DÉBAT - Édouard Philippe a lancé un défi aux architectes en leur demandant d'imaginer comment reconstruire la flèche de Notre-Dame, ce chef-d'oeuvre de la cathédrale englouti par les flammes. Faut-il la rebâtir à l'identique ou dans un style plus contemporain ? LCI pose le débat avec deux architectes.
Faut-il reconstruire la flèche à l'identique ou privilégier un "geste" architectural contemporain ? Alors que les travaux de sécurisation de Notre-Dame ne font que débuter, trois jours après le gigantesque incendie qui a détruit en partie la cathédrale, et qui devraient durer encore plusieurs mois, le débat autour de la reconstruction de l'édifice déchaîne les passions. Au centre des interrogations, le futur de la flèche pensée par Eugène Viollet-le-Duc. Un concours international d'architecture, annoncé mercredi par le Premier ministre Édouard Philippe, "permettra de trancher la question de savoir s'il faut reconstruire une flèche" à l'identique ou s'il faut une nouvelle flèche adaptée aux techniques et aux enjeux de notre époque".
En attendant de connaitre les modalités de ce grand appel à contributions ayant pour but de façonner le visage de Notre-Dame de Paris pour les siècles à venir, LCI a interrogé Sébastien Celeri, architecte du patrimoine et président du conseil régional de l'Ordre des architectes de Corse (CROA), et Olivier Leclercq, architecte et vice-président de la Maison de l'architecte d'Île-de-France (MAIDF).
POUR
Sébastien CELERI, architecte du patrimoine et président du CROA :
"Il y a un côté passionnant parce que c'est la première fois depuis la Pyramide du Louvre que revient sur la place publique un débat théorique de cette ampleur sur un monument, un emblème national. Je suis plus frileux sur la question du "geste" architectural. Ceux qui disent qu'il faut un grand "geste", cela a du sens. Mais quand j'entends ce mot dans un cadre comme celui-ci, j'ai un peu peur parce que je ne vois pas qui peut avoir la prétention d'un "geste" qui soit plus fort que l'existant. Le geste oui, mais à condition d'avoir la connaissance parfaite de ce qui précède, ce qui semble ne pas être le cas de celles et ceux qui proposent une solution de ce type-là. Il y a quand même une notion fondamentale qui est l'humilité de l'intervention. Je suis plutôt contre l'idée qui voudrait qu'on en fasse une cathédrale du XXIe siècle. C'est une cathédrale qui aura vécu du XIIIe siècle au XXIe siècle. Le XXIe siècle aura apporté sa strate.
On ne doit pas en faire une cathédrale du XIXe siècle
Sébastien CELERI, architecte du patrimoine et président du CROA
Avec un "geste" architectural d'ampleur sur Notre-Dame ou tout autre monument, il y a le danger d'avoir quelque chose de scientifiquement et théoriquement juste mais qui ne soit pas accepté par la population. Je connais des cas d'édifices dont la restauration a perturbé l'image que les gens en avaient. De fait, ils les ont rejetés inconsciemment. Vous avez, par exemple, le château de Falaise dans le Calvados qui a fait l'objet d'une intervention contemporaine qui était justifiée et argumentée mais qui est restée incomprise par une partie de la population. C'était une ruine. L'architecte a pris le parti de ne pas créer un "faux historique", et donc celui de la lisibilité de l'intervention. Si à un moment donné l'intervention effectuée n'est pas comprise par la population, cela ne peut pas être une bonne solution. C'est une erreur.
Le facteur humain est très important ici. Comment percevrons-nous un changement radical ? Du côté du public, c'est l'affect qui prime. Il y a cette notion de mémoire commune. C'est même étonnant parce que le drame génère un optimisme. On se rend compte de l'importance que ça peut avoir. Au facteur humain et à la notion du traumatisme, il y a en même temps le côté préservation de la mémoire. Quelqu'un de croyant, catholique, va y voir le lieu de culte, d'autres le symbole national ou l'héritage historique. Tout ça converge vers un intérêt commun. Effectivement, dans le cadre d'un incident tel que celui-ci, la façon la plus simple est de rétablir le monument comme il était. Dans le contexte d'aujourd'hui, c'est possible."
CONTRE
Olivier LECLERCQ, architecte et vice-président de la Maison de l'architecte d'Île-de-France :
"Le projet de réparation de la cathédrale de Notre-Dame doit se faire en tenant compte des techniques et du savoir-faire d'aujourd'hui. Il ne faut pas la rebâtir à l'identique car, quoiqu'il arrive, ce ne sera toujours qu'une copie. Imaginons que cet incendie ait eu lieu à la Renaissance, Leonard de Vinci ou un autre aurait ajouté une merveille à la merveille. Par ailleurs, la flèche a déjà été réinterprétée par Viollet-le-Duc avec les techniques du XIXe siècle. L'architecte a apporté un style néo-gothique qui n'était pas la copie conforme de la construction du XIIIe siècle, déjà très innovante pour l'époque. Les styles se superposent avec le temps, c'est ce qui est beau. Avec le savoir-faire et les techniques actuelles, nous pouvons mettre en oeuvre quelque chose de magnifique, un ouvrage à léguer aux générations futures. Dans 100 ou 200 ans, quand on ira voir Notre-Dame, on se souviendra de la cathédrale gothique, de la date fatidique du 15 avril 2019 et que, suite à l'incendie, une construction grandiose est née de la main de l'homme.
À l'identique, ce ne sera toujours qu'une copie
Olivier LECLERCQ, architecte et vice-président de la Maison de l'architecte d'Île-de-France
Il nous faut réfléchir au projet. Comme la flèche a été réinterprétée au XIXe siècle, nous pouvons peut-être le faire à notre tour. Il faut une architecture qui dialogue avec le gothique. Une flèche au-dessus de la croisée du transept dans une cathédrale de style gothique, cela a du sens. Mais rien ne nous empêche de réfléchir à sa forme future. On peut, par exemple, imaginer un trou avec une sorte de flèche en négatif par-dessous. Est-ce que la solution ne serait pas un projet basé sur la lumière ? Tout à coup, on voit la lumière pénétrer dans la nef. Cela m'arrache le cœur mais il y a quelque chose de divin de voir cette énorme source de lumière naturelle inonder l'intérieur de Notre-Dame. Mais finalement, ce qui est important, c'est qu'il y ait un événement architectural à la croisée du transept dans cette cathédrale de base gothique.
Si on choisit de rebâtir Notre-Dame à l'identique, nous disposons de toutes les données nécessaires. Mais d'un côté pratique et fonctionnel, est-ce que cela fait sens de reconstruire cette même flèche ? L'esprit de la cathédrale est là. Ses deux tours et ses arc-boutants sont toujours debout. À mon avis, on peut reconstituer ce qu'était le monument avant avec de l'imagerie virtuelle et des maquettes. On peut se demander si ce drame n'est pas une opportunité de reconstruire Notre-Dame à l'image de notre époque. C'est peut-être l'occasion d'exprimer le meilleur de notre civilisation au lendemain de cet incendie historique."
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