"Protéger l'écosystème familial" : les anti-PMA se mettent au vert

Publié le 29 novembre 2019 à 19h03, mis à jour le 29 novembre 2019 à 20h12
"Protéger l'écosystème familial" : les anti-PMA se mettent au vert

Source : LUCAS BARIOULET / AFP

GREEN WASHING ? - Le 6 octobre dernier, les anti-PMA défilaient dans les rues de Paris avec des drapeaux rouges et verts, donnant au cortège des airs de manifestation pour l'environnement. Un choix de couleur qui n'est pas anodin tant la droite conservatrice semble vouloir prendre un virage écolo.

Et si conservation de la nature rimait avec conservatisme ? C’est le pari que font les opposants à l’extension de la PMA aux lesbiennes et aux femmes seules qui se mobilisent ce week-end partout en France avant une grande manifestation à Paris le 19 janvier prochain. De fait, depuis leur première marche en octobre dernier, l’heure semble être au vert, que ce soit dans les cortèges, sur les réseaux sociaux ou dans les discours. 

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Un tournant vert visible dans les cortèges

Agitant des drapeaux verts et rouges "Liberté, Égalité, Paternité", de nombreux manifestants affirmaient le 6 octobre dernier vouloir mener un combat "écologique" en s'opposant à la PMA. "On nous dit de respecter la nature, ce qui est biologique, mais pour l'homme, on a l'impression que tout est permis", lâchait par exemple Patrick, un militant, auprès de l'AFP. Une teinte environnementale que ce cadre dans l'industrie pharmaceutique n’est pas le seul à mettre en avant. 

Sur Twitter, l'image d'un arbre et d'un nuage noir, au graphisme apocalyptique, est bordée de vert. On pourrait presque s’y méprendre et confondre ce tract avec celui d’un mouvement écolo. Si ce n’est que la phrase accolée au dessin donne un peu plus d’indices sur ses auteurs. "Et pour l’arbre généalogique, on fait quoi ?", se demandent ainsi les organisateurs de la marche "contre la PMA sans père et la GPA". 

Un trac de Marchons enfants contre la PMA
Un trac de Marchons enfants contre la PMA - La manif pour tous / TWITTER

Pour ceux qui en douteraient encore, la vidéo de présentation de cette action, publiée dès l’été, est sans équivoque quant à cette nouvelle tendance. "Nous descendons dans la rue pour sauver la planète", avance face caméra Pascale Morinière, présidente des Associations familiales catholiques, qui dit vouloir "protéger cet écosystème fragile qu'est la famille".  

"Le progrès amène beaucoup de bonnes choses, mais on en mesure aussi les dégâts sur l’environnement", avance de son côté Blanche Streb, une militante d’Alliance Vita, association fondée par Christine Boutin, qui lutte contre l'IVG. Comme elle, une vingtaine de groupes ont répondu présent à cet appel pour une marche commune. Mais quel rapport concret entre PMA et préservation de planète ? "Ce qu’on a voulu mettre en avant, c’est ce qu’on appelle l’écologie humaine", nous répond-on du côté de la Manif pour tous. 

Une dynamique "d'une puissance phénoménale"

Ce terme, c’est le co-fondateur d’Alliance Vita qui l’a rendu célèbre dans ses rangs. Dès janvier 2013, en plein discours sur le Champ-de-Mars à Paris, lors de la manifestation contre le mariage pour tous, Tugdual Derville évoquait ainsi ce concept. Au lendemain de l'évémenement, l'homme créé le Courant pour une écologie humaine (CEH) et lance un site, accompagné de l’économiste Pierre-Yves Gomez.

Reste que la cohérence de cette convergence reste à prouver. Car si Tugdual Derville ne cesse de mettre l’humain au centre de sa réflexion, y voyant une espèce à protéger, c’est justement - et paradoxalement - l'activité de l'Homme qui est pointée du doigt dans tous les rapports scientifiques sur le réchauffement climatique

Son associé Pierre-Yves Gomez, lui, semble d'ailleurs plus prompt à "protéger l’embryon" que la Terre. Sur sa fiche de l’EM Lyon Business School, prestigieuse école de commerce lyonnaise où il enseigne, on apprend ainsi qu’il conseille des entreprises telle que la Société générale et la BNP, toutes deux épinglées récemment pour leur empreinte carbone "colossale", ou la Danish Crown, une entreprise agroalimentaire notamment présente dans le secteur des viandes transformées. Rien de très vert, en somme. 

D'apparentes contradictions qui ne semblent pour l'instant pas gênantes outre mesure. Il faut dire que, jusqu’à l'émergence de la question écologique sur le devant de la scène, marquée par exemple par la percée des Verts aux élections européennes ou les différentes Marches pour le climat, le concept est longtemps resté inaudible. Ce qui est de moins en moins le cas aujourd'hui. La stratégie mêlant ces deux combats est même pleinement assumée par certains, comme Cyril Douillet, membre du CEH depuis 2013. 

On se dit que ça rendra le message plus audible et compréhensible pour le plus grand monde

Cyril Douillet, membre du CEH

En octobre 2018, lorsqu'il présentait ses "antidotes" face à la "vague" que représente à ses yeux l’extension à la PMA, l'homme mettait en avant la "force" de la "dynamique écologique" comme l'un de ces remèdes. "Cette intuition qu’il faut revenir à la nature, au respect de l’environnement (…) n’est-elle pas transposable à l’homme ?", s'interrogeait-il alors, comparant la procréation "in vivo" à des "savons sans polluants". "Cette transposition à l'humain - qui fait partie de la nature - est encore peu développée, mais il y a là un potentiel immense, une dynamique d’une puissance phénoménale."

Une première intuition réitérée en mai dernier, après la déroute de la droite lors du scrutin européen. "La cinglante défaite de la liste Bellamy et la forte poussée des écologistes doivent inciter les chrétiens à revoir leur logiciel de participation à la cité", avançait le bloggeur pour qui "prendre soin" de l’homme et de la nature pourrait devenir le "nouveau leitmotiv" des conservateurs. 

Surfer sur la vague écolo

Lorsqu’émerge à nouveau la volonté de mobiliser les troupes au mois de septembre, la solution est toute trouvée : à défaut de convaincre par des arguments de bioéthique, plus complexes, vient l'idée de prôner une certaine vision de la dignité humaine grâce à l’écologie. "Cette question touche beaucoup les gens aujourd’hui", admet-on volontiers du côté de la Manif pour tous. "On se dit que ça rendra le message plus audible et compréhensible pour le plus grand monde." 

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A l'université de rentrée de Marchons Enfants, fin septembre, Bertrand Lionel-Marie, secrétaire général de la Confédération nationale des associations familiales catholiques, prenait la parole pour défendre ce nouveau concept. "Alors que nous sommes de plus en plus conscients de la nécessité de poser des limites aux interventions de l’homme sur notre environnement, nous n’avons pas conscience de traverser une crise bioéthique", martèle-t-il alors à la tribune, estimant que cette "double crise" trouve son origine "dans l’incapacité, ou plutôt le refus de l’homme d’accepter une nature et ses limites".

Même façon d'aborder la question du côté de Ludovine de La Rochère, la présidente de la Manif pour tous, qui, fin août, au micro de Radio Classique, relevant elle aussi que l'"on parle de l'écologie tous les jours", dressait un parallèle entre défense de  l'environnement et défense de la famille traditionnelle. "L'usage irréfréné de la technique a conduit à une dévastation de la faune et de la flore, ne faisons pas la même chose avec l'être humain", soulignait-elle. 

Hors de question cependant d’être taxé de faire du "green washing", affirment les militants conservateurs. Si les organisateurs de la Manif pour tous "peuvent comprendre" que le timing interroge, on nous assure que "l’association a toujours tenu cet argument, sans pour autant le mettre en avant". Quant au changement de couleur dans les cortèges, il ne s’agirait que d’une coïncidence. Un choix qui serait simplement issu du désir de créer une "nouvelle identité visuelle" pour cette mobilisation. 


Felicia SIDERIS

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