Des pressions ont-elles été exercées sur des entreprises de transport pour empêcher les Gilets jaunes de louer des cars ?

par Claire CAMBIER
Publié le 25 avril 2019 à 21h40, mis à jour le 26 avril 2019 à 0h27
Des pressions ont-elles été exercées sur des entreprises de transport pour empêcher les Gilets jaunes de louer des cars ?

A LA LOUPE - Maxime Nicolle, l'une des figures des Gilets jaunes assure que la ministre des Transports a exercé des pressions sur Keolis, Transdev et la RATP pour leur interdire de louer leurs cars aux Gilets jaunes. Un moyen, selon lui, de déstabiliser le mouvement et d'amoindrir la fréquentation des manifestations. Qu'en est il vraiment ?

Ce mercredi soir, Maxime Nicolle - alias Fly rider - a dénoncé "une atteinte à la liberté de manifestation" de la part du gouvernement. Selon cette figure du mouvement des Gilets jaunes, le gouvernement exercerait des pressions sur les trois plus grandes entreprises de location de cars pour qu'elles refusent leurs services aux manifestants. Keolis, Transdev et la RATP "ont reçu des injonctions, des consignes de Mme Borne", assure-t-il dans une vidéo diffusée en direct sur le réseau social Facebook. La ministre des transports aurait "interdit à ces sociétés de transporter des Gilets jaunes, sous peine de leur sucrer des marchés publics."

"Forcément si on leur fait sauter ces marchés-là, pour ces grosses sociétés, ça veut dire des licenciements, de la perte d'emploi, etc., explique-t-il. On met une pression financière (… ) on interdit à des sociétés de cars de transporter des Gilets jaunes." De fait, il dénonce une "forme d'atteinte à la liberté de manifestation" et un moyen de limiter le nombre de manifestants réunis chaque samedi. Pour preuve, il affirme avoir fait le test auprès d'une société. Se présentant comme un Gilet jaune, il aurait essuyé un refus. Une demi-heure plus tard, un car était disponible pour un groupe de personnes âgées souhaitant visiter Paris. Ce jeudi soir, soit moins de 24 heures après sa diffusion, la vidéo enregistrait  68.000 vues et près de 2100 partages.

Contacté par LCI, le ministère nous dit découvrir cette attaque et dément totalement les faits. " C'est évidemment du grand n'importe quoi et il n'y a pas de consigne de la sorte. Les entreprises sont libres de leurs activités, dans le respect du droit", nous indique-t-on au ministère des Transports. Les sociétés incriminées démentent également. La RATP assure ainsi qu'aucune pression émanant du gouvernement ou d'ailleurs n'a été exercée sur l'entreprise. Le porte-parole évoque d'ailleurs un car affrété récemment par ses soins à des Gilets jaunes sur le parcours Boulogne-Paris. 

"Cette affirmation est totalement fallacieuse, nous n'avons reçu aucune instruction de qui que ce soit", nous indique de son côté le directeur général de Keolis. La société possède 90 filiales qui sont "libres de leur politique commerciale en matière de service occasionnel", ajoute-t-il. Aucune instruction n'a été donnée au niveau du groupe, encore moins de l'Etat, martèle l'entreprise. Keolis souligne également que la location de car n'est pas son cœur de métier, sa principale activité repose sur le transport urbain à travers des contrats avec des collectivités locales. 

C'est également le cas de la majorité des entreprises du transport de voyageurs. La location de car, dit transport occasionnel, ne représente que 10% de leur activité, selon la directrice générale de la fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV). "La plus grande partie de l'activité est ce qu'on appelle le transport  conventionnel des collectivités locales", explique Ingrid Mareschal. C'est-à-dire, des régions, des métropoles, des communes "qui passent un marché public avec un transporteur pour du transport public, principalement du transport scolaire."

Cette part dédié à la location de car est un peu plus importante dans les plus petites structures même si pratiquement aucune ne vit uniquement de cette activité. Sur les 72.000 autocars immatriculés en France, 7200 à 10.800 véhicules sont dédiés au transport occasionnel. A eux seuls, Keolis, Transdev et la RATP ne pourraient empêcher, même s'ils le souhaitaient, des Français de louer un de ces véhicules.

Contrairement à ce qu'affirme Maxime Nicolle, ce ne sont pas "des PME familiales, des petites entreprises, des chauffeurs indépendants qui louent des cars" aux grands groupes. Si de la sous-traitance est possible, les trois groupes majoritaires ont leur propre flotte, tout comme les PME du secteur. Certaines moyennes structures ont ainsi "plusieurs centaines de cars dédiés" au transport occasionnel, nous indique la FNTV. Preuve en est, des bus ont été à de nombreuses reprises affrétés pour permettre à des groupes de Gilets jaunes de se rendre aux manifestations (cf. quelques exemples ci-dessous).

Captures d'écran facebook

Cela ne signifie pas pour autant que des Gilets jaunes n'ont pas essuyé des refus. La RATP explique ainsi que le manque de disponibilité de véhicules est un premier frein. Un point sur lequel le rejoint le directeur général de Transdev. Il ajoute que ses filiales sont également contraintes par "la solvabilité des organismes qui commandent les véhicules" et "le risque que le véhicule puisse être dégradé par les passagers".

Tout en soulignant qu'il n'a "pas connaissance d'un cas précis", Jean-Pierre Farandou estime que "c'est éventuellement ces deux derniers points qui auraient pu conduire une filiale à décliner une sollicitation de Gilets jaunes pour une prestation occasionnelle."

Ingrid Mareschal confirme que ces deux craintes ont échaudé certaines sociétés. "Depuis le début du mouvement, nos adhérents sont très frileux - et je ne parle pas des groupes mais des PME - parce qu'ils ne veulent pas avoir de dégradations de leurs véhicules ou de problèmes d'impayés et ils savent que les Gilets jaunes ne sont pas structurés." Autrement dit, ils ne sont pas constitués en association et ne peuvent apporter de réelles assurances quant à leurs ressources. Sans évoquer explicitement cette justification, la RATP indique de son côté l'acceptation des conditions contractuelles.

Autre élément, le mouvement n'est pas forcément soutenu par les chefs d'entreprise du secteur. Ils regrettent "des pertes d'exploitation", liées notamment à la baisse du tourisme à Paris ainsi que des difficultés au quotidien pour la circulation de leurs véhicules. 

Un sentiment que ne partage pas toutefois tous les patrons du transport de voyageurs. Dans les Hauts-de-France, le président de Robin des cars, Thibault Vayron, a démontré son soutien à plusieurs reprises. En novembre, il a proposé de transporter les Gilets jaunes à prix coûtant de Villeneuve d'Ascq à Paris. Un aller-retour pour lequel il n'a touché aucune rémunération. Pour le 1er mai, il invite d'ailleurs les Français a préférer au traditionnel muguet "un A/R à Paris."


Claire CAMBIER

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