Les chiffres confirment-ils la recrudescence de l'insécurité que déplorent certains politiques ?

Publié le 28 août 2020 à 18h16, mis à jour le 2 septembre 2020 à 13h10

Source : TF1 Info

LES VÉRIFICATEURS - Les voix se succèdent pour dénoncer le bilan du gouvernement en matière de sécurité, alors que ce dernier, par la voix du ministre de l'Intérieur, déplore un "ensauvagement" de la société... Mais que disent les chiffres ? Éléments de réponse.

Invité de LCI ce vendredi, le président LR du Sénat Gérard Larcher a pointé du doigt le manque de sécurité en France. "Ce n'est quand même pas un succès de l'exécutif que d'assumer aujourd'hui le respect de l'Etat de droit", a-t-il lancé. Un discours qui fait écho à celui de Xavier Bertrand, autre figure des Républicains. "La sécurité restera l’immense faillite du quinquennat", a déclaré le président de la région Hauts-de-France.

Si l'opposition dénonce le manque de fermeté du gouvernement, la délinquance est également dénoncée par le pouvoir en place. Fraîchement nommé ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin avait appelé en juillet à "stopper l’ensauvagement d’une certaine partie de la société". Des propos qui avaient alors fait polémique. Pour autant, lorsque l'on prend du recul pour s'intéresser aux chiffres, il apparaît que les constats alarmistes sont globalement contredits, la violence n'ayant pas subi ces dernières années d'augmentation significative en France. 

Une distorsion de la réalité

Il est courant d'assister à des batailles de chiffres, avancés comme des arguments implacables. Une partie des données avancées proviennent du Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), dépendant du Ministère de l'Intérieur. Il a notamment livré en janvier dernier une "première photographie" de la délinquance pour l'année 2019. Parmi ses observations, une hausse (+8%) des "coups et blessures volontaires sur personnes de 15 ans ou plus", ainsi qu'une augmentation des homicides.

Pour autant, s'en tenir à ces seuls chiffres serait trompeur. Le HuffPost note que "cette base de données est biaisée, à plus d’un titre". Et de citer "les auteurs d’un rapport parlementaire sur la délinquance publié en 2014", qui expliquait que ces statistiques "ont été conçues pour mesurer l’activité des services de police et de gendarmerie et non la délinquance elle-même". Un indicateur qui n'est donc pas forcément le plus pertinent.

Pour le sociologue Laurent Muchielli, directeur de recherches au CNRS, mieux vaut se pencher sur les l'enquête annuelle de victimation, réalisée conjointement par l'INSEE et l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) : "C’est une enquête menée sur un échantillon représentatif et qui porte à la fois sur la victimation réelle et sur le sentiment d’insécurité, sans le filtre institutionnel, sans le dépôt de plainte, sans l’ambiance du moment etc. La première a eu lieu en 1984, ce qui nous permet d’avoir du recul sur plus de 30 ans."

Pour Christophe Soullez, chef de l'ONDRP, il ne faut pas nier que la violence se trouve "à un niveau élevé, notamment un niveau qui est peut-être inacceptable pour une démocratie comme la France". Auprès de France Inter, il juge néanmoins que l'on ne "peut pas dire aujourd'hui, à travers les données disponibles, que l'on est dans une explosion de la violence. On a des phénomènes de violence qui sont très graves, mais la majorité aujourd'hui, et depuis une dizaine d'années, des faits de violence physique, ne sont pas nécessairement ceux que l'on voit diffusés sur les réseaux sociaux."

Des conclusions unanimes

D'autres organismes tentent d'analyser la délinquance et les formes de violence sur notre territoire. C'est notamment le cas du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip) ou de l'Observatoire scientifique du crime et de la justice (OSCJ), qui en est une émanation. Ce dernier, note Libération, souligne le fait que "depuis le milieu des années 1990, les agressions physiques non létales" restent "dans le même ordre de grandeur". 

Un constat similaire est dressé pour les agressions physique plus violentes, ayant conduit à 8 jours au moins d'ITT pour la ou les victimes. Chercheuse pour le Cesdip, Renée Zauberman estime que l'on se trouve dans "une violence contenue". Certes, remarque-t-elle, "un fait de ce type, c’est toujours un fait de trop, et c’est choquant, au niveau de l’individu. Mais si on pose un diagnostic sur une société, il faut reculer la focale, il faut une donnée globale. Il en résulte qu’on ne voit pas de modification sensible sur les vingt dernières années."

"Il apparaît clairement que la prétendue hausse continue de l’insécurité relève davantage du fantasme que de la réalité. C’est la dénonciation des problèmes qui croît sans cesse, et non leur fréquence. Il apparaît également que les problèmes les plus graves sont aussi les plus rares", tranche pour sa part le sociologue Laurent Mucchielli dans un article qu'il a signé sur le site The Conversation. Confinement oblige, 2020 pourrait d'ailleurs être marquée par des baisses très nettes, les premiers indicateurs montrant que les crimes et délits ont été largement réduits dans le contexte de la crise sanitaire. 

En résumé, il semble aujourd'hui exagéré d'assurer que l'on assiste à une recrudescence de la violence en France. Si son niveau peut être jugé élevé, les statistiques à notre disposition ne permettent pas de faire émerger des variations significatives sur les dernières années ni à une échelle temporelle plus longue. La recrudescence d'images violentes, dont la captation et la diffusion sont facilités par les smartphones ou les réseaux sociaux, peuvent contribuer à renforcer le sentiment d'une délinquance en hausse, sans que celle-ci soit pour autant avérée. 

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Thomas DESZPOT

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