Défis, ennui et cours de cuisine : on a passé une semaine sur Periscope

Cerise Sudry-Le Dû
Publié le 20 mai 2016 à 16h30
Défis, ennui et cours de cuisine : on a passé une semaine sur Periscope

EXPÉRIENCE - Affaire Aurier, Nuit Debout et même suicide en direct : depuis quelques temps, Periscope, l’appli vidéo propriété de Twitter, défraie régulièrement la chronique. Pendant une semaine, metronews s’est baladé sur ce réseau social pas comme les autres. Résultat de notre immersion : des infiltrations en classe, des défis en tous genres, mais surtout des ados qui s’ennuient - et quelques pépites.

ll est tard, ce vendredi, quand Zeh décide de pimenter sa soirée. Le jeune homme allume Periscope et annonce : "Bonsoir : challenge ! Je marche en caleçon jusqu’au commissariat et je reviens chez moi. 70 personnes et c’est parti." Les internautes arrivent en quelques minutes, et le voilà parti, torse nu et en tongs, dans les rues de Chelles (Seine-et-Marne). "Il fait froid là", se plaint le jeune homme. Qu’importe : ils sont plus d’un millier à suivre sa vidéo en direct. Et tant pis s’il ne se passe rien et qu’il finit par rentrer tranquillement chez lui. "J’avais pas dit que j’allais aller 'dans' le commissariat", ponctue-t-il devant certains commentaires furieux.

Nous sommes tombés sur la vidéo de Zeh au hasard, au cours d’une semaine où nous nous sommes connectés à Periscope plusieurs fois par jour afin de mieux cerner cette appli phénomène qui s'invite régulièrement - et avec fracas - dans l'actualité . Ados qui s’ennuient, défis en tous genres ou visites insolites, pendant sept jours, nous avons voyagé dans la galaxie de vidéos postées par les internautes français.

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En semaine, c’est le règne des salles de classe. Les élèves planquent leur portable dans leur trousse, leur main, leur poche. On entend, lointaine, la voix de l'enseignant ou du surveillant. Parfois, on l’aperçoit, dans un coin de l’écran. Les élèves provoquent, reprennent certains défis ("insulter le prof", "se lever", etc.). Mais souvent, ils ne font rien, se contentant de "liver" leur cours, en tremblant d’être surpris, jusqu’à ce que la batterie les lâche.

Lassene*, professeur d’histoire-géographie en Seine-Saint-Denis, a déjà regardé plusieurs vidéos de ses élèves. "J’en ai trouvé plusieurs. Dans l’une d’elle, j’ai vu une élève raconter les conneries qu’elle faisait dans la cité, qu’elle avait éclaté les bouches d’incendie du quartier, sourit le jeune prof. En cours, je leur ai expliqué que j’avais vu certains comptes. Ils étaient bouche bée. Ils ne comprenaient pas que les vidéos puissent être accessibles par tout le monde (et pendant 24 heures, ndlr) Je leur ai dit de faire attention."

Le royaume des défis

Si Periscope a bousculé la couverture de certains événements - notamment  Nuit Debout  - pour l’instant, le suivi de l'actualité n’est qu’un épiphénomène pour les utilisateurs. En journée, le soir ou au petit matin, loin des manifs et des CRS, les ados préfèrent se lancer des défis, des "cap ou pas cap", des "actions ou vérité". Dans un salon de l’est de la France, un jeudi soir, deux ados avinées s’embrassent à la volée dans une salle de bains anonyme, une fois atteints les 1000 visionneurs. Elles rougissent et débarquent en dansant dans le salon pour fanfaronner. "On l’a fait, on l’a fait", rigolent-elles.

Un matin, on découvre des tours de magie. Un après-midi, on aide un internaute à résoudre ses questions de code de la route ("Je dépasse le cycliste ou pas ?"). Mais surtout, on croise des ados. Beaucoup d’ados les yeux rivés sur l’écran de leur smartphone, qui regardent les commentaires défiler et répondent aux questions. "Allez-y, mettez des coeurs", "likez, likez", "abonnez-vous", demandent-ils sur leurs vidéos. Mais surtout, ils s’ennuient. Ils l’avouent, souvent. "Je m’ennuie, venez" ou "ennui mortel, posez vos questions", reviennent en boucle sur le fil.


"C’est le propre du désarroi du digital, quand on l’analyse en termes de 'qu’est-ce qu’il se dit ? Ce sont, en fait, des échanges de rien. On est dans une situation paradoxale d’une communication forte avec une information faible", analyse Stéphane Hugon, sociologue.

Le drame Océane

On tremble quand même un peu, quand une infirmière conduit jusqu’au parking de l’hôpital, tout en répondant aux commentaires en direct. Elle appuie sur "éteindre" en même temps qu’elle enlève sa ceinture. Pour Stéphane Hugon, l’application peut se révéler aussi "frustrante" qu’une caméra de vidéo surveillance. "Un film qui n’est pas monté est un film qui n’est pas narratif, détaille-t-il. C’est déstabilisant car soit on est fasciné, soit on éteint le truc en quelques minutes. On ne cherche pas de contenu mais une co-présence : c’est le spectateur qui va donner le degré d’existence d’une image (...) Dans la mesure où vous laissez une trace, un impact, où vous avez une puissance de diffusion."

Cette semaine aussi,  Océane a mis fin à ses jours . On a "loupé" ses vidéos où, pendant de longues minutes, elle aussi parlait de sa vie, de ses malheurs, avant de se jeter sous un train. Le soir-même, de nombreux internautes se sont réunis en ligne pour parler de son geste. Quelques-uns se sont inquiétés pour une autre jeune femme, Salomé, qui menaçait de faire la même chose. Beaucoup ont signalé son compte aux autorités. La moitié des streams proposait de faire des débats, de parler du geste. Bill s’est par exemple filmé dans sa voiture, à Mulhouse, pour réagir. "Il paraît qu’ils vont fermer Peri", s’inquiète-t-il, avec un petit accent alsacien.

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Insultes, AC/DC et cours de cuisine

Régulièrement, les filles se font insulter. Souvent sur leur physique.  "C’est bien, Périscope, tu complexes sur rien et après, c’est pas pareil, s’exclame Garance, qui pose dans sa chambre, au nord de Paris. Mon nez, je vois pas ce qu’il a !! Et mon front, c’est une piste d’atterrissage ? Sérieux ?" Dans le Nord-Pas-de-Calais, Sarah s’est carrément posée avec sa mère. Les deux femmes lisent en direct la longue litanie d’insultes qui défile. Et rigolent. "Aucun respect", conclut la maman, devant les 117 internautes connectés.


Parfois, on rit. Comme quand Lilian, un jeune internaute de 16 ans en CAP pâtisserie, décide, à 1000 spectateurs, de faire "une pièce montée". On le suivra tout le week-end, de la conception des choux à la crème aux pâtes du dimanche. Periscope est comme ça. On jongle entre un employé qui s’ennuie ferme au Mac Drive et un débat avec Loulou, jeune gay, qui veut débattre de sa sexualité. "Actif ou passif ?", demande un internaute. "Quand je suis amoureux, je fais les deux", répond-il du tac-au-tac.

Et on finit par se prendre au jeu. On prend le temps de regarder ce boulanger du Sud-Ouest fabriquer ses "chocolatines" en direct, en même temps qu’une petite centaine de personnes. On tombe même sur des pépites. Comme quand Juju845 retransmet le concert d’AC/DC, au stade Vélodrome de Marseille, le seul en France. On suit en direct le solo de guitare d’Angus Young et on se surprendrait presque à taper dans les mains pour le rappel. Et puis répond même en direct au quiz "capitales du monde" d’Idéfix. Mais là, un constat s’impose : pour taper sur le clavier, on est bien moins rapides que les ados. Du coup, on n’a rien gagné.


Cerise Sudry-Le Dû

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