DROITS - Depuis un an, nos libertés publiques ont été fortement restreintes pour tenter d'endiguer la pandémie mondiale. Alors que nous entrons dans notre troisième confinement, quels seront les effets de ces mesures de restrictions sur le plus long terme ?
16 mars 2020. Le mot confinement est lâché par le ministre de l'Intérieur de l'époque Christophe Castaner. Alors qu'une crise sanitaire s'abat sur le pays, le premier réflexe est d'appuyer sur le bouton pause. Tout arrêter pour réfléchir. Un an plus tard, l'épidémie du Covid-19 a fait plus de 90.000 morts et l'exécutif a annoncé un troisième confinement. Nos libertés les plus fondamentales, comme celle d'aller et venir, ont été grignotées au nom d'un mal plus grand. Se déplacer en dehors des horaires et des zones autorisées, sans une attestation ou un justificatif de domicile, expose les Français a une amende, voire a de la prison. Si l'épidémie justifie de telles mesures, quelles seront les répercussions sur notre droit ou bien sur la population ? Nicolas Hervieu, juriste spécialiste des libertés publiques et enseignant à Sciences Po, analyse la situation.
Cela fait un an que nous sommes soumis à un régime d’état d’urgence sanitaire afin de lutter contre la propagation de l’épidémie. Est-ce un mal nécessaire ?
D’un point de vue strictement juridique, la prolongation de l’état d’urgence sanitaire n’est pas totalement injustifiée, du fait de la persistance de la crise sanitaire. Par ailleurs, il ne faut pas trop craindre l’impact à long terme, sur notre droit, des mesures restrictives de la liberté d’aller et de venir ainsi que de rassemblement. Dès que la crise sanitaire cessera, le gouvernement n’aura aucun intérêt à les maintenir. D’ailleurs, nul ne pourrait le tolérer. Car même si l’attente est interminable, nous verrons un jour la fin de l’épidémie.
Or, cette fin est un fait objectif qui – à la différence, par exemple, de la menace terroriste – peut être clairement constaté. Par contre, il est certain que le droit dérogatoire instauré durant la crise sanitaire pourrait laisser des traces regrettables. Il pourrait en être ainsi, par exemple, du recours plus fréquent à la visioconférence en matière pénale ou encore des dispositifs de surveillance policière tels que les drones. Bien plus que le couvre-feu ou le confinement, ce sont ces tentations dérogatoires, sous prétexte de covid, qu’ils convient de combattre dans la durée.
Des contrepoids aux mesures exceptionnelles
Nicolas Hervieu, juriste spécialiste des libertés publiques et enseignant à Sciences Po
Pouvez-vous nous expliquer les garde-fous qui permettent d’encadrer cet état d’exception ?
Depuis un an, chacun peut percevoir qu’il existe des contrepoids aux mesures exceptionnelles. D’abord, et c’est un point trop souvent oublié, toute restriction de liberté édictée par le gouvernement doit être prise en application du droit. Cela signifie que les autorités ne peuvent aller plus loin que ce qu’autorise la loi. Et à l’échelon inférieur, les forces de l’ordre ne doivent en aucun cas interdire ou se permettre ce qui n’est pas prévu par les textes. Par exemple, il est illégal pour des policiers de pénétrer dans un domicile privé et de sanctionner ses occupants uniquement au nom de l’impératif sanitaire.
Ensuite, il existe des contrôles juridictionnels. En premier lieu, bien sûr, les juges administratifs qui peuvent directement contrôler les règles gouvernementales et préfectorales. Mais le Conseil constitutionnel et les juges judiciaires ont également joué un rôle précieux. Ils ont même parfois été plus vigilants que le Conseil d’État. De façon générale, si certaines décisions juridictionnelles ont été très contestables, ces interventions des juges ont réduit à néant de nombreuses mesures excessives.
Trop de latitude est laissée à l'exécutif
Nicolas Hervieu
Ne craignez-vous pas que cet état d’exception ne dure trop longtemps ou bien qu’on ait du mal à en sortir ?
Sortir d’un état d’exception est toujours très difficile. Ce fut le cas pour l’état d’urgence "sécuritaire", dont malheureusement nous ne sommes toujours pas véritablement sortis. Et ce sera aussi le cas pour l’état d’urgence sanitaire. Cependant, le constat scientifique et médical de la fin de l’épidémie permettra plus facilement de tourner la page.
Mais notre démocratie et notre ordre juridique resteront marqués durablement. Pour l’avenir, l’un des principaux sujets de préoccupation est l’accoutumance aux prises de décision unilatérales, édictées dans l’urgence et sans débat démocratique. La crise sanitaire a d’ailleurs mis en pleine lumière que notre régime, la Ve République, souffre de graves faiblesses à ce sujet. À bien des égards, trop de latitude est laissée à l’exécutif et trop peu de place est réservée aux parlementaires élus ainsi qu’aux contrepoids citoyens. Y réfléchir et y remédier dès maintenant serait une bonne manière d’éviter qu’à la crise sanitaire, ne succède une crise démocratique tout aussi ravageuse.
Le principe de liberté doit toujours primer
Nicolas Hervieu, juriste spécialiste des libertés publiques et enseignant à Sciences Po
Au cours de cette crise sanitaire, on répète l’éternelle opposition entre liberté et sécurité, est-ce toujours pertinent ?
L’enjeu ce n’est pas de les opposer, mais de les hiérarchiser. Fondamentalement, dans un État libéral comme le nôtre, le principe de liberté doit toujours primer. Bien sûr, la protection de la vie ou de la santé peut justifier des restrictions, parfois lourdes. Mais ces restrictions doivent être conçues et perçues comme des exceptions : dès lors, elles doivent être strictement justifiées, contrôlées et limitées notamment dans le temps. La même chose doit s’imposer dans la lutte contre le terrorisme ou la criminalité.
Une démocratie est mieux armée qu'une dictature
Nicolas Hervieu
D’une façon plus générale, peut-on concilier démocratie et enjeux sanitaires ?
Oui. D’ailleurs, il faut briser ce mythe, dangereux et faux, selon lequel les régimes autoritaires réussiraient mieux contre le covid que les démocraties libérales. En effet, une démocratie est fondamentalement mieux armée qu’une dictature pour lutter contre une menace sanitaire, car elle dispose d’un atout déterminant : la transparence. À ce sujet, bien sûr, beaucoup d’erreurs ont été commises durant cette crise, notamment en France. Par crainte de susciter la panique ou la critique, les autorités ont parfois manqué d’honnêteté. Mais dans l’ensemble, il est incontestable que chaque citoyen a pu être informé sur la réalité de la situation grâce à la publication de données croisées, des conférences de presse régulières et surtout le travail indispensable d’une presse libre. C’est d’ailleurs cette transparence démocratique qui a beaucoup aidé à l’acceptabilité des mesures.
Par contraste, le prétendu "modèle" chinois est bien moins reluisant. Nous ignorons totalement la réalité de la crise passée et actuelle en Chine : Le nombre de malades et de décès est notoirement sous-évalué dans ce pays où aucun observateur indépendant n’est toléré. Surtout, les dissimulations et mensonges initiaux du régime chinois – qui a été jusqu’à jeter en prison des médecins lanceurs d’alerte – ont fait perdre à l’humanité une chance de juguler la pandémie avant qu’elle ne déferle sur le monde. La peur, la violence et l’opacité n’ont jamais aidé à lutter contre les fléaux.
En France, il semble que la population se soit adaptée aux mesures de restrictions, comment expliquer cela ?
La sidération que nous avons tous éprouvé au printemps 2020 a facilité leur acceptation. Depuis, l’épidémie s’est inscrite dans la durée, suscitant évidemment une lassitude, voire une exaspération. Mais l’acceptabilité globale des mesures a persisté, notamment car leur sévérité a été réduite. C’est ce que l’on observe avec ce troisième confinement, où chacun est autorisé et même incité à s’aérer. À cet égard, il faut aussi observer que les mesures sanitaires ont été bien plus scrutées et jugulées que d’autres dispositifs dérogatoires. Ainsi, le contraste est flagrant avec les mesures adoptées durant l’état d’urgence "sécuritaire" instauré de 2015 à 2017 au nom de la lutte contre le terrorisme.
À cette époque, des mesures très lourdes avaient été adoptées : perquisitionner des habitations même en pleine nuit par simple décision préfectorale ou encore assigner à résidence des personnes pour de simples soupçons. Mais la classe politique ne s’en était guère émue et avait même systématiquement accru la sévérité des mesures, tout en s’abstenant de solliciter le Conseil constitutionnel pour les faire contrôler. À l’inverse, durant la crise sanitaire, les parlementaires ont souvent fait pression pour réduire les restrictions et s’assurer de leur constitutionnalité. Sans doute se sont-ils sentis – à tort… – plus concernés par les restrictions sanitaires.
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