INÉGALITÉS - Si la crise du Covid-19 a accéléré la transition numérique en France, elle a aussi révélé les fractures générationnelle, sociale et territoriale engendrées par les nouvelles technologies. Comment y remédier ?
Près d'un Français sur deux s'est déjà retrouvé en difficulté face à un écran, d'après une étude de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) menée en 2019. C'est la preuve que les compétences numériques sont loin d'être maîtrisées par l'ensemble de la population. Et pourtant, depuis le début de la pandémie, la société ne cesse de se dématérialiser pour répondre aux nouvelles exigences sanitaires. Pascal Plantard, anthropologue des usages des technologies numériques à l'université de Rennes explique à LCI comment faire face à ce nouvel enjeu.
Quelle conséquence la crise sanitaire a-t-elle eu sur notre rapport au numérique ?
Pascal Plantard - Une conséquence énorme. Nous vivons une bombe historique, plus rien ne sera jamais comme avant. Nous traversons un "fait social total", c’est-à-dire un événement de l’Histoire où les institutions sont en profond mouvement et où les interactions humaines se modifient durablement. La pandémie a bousculé nos pratiques numériques qui étaient discrètes et inégalitaires, car elles étaient surtout réservées aux jeunes cadres, diplômés, vivant dans les grandes villes. Mais désormais ces pratiques sont devenues des normes d’usages normales. Nous avons tous passé un cap technologique. Même les personnes sans affinité pour le numérique y sont rentrées, au moins par le biais du smartphone. C’est la première fois qu’à l’échelle mondiale, on accorde une telle place aux technologies aux côtés des humains.
Ce passage au tout-numérique a finalement bien fonctionné.
Pascal Plantard, anthropologue
Quels pans de la société ont été le plus impactés par ce basculement vers le tout-numérique ?
Trois grands secteurs, considérés comme "nobles" et "nécessitant absolument la présence", ont été particulièrement affectés par la crise sanitaire : l'ensemble des professions qualifiées, l’enseignement et les administrations. Ces institutions pensaient que le tout-numérique n’était pas possible. Il y avait un refus d’explorer l’inconnu. Les bénéfices du télétravail étaient douteux. Mais la crise a entraîné une situation où les contraintes étaient si fortes que les habitudes ont été radicalement bouleversées et le télétravail adopté. Ce passage au tout-numérique a finalement bien fonctionné. Même les personnes qui se sont retrouvées au chômage technique se sont davantage tournées vers le numérique, pour du divertissement ou des formations.
Que s'est-il passé pour les personnes qui étaient très éloignées du numérique ?
Les individus qui étaient éloignés du numérique le sont restés, voire ont vu leur situation socio-économique se dégrader au fil de la crise. Le manque de culture numérique peut engendrer des situations dramatiques, car aucune démarche en ligne (aides sociales, recherche d'emploi) ne peut être effectuée. Mais aussi parce que les activités professionnelles de certains se sont numérisées. Ils se sont alors retrouvés dans l'incapacité de réaliser ces nouvelles tâches. Ils ont été privés des emplois qui leur étaient jusqu'alors accessibles faute de compétences suffisantes.
Par conséquent, de nombreux acteurs sociaux et associatifs ont vu les demandes en formation numérique augmenter depuis le début de la crise. Avant, les personnes en difficulté n'étaient pas identifiables, ou très peu, car elles adoptaient des stratégies de contournement (solliciter un proche, prétexter ne pas avoir de lunettes) pour ne pas se confronter au problème, mais le contexte actuel ne leur a pas laissé le choix. Désormais, ce sont elles qui frappent aux portes des associations.
Il faut mettre en place une logique de réseaux d'entraide.
Pascal Plantard, anthropologue
Quelles solutions devons-nous mettre en place pour résorber cette fracture numérique ?
Afin de répondre à cet envahissement numérique dans nos vies quotidiennes, il existe plusieurs types de réponses. Tout d’abord, mettre à disposition de tout le monde une connexion stable et du matériel informatique performant. Mais ce n’est pas suffisant, car cela ne change pas le rapport culturel que nous avons aux technologies. Les réticences ou les obstacles rencontrés persistent, car la fracture numérique est surtout une fracture scolaire. Les jeunes par exemple sont très compétents en ligne pour tout ce qui les intéressent (jeux vidéos, réseaux sociaux, piloter un drone, faire du montage vidéo) mais pas forcément pour suivre des cours en ligne ou effectuer des démarches sur des sites institutionnels. Cela demande des compétences que certains n'ont pas acquises à l'école, ni à l'âge adulte.
Ensuite, il faut mettre en place une logique de réseaux d’entraide, de stratégies d’accompagnement. Nous avons besoin de personnes capables de diffuser cette culture numérique auprès des personnes en difficultés. Ces accompagnants n’ont pas besoin d’être hautement qualifiés en informatique, cependant ils doivent partager les mêmes conditions de vie ou de travail que ces personnes. Cela peut être un proche, un collègue, un voisin ou encore des professionnels (sociaux, associatifs, municipaux). Les réponses apportées doivent être territoriales et personnalisées, à l'inverse d'injonctions nationales stéréotypées. C’est comme cela que nous résorberons les inégalités numériques et ferons fonctionner l’ascenseur social.
Ce qui a été fait en urgence ne doit pas être considéré comme le modèle d'après.
Pascal Plantard, anthropologue
En définitive, cette mutation numérique, est-ce une opportunité ou une menace pour la suite ?
Nous pouvons en faire une véritable opportunité à condition de ne pas tomber dans la dystopie de George Orwell, 1984, où les nouvelles technologies ne servent qu’à mettre en place un contrôle généralisé de la population. C’est déjà le cas en Chine qui se sert du numérique pour instaurer un modèle autoritaire. Il ne faut pas non plus tomber dans une dépendance aux contenus proposés par les plateformes et les réseaux sociaux, pouvant mener à la dépression, à la violence, à la désinformation. Enfin, il ne faut laisser personne en dehors de cette ère numérique, sinon la dématérialisation de la société facilitera la vie de certains mais compliquera la vie de beaucoup d’autres.
La crise sanitaire a montré que le basculement vers le tout-numérique était possible, même pour les plus réfractaires. Nous avons découvert toutes les potentialités des technologies. Mais ce qui a été fait en urgence ne doit pas être considéré comme le modèle d’après. Pour que ce nouveau système sociétal soit approprié, durable et étendu à tout le monde, il va falloir tout mettre sur la table, prendre le temps de réfléchir, pour trouver les conditions (de travail, d'enseignement...) optimales. Il ne faut pas considérer que nous avons trouvé la solution définitive. C’était des recours provisoires.
En France, nous sommes sur un point de bascule où nous avons le choix entre prendre les meilleures décisions pour le bien collectif ou faire la sourde oreille face aux inégalités révélées par la crise. Si nous optons pour ce second cas de figure, nous risquons de créer de nouveaux oubliés de la mondialisation et, donc, faire face à des lendemains compliqués.
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