants français ou étrangers résidant en France, contre 421 en 2019 et 614 en 2018.

La pandémie et toutes les difficultés qui en ont découlé, ont également freiné les procédures d'adoptions. Alors que l'Agence française de l'adoption (AFA), organisme public d'adoption à l'international créé en 2005, a permis l'adoption de 117 enfants en 2019, seuls 59 ont pu l'être par son biais en 2020 dont 12 en Colombie, 8 en Bulgarie et 7 en Hongrie. Une baisse du nombre d'adoptions à l'international "en lien direct avec le contexte sanitaire", affirme à LCI la directrice générale de l'AFA, Charlotte Girault.

De la proposition d'apparentement à l'arrivée des enfants adoptés en France, un parcours au ralenti

Les propositions d'apparentement, c'est-à-dire les propositions d'enfants par les pays d'origine à l'adoption, ont été moins nombreuses en raison du ralentissement du fonctionnement des institutions étrangères. "Pour déclarer un enfant adoptable, il faut, entre autres, faire des analyses juridiques sur son état civil et psychologique, ce qui nécessite que des agents de l’État d’origine puisse se rendre dans l’orphelinat où chez les familles d’accueil pour rencontrer les enfants", détaille Charlotte Girault.

Les commissions d’apparentement, qui visent à identifier une future famille adoptive pour un enfant donné, se sont, elles aussi, faites plus rares. "Pour proposer un apparentement, il faut que des spécialistes, parmi lesquelles les autorités des pays concernés, des psychologues, des médecins, ou encore des assistants sociaux, se réunissent, ce qui n'a pas forcément pu être fait ces derniers temps", indique-t-elle.

L'adoption est déjà un travail de dentelle, mais cela l'a encore plus été l’année dernière et cette année.

Charlotte Girault, directrice générale de l'AFA

Enfin, les voyages des parents vers les pays d'origine des enfants ont également été compliqués par les mesures sanitaires imposées en France et dans les pays en question. Si les déplacements des parents adoptants ont été rendus possibles, dans certains États, par la Mission de l’Adoption Internationale (MAI) et les gouvernements, l'entrée dans d'autres pays pour aller chercher son enfant est impossible depuis plus d'un an. "L'adoption est déjà un travail de dentelle, mais cela l'a encore plus été l’année dernière et cette année. Je pense que les agents n’ont jamais passé autant de temps sur les procédures d’adoption", affirme Charlotte Girault.

"Nous étions déjà habitués, à l'AFA, à travailler avec des pays susceptibles de fermer ou de suspendre les adoptions du jour au lendemain en raison de crises politiques ou des situations sécuritaires sensibles. Ce qui diffère de notre travail habituel, en cette période de pandémie, c’est que cette instabilité concerne tous les pays d’un coup", poursuit-elle en précisant que les adoptions dans certaines régions du monde, comme l'Afrique, moins touchée par le Covid-19 dans un premier temps, ont été moins fortement ralenties.

Des premières rencontres en visio ou dans un taxi

Au-delà des difficultés administratives, l'agence a également dû composer avec les conditions de rencontre des enfants avec leurs parents imposées par le contexte sanitaire. Alors que les pays organisent une "période de convivialité", lors de laquelle les parents se rendent dans le pays d'origine de leur enfant pour faire sa connaissance, nombre d'entre elles n'ont pas encore pu avoir lieu. Les premiers contacts se sont alors parfois faits en visioconférence, avec les inconvénients que cela comporte. "La difficulté, c’est qu'il n'y a pas, dans ce cas, tout l'échange non-verbal qui se produit lors d'une rencontre physique. Le fait de tendre un jeu, de se mettre au niveau de l’enfant… Tout cela est extrêmement important, d'autant plus qu'il est assez rare que le parent maitrise la langue de l’enfant", explique la directrice générale de l'AFA. Et puis, ajoute-t-elle, "ce n'est pas forcément évident pour un enfant, surtout s'il est très jeune ou présente des problématiques de santé, de comprendre que les personnes qu'il voit sur l'écran sont ses parents". "Cela nécessite un vrai accompagnement, qu'il n'y a pas dans certains pays."

D'autres rencontres ont pu avoir lieu dans un taxi ou en salle de transit d'aéroport. Or ce type d'entrevues, en dehors de tout cadre sécurisé offrant des repères à l'enfant, peut avoir des conséquences pour ce dernier. Selon plusieurs expériences rapportées par Charlotte Girault, le silence dans lequel peut habituellement se murer un enfant à la suite de la rencontre avec ses parents peut être dans ce cas plus long, "quoique l'impact sur les enfants est très difficile à mesurer et qu'il s'observera surtout à plus long terme". D'où l'importance, insiste l'agence, d'un suivi psychologique de l'enfant accru à son arrivé en France et lors des années qui suivent.

Une attente supplémentaire éprouvante pour certains parents

Du côté des parents, tout ce contexte d'incertitudes peut également être très difficile à gérer. D'un côté, il faut gérer l'attente de l'enfant. De l'autre, se projeter sur l'arrivée d'un enfant plus âgé d'un an, dans certain cas. Autant d'incertitudes particulièrement éprouvantes pour certains d'entre eux.

"La gestion de l'attente est très subjective et personnelle. Certains parents vont la gérer avec anxiété, frustration et d’autres qui vont la prendre avec patience et recul. Selon l’avancée de la procédure, le soutien de l’entourage, nous ne sommes pas égaux devant cette gestion", indique la directrice générale de l'AFA, qui a mis en place un soutien psychologique dédié aux parents dans le besoin ainsi que des partages d’expérience avec des familles venant tout juste de rentrer avec leur(s) enfant(s). "Ce sont des familles qui peuvent être à l’écoute, qui ne sont pas des professionnelles, qui ont vécu la situation de pandémie dans le pays, la quatorzaine, etc.", décrit Charlotte Girault.

En 2020, certains parents, qui n'avaient pas encore eu de proposition d'enfant, n'ont pas renouvelé leur candidature auprès de l'AFA. "Il est cependant extrêmement difficile de savoir si ces personnes ont abandonné en raison du contexte sanitaire", tient-elle à souligner.

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Selon Charlotte Girault, aucun "retour à la normale" pour les adoptions à l'international n'est à prévoir avant 2022. "Tout dépendra de l'ouverture des frontières et de ce qui se décide au niveau local", explique-t-elle. Il y a peu, une étude concernant les effets de la pandémie sur l'adoption à l'international a été initiée par le bureau permanent de la convention de la Haye. Ses conclusions sont attendues pour juillet 2022.


Charlotte ANGLADE

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