Félin, serpent ou... sous-marin nazi : policiers et militaires peuvent-il choisir librement leurs écussons ?

par Cédric STANGHELLINI
Publié le 12 août 2019 à 18h03, mis à jour le 3 septembre 2019 à 12h04
Félin, serpent ou... sous-marin nazi :  policiers et militaires peuvent-il choisir librement leurs écussons ?

À LA LOUPE – La Brigade anti-criminalité de Lorient avait pour projet d'arborer, involontairement, un sous-marin nazi sur son nouvel écusson. Une enquête administrative est ouverte. Se pose alors une question, les forces de l'ordre ont-elles le droit de choisir comme bon leur semble les logos de leurs écussons ?

Un sous-marin allemand de la Seconde Guerre mondiale choisi comme logo pour les uniformes ? Tel était le projet de la Bac de Lorient jusqu'à ce qu'un média breton ne découvre l'impair, manifestement involontaire.  

D'après Le Peuple Breton, la Brigade anti-criminalité de Lorient (Morbihan) a en effet choisi comme symbole le sous-marin allemand U-Boot type VII, modèle le plus utilisé par l'armée de l'Allemagne nazis durant la Seconde Guerre mondiale.  Une confusion manifeste avec un sous-marin allié qui fait désordre et a provoqué l'ouverture d'une enquête. Contacté par LCI. le ministère de l'Intérieur tient cependant à rappeler que cet écusson n'a pas été utilisé. "Il s'agissait seulement d'un projet des forces de la BAC du Morbihan."  

Il n'en reste pas moins que ce projet pose la question suivante : comment sont choisis ces écussons des forces de l'ordre qui parfois représentent un animal ou même une tête de mort ? Voici quelques réponses. 

Est-ce que les règles sont les mêmes pour toutes les forces de l'ordre ?

Premièrement, il faut préciser que les forces de l'ordre arborent deux types d'écussons différents. Celui-ci sur l'épaule gauche n'est pas personnalisable, il est unique pour toute une région ou tout une base militaire par exemple. En revanche, c'est l'écusson placé sur le bras droit qui peut-être différent pour chaque unité d'intervention, parfois pour seulement une dizaine de personnes. 

Ensuite, il faut préciser que les règles pour personnaliser les écussons diffèrent selon qu'il s'agit de la police nationale, de la police municipales, des gendarmes ou encore des armées (terre, air et marine). À La Loupe a donc posé la question à des spécialistes pour comprendre le processus de création et de validation des écussons : le capitaine de gendarmerie Richard Filmotte, qui est également le directeur du Musée de la gendarmerie situé à Melun, et le chef de service de police municipale Hervé Perton, concepteur d'écussons pour plusieurs unités de police. 

Comment les écussons sont-ils créés ?

C'est sans doute du côté de l'armée que les choses sont le plus encadrées lors de la création d'un nouvel écusson, comme nous l'explique Richard Filmotte. "Pour la gendarmerie et les armées, il existe le Service historique de la défense qui veille sur le patrimoine et les archives des forces militaires. C'est auprès de ce service que les unités proposent leurs projets d'écusson afin d'obtenir un avis et éventuellement des modifications." Si le capitaine Filmotte ne travaille plus aujourd'hui pour le Service historique, il est très régulièrement consulté par des gendarmes en raison de ses larges connaissances sur le sujet des insignes et des écussons. "J'apporte mes conseils et j'émets des suggestions." Le projet final est ensuite validé par le commandant de brigade. 

Pour la police nationale le cheminement est le même, l'initiative provient de l'unité et l'écusson est validé par la Direction départementale, puis la Direction générale. La seule différence est qu'il n'y a pas de service historique. Le ministère de l'Intérieur nous précise que l'écusson doit respecter "les règles éthiques et déontologiques". 

Pour la police municipale, la décision de retenir un nouvel écusson revient au commissaire. "Les demandes arrivent de toute la France, raconte Hervé Perton. Les mairies ou les brigades elles-mêmes me contactent pour me faire leur demande." 

Quelles sont les limites dans la création des écussons ?

Hervé Perton reconnaît qu'il doit se plier à plusieurs règles bien précises. D'après un décret de 2004, doivent obligatoirement figurer sur l'écusson : "les couleurs nationales 'bleu, blanc, rouge', le sigle 'RF' pour République française et l'inscription 'police municipale'" lorsqu'il s'agit de la police municipale. Toujours d'après ce décret, "sont autorisés les motifs feuillage représentant le chêne et le laurier." Quels sont  les symboles privilégiés dans la police  ? "Ils font le plus souvent référence à la ville et au type de mission exercée par l'unité. Une brigade cynophile fera apparaître un chien par exemple. Pour la BAC, ils aiment s'identifier à des symboles plutôt combatifs, comme un loup, un serpent, etc." 

C'est pour cela que l'on peut retrouver des images d'écussons de la BAC particulièrement équivoques : un scorpion tenant une matraque à Besançon, un crâne de pirate en Guadeloupe ou encore une araignée à Boissy-Saint-Léger. 

Pour la gendarmerie, les choses sont différentes. "Jamais vous ne verrez un écusson avec une représentation agressive", nous précise Richard Filmotte. Ce n'est pas du tout la mentalité au sein de la gendarmerie." Par exemple, le capitaine nous raconte qu'il a déconseillé la création d'un écusson avec une toile d'araignée pour une unité de lutte contre l'immigration illégale. Il refuse aussi les représentations de cibles ou d'animaux qui attaquent. "Je ne me concentre pas seulement sur le côté historique, j'applique aussi une certaine idéologie. Il ne faut pas oublier que ces écussons sont visibles et peuvent heurter s'ils sont mal interprétés."   

Par exemple dans les deux exemples en-dessous, on peut voir que le GIGN a opté pour la représentation d'un parachute. Pour la Brigade motorisée de Modane (Savoie), on peut voir une moto avec un drapeau savoyard et les Alpes. 

Enfin, conditions auxquelles les policiers et créateurs d'écussons ne peuvent déroger : "Les éléments ou signes portés sur ces écussons et insignes ne doivent avoir aucun lien avec une organisation politique, syndicale ou une appartenance religieuse." Une exigence de neutralité dans les symboles qui est également demandée pour la police nationale et municipale, ainsi que les militaires. 

Comment expliquer l'erreur de la BAC de Lorient ?

Nos deux spécialistes en écussons expliquent la bourde de Lorient de la même façon : il s'agit certainement d'une simple erreur de sous-marin lorsque l'image a été choisie. Les résultats de l'enquête administrative permettront de faire toute la lumière sur cette histoire. 

Enfin, attention à ne pas confondre les écussons officiels destinés à figurer sur les uniformes avec les écussons créés par les agents eux-mêmes et pour leur usage personnel. "Ce sont des écussons inventés pour une occasion précise ou pour rendre hommage, précise Hervé Parton. Là toutes les fantaisies peuvent être permises et ces écussons sont affichés sur les sacs à dos, les affaires personnels, jamais sur les uniformes des agents."   

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Cédric STANGHELLINI

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