A LA LOUPE - Les policiers à moto qui sont intervenus à la Pitié-Salpêtrière, le 1er mai dernier, sont comparés aux"voltigeurs", du même nom de ceux qui ont été impliqués, en décembre 1986, dans la mort de Malik Oussekine. La référence de ces effectifs de police avec leurs prédécesseurs controversés est-elle appropriée ?
"Intrusion" du 1er mai à la Pitié-Salpêtrière, acte II. Ce mardi 7 mai, l'inspection générale de la police nationale (IGPN) annonce s'être saisie après que des policiers, arrivés en moto dans l'enceinte de l'hôpital, ont été filmés en train de frapper un étudiant du Crous dans les couloirs de la résidence universitaire.
Parmi les différentes questions soulevées par cet incident figurent notamment celles-ci : que faisaient des policiers à moto au sein de la Pitié-Salpêtrière et s'agit-il, comme il est indiqué dans l'article de Mediapart relatant les faits, de "voltigeurs" ? Un terme d'origine militaire pour décrire le peloton de voltigeurs motoportés (PVM) créé en 1969, suite aux événements de mai 68. Comme leur nom l'indiquait plus ou moins, ils avaient pour mission de se faufiler rapidement au cœur des manifestations, en milieu urbain, afin de chasser les "casseurs". Mises en cause dans la mort du jeune Malik Oussekine dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, alors que se déroulaient à Paris les protestations étudiantes contre la loi Devaquet, ces brigades armées de matraques ont été dissoutes.
Des dispositifs ultra mobiles
Voilà quelques mois cependant que des binômes policiers à moto ont à nouveau fait leur apparition dans les rues de la capitale, lors des manifestations. En décembre 2018 déjà, lors d'une journée de mobilisation des Gilets jaunes, des équipes policières motorisées, dont certains passagers transportaient un LBD 40, avaient été remarquées. Interrogée par Libération, la préfecture de police indiquait alors qu'il s'agissait d'effectifs de la CSI 75 (compagnie de sécurisation et d'intervention). Auprès de BFM, on ajoutait que ce dispositif "était aussi utilisé dans d'autres affaires, par exemple lors de course-poursuites avec des 'taxis clandestins'".
Concernant les effectifs observés à la Pitié-Salpêtrière, c'est encore différent. Les sources policières que nous avons contactées réfutent là encore le terme de "voltigeurs" : "Avant, les voltigeurs, c'était un conducteur et un agent avec une matraque, qui avait le droit de s'en servir en mouvement" explique-t-on. "On imagine la force du coup porté avec la vitesse. Aujourd'hui, c'est interdit. Les effectifs en moto appartiennent à la brigade de répression d'action violente (les BRAV, ndlr) qui vont d'un point A à un point B et doivent attendre d'avoir mis pied à terre pour utiliser le matériel." Une autre source policière complète : "Les conducteurs proviennent du service moto de la DOPC (direction de l'ordre public et de la circulation, ndlr) et les passagers des compagnies d'intervention de la DOPC."
De son côté, la préfecture de police de Paris explique à LCI que ces BRAV "sont conçues pour apporter une réponse efficace aux phénomènes de violences dans les manifestations imputables à des individus agissant de manière très mobile et très déterminée : leur objectif est d’intervenir sans délai afin de casser les regroupements selon un emploi de la force gradué et proportionné et de procéder à un maximum d’interpellations. Une BRAV motorisée est une unité constituée d’une vingtaine de motos biplaces comprenant chacune un pilote et un accompagnateur spécialiste du maintien de l’ordre."
Les BRAV motorisées sont extrêmement mobiles et c'est bien cette caractéristique qui est mise en avant par le nouveau préfet de police de Paris, Didier Lallement, qui a décidé à partir de "l'acte 19" - soit le 23 mars - de constituer ces équipes. Lors d'une audition au Sénat, celui-ci a mis l'accent sur la mobilité des forces de maintien de l'ordre pour répondre aux violences constatées en marge des manifestations. D'où le choix de leur motorisation. C'est ainsi qu'appelés en renfort à la Pitié-Salpêtrière, ces policiers à moto se sont retrouvés dans l'enceinte de l'hôpital, le 1er mai dernier.
En théorie donc, la différence entre les voltigeurs des années 1970 et les effectifs à moto actuels est de taille : les seconds ne sont pas autorisés à effectuer un maintien de l'ordre depuis leur véhicule. En pratique cependant, Sébastian Roché, directeur de recherche au CNRS, enseignant à Sciences-Po Grenoble et auteur de "De la police en démocratie" (Grasset), estime "qu'il n'y a pas vraiment de différence, même si le nom ne pouvait pas être repris comme tel". Il décrit en outre leur raison d'être comme "des équipes de deux sur des motos chargées d'intervenir sur tel ou tel point d'une manifestation ou telle personne". Et de constater : "Le risque pour des unités mobiles de se trouver isolées - comme on l'avait vu au bas des Champs-Elysées - et prises à partie est réel", comme celui de subir "des actes avec des outils simples pour les faire tomber". "Et réciproquement, des risques existent du côté des manifestants, du type ce qui est arrivé à Malik Oussekine" ajoute-t-il.
L'absence de règles spécifiques
Selon le chercheur, "le plus délicat, si l'on admet la nécessité des voltigeurs, est l'absence de système de contrôle de ces dispositifs et de recherche 'd'équilibre'", c'est-à-dire un encadrement et des règles éthiques spécifiques. Peut-être la scène filmée à la Pitié Salpêtrière et désormais entre les mains de l'IGPN pourra-t-elle faire évoluer la donne ?
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