Du Moyen-âge à Charlie Hebdo : la caricature, une longue histoire française

Michel Izard
Publié le 24 octobre 2020 à 23h07, mis à jour le 25 octobre 2020 à 14h28

Source : TF1 Info

HISTOIRE - Une grande majorité de Français estime que le droit à la caricature doit être défendu dans les écoles en montrant certains des dessins concernés. De fait, cela s'inscrit dans une longue tradition.

Samuel Paty, professeur d'histoire-géographie, est mort pour avoir voulu expliquer à ses élèves le principe de la caricature. Un genre satirique qui est loin d'être né avec Charlie Hebdo. C'est même une tradition française qui remonte au XIVe siècle. Une époque où la presse populaire n'épargnait ni les rois, ni la religion catholique. Pour remonter à la source, il faut se plonger dans les manuscrits de la bibliothèque nationale...

L'acte fondateur de la caricature, il y a 700 ans

L'un des premiers ouvrages satiriques, Le Roman de Fauvel, en 1317, représente alors le roi Philippe le Bel, ô sacrilège, avec une tête d'âne. C'est l'acte fondateur de la caricature, il y a 700 ans. A l'époque, une dizaine de copies étaient en circulation. L'invention de l'imprimerie va donner une autre dimension à l'exercice. Au tournant du XVIe siècle, les protestants, persécutés par les catholiques, attaquent leurs tourmenteurs à coups de dessins. Le pape en ours, ou des moines à têtes de serpents.

Louis XVI en pourceau, Marie-Antoinette en poule d'Autriche

Les guerres de religion deviennent guerres d'images. En France, au XVIIe siècle, les nobles sont moqués de cette façon, mais il reste risqué de s'en prendre aux rois qui sont de droit divin. Même si l'on voit, dans la vidéo en tête de cet article, que Louis XIV lui-même a pu être une cible... C'est la Révolution française qui fera éclater les codes. Louis XVI en pourceau, Marie-Antoinette en poule d'Autriche. Les caricatures sont alors distribuées sur des feuilles volantes.

Pour l'historien Guillaume Doizy, il y a encore un autre tournant : 1830, année de l'explosion de nombre de journaux, et naissance du dessin de presse. "On pense à ce moment-là que les caricatures permettent de faire passer des messages complexes aux illettrés, et donc qu'elles vont toucher les classes populaires. Lesquelles sont considérées à l'époque comme des classes dangereuses. A partir de là, les autorités deviennent convaincues que les caricatures deviennent un danger pour les institutions, pour l'Etat et pour le gouvernement", détaille-t-il devant la caméra de TF1.

Une poire censurée

Honoré Daumier sera jeté en prison pour ses dessins sur Louis-Philippe. Le roi des Français interdit qu'on le caricature, mais peu à peu, il va devenir, sous le crayon, une poire, qui suffira à le reconnaître et qui sera elle-même interdite. La censure, avec ses ciseaux, sévira jusqu'à la loi sur la liberté de la presse, du 29 juillet 1881. "Grâce à cette loi, justement, il n'y a plus d'atteinte à la morale religieuse. Les dessinateurs s'en donnent donc à coeur joie", reprend Guillaume Doizy.

Jusqu'à la séparation de l'Eglise et de l'Etat, en 1905, les coups pleuvent. Comme dans L'assiette au beurre, où l'on voit un homme maltraiter Jésus. Les catholiques ripostent alors en montrant une Marianne décatie, marionnette des juifs et des francs-maçons. La caricature occupe ensuite le terrain tout au long du XXe siècle, de l'antisémitisme à l'antigaullisme. Avec une autre étape : le journal Hara-Kiri, se voulant "bête et méchant", et qui deviendra interdit après le titre Bal tragique à Colombey, consécutif à la mort du général de Gaule. 

"L'armée ? C'est le dernier tabou, je crois"

Charlie Hebdo prendra le relai, sans mollir, et sans concession, comme avec cette figure de Valéry Giscard d'Estaing, dont la tête prend la forme de testicules. Aujourd'hui, la mairie de Paris, avec une exposition, rend hommage à Cabu qui, en 1981, a affiché sa confiance dans l'avenir de la caricature. "Cela a quand même évolué, disait l'intéressé dans des images d'archives. L'Egilse est moins présente. Ce n'est plus la même. L'armée ? C'est le dernier tabou, je crois. La preuve, il n'y a plus qu'elle qui fait des procès quand on l'attaque." Le dessinateur le sait bien, lui qui sera poursuivi par le ministère de la Défense pour des dizaines de dessins et vignettes brocardant la Grande muette.

Cabu ignorait qu'à partir de ces années-là, ce ne serait plus les institutions, mais des groupes, des associations, des individus, qui allaient s'en prendre à des caricaturistes. Comme les fanatiques musulmans, à cause des dessins sur Mahomet... Il ne se doutait pas que cette tradition de la caricature en France, si ancienne, qui a pu au cours des siècles déclencher tant de polémiques, tant de débats violents, qui a pu faire couler tant d'encre, allait faire couler du sang.


Michel Izard

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