GILETS JAUNES - Elles entendent se réunir, entre femmes, le 6 janvier à travers la France. Les femmes Gilets jaunes sont présentes au sein du mouvement social depuis ses débuts, mais les voilà qui organisent désormais leur propre rassemblement. D'emblée, elles précisent : "ce n'est pas une lutte féministe mais féminine". Pourtant, quand on y regarde de plus près, si elles en rejettent l'étiquette, de nombreuses femmes Gilets jaunes commencent à reprendre les codes d'un engagement féministe.
Plutôt Marianne que Rosie la Riveteuse. Sur les pages Facebook dédiées aux rassemblements des femmes Gilets jaunes, prévus dimanche 6 janvier à Paris et dans d'autres villes de France, c'est une figure féminine coiffée d'un bonnet phrygien, pleurant des larmes bleues et rouges, qui revient le plus souvent. L'image de Rosie la riveteuse, ouvrière au poing levé, symbole féministe et populaire s'il en est, apparaît beaucoup plus timidement, en tout cas sur la principale page Facebook regroupant plus de 11.000 personnes intéressées par le rassemblement.
Un rassemblement de femmes donc, mais pas féministe pour autant. La courte présentation écrite qui accompagne l'événement confirme d'ailleurs cette idée. "Chères femmes nous sommes dans les rues depuis le 17 novembre, jusque là nous avons été discrètes, c’est pour cela que nous lançons un appel à toutes les femmes pour se mobiliser. Nous restons complémentaires et solidaires aux hommes ce n’est pas une lutte féministe mais féminine", précisent ainsi les organisatrices du rassemblement, qui ajoutent : "Nous voulons montrer que nous sommes la mère patrie, en colère et nous avons peur pour l’avenir de nos enfants."
Mères isolées, travailleuses pauvres
On l'aura compris, les participantes en gilets jaunes souhaitent éviter toute méprise et ne surtout pas être confondues avec des féministes. Quitte à forcer le trait dans la présentation introductive. De quoi cette précision est-elle le nom ? Pour le savoir, LCI a cherché à joindre l'une des organisatrices de l'événement, via Facebook. Si celle-ci a d’abord accepté de nous parler et de répondre à quelques questions sur les revendications du mouvement, elle a soudainement indiqué "qu’au vu des événements, les organisatrices ne souhaitaient pas parler aux médias", avant de nous bloquer l’accès à la page de l’événement.
LCI a toutefois pu intégrer le groupe Facebook privé "Femmes Gilets Jaunes", où il est question d'élaborer les actions à venir. Une plongée qui permet d'en apprendre davantage sur leurs motivations. En toile de fond, sur les divers messages postés dans ce groupe, on retrouve d'abord la colère générale des Gilets jaunes. Aucune revendication affichée, en revanche, à propos des mères isolées par exemple, ou bien des travailleuses pauvres pourtant présentes parmi les Gilets jaunes. Autant de thématiques sociétales chères aux féministes appuyées par les chiffres : le dernier rapport en date remonte au mois de décembre 2018. Il est signé Oxfam, qui reprend les statistiques d'Eurostat selon lesquelles 7,3% des travailleuses françaises étaient pauvres en 2017. Bien plus nombreuses qu'en 2006, où elles occupaient une proportion de 5,6% de la population.
Une "action typiquement féminine"
Exit les revendications concrètes relatives aux droits des femmes, place à l'élaboration d'un plan d'action dans la rue. Plus spécifiquement, les discussions au sein de ce groupe privé tournent autour de cette question : devrait-on mettre en avant notre statut de femme ? Une manifestante écrit : "Nous toutes, femmes du monde, quelles que soient nos différences, il existe forcément une chose, un geste fait machinalement, une action typiquement féminine qui, si nous arrêtions de le faire toutes en même temps, aurait un impact fort." Les réponses fusent. A "action typiquement féminine", d'autres membres du groupe répondent : "boycotter les soldes" et "changer sa façon de faire les courses". Une autre répond : "Je pense que toutes les femmes ont malheureusement le point commun de se coller aux tâches ménagères je sais ça fait cliché j'aime pas ça mais bon... Faudrait qu'on trouve un point commun sur le ménage, la lessive, la vaisselle, les courses... Une action à faire à plusieurs par exemple dans un seul et même endroit."
Se rapporter à sa condition de femme : la proposition revient aussi régulièrement quand il s'agit d'élaborer un mode d'action pour le dimanche 6 janvier. Et ce n'est pas une surprise quand on sait qu'Eric Drouet, une des figures des Gilets jaunes, a lui-même relayé le rassemblement des femmes dans un live en ajoutant : "avec des femmes ça se passera bien." Comprendre : les forces de l'ordre ne s'en prendraient pas aux manifestantes... parce qu'on ne frappe pas les femmes. L'idée se retrouve donc de manière assez diffuse dans ce groupe privé. Une membre écrit encore : "Il me semble important que nous puissions très facilement être identifiées en tant que FEMMES. Les esprits frustres qui se délectent à massacrer les manifestants ont besoin de codes très simples. Si nous sommes habillées avec un attribut féminin qui marque (une jupe bien visible sur un pantalon si besoin), j’ose espérer qu’ils retiendront leur violence. Si nous ressemblons à des manifestants lambdas sur lesquels ils s’entraînent depuis le début ils continueront sans discernement. Je reviens sur l’idée d’indiquer visiblement sur nos vêtements FEMME ou MAMAN ou SŒUR etc… des mots qui peuvent éventuellement leur rappeler des êtres humains qu’ils côtoient peut-être avec leur 'cœur'".
Des poupons en plastique et des coussins sous les pulls
Même argument chez une autre femme Gilet jaune, qui propose de manifester avec, à la main, des poupons en plastique ou, sous le pull, des coussins, pour "faire croire à la présence de femmes enceintes" en tête de cortège. Une autre encore soumet l'idée de nouer un gilet jaune autour du poupon, à la manière d'une couche : "ça nous correspond car les mamans sont - avec certains papas ne les oublions pas - des spécialistes de la couche culotte". Dans les commentaires, un slogan est proposé : "Si tu frappes sur moi tu frappes ta mère."
Des propositions pas franchement féministes car elles réduisent les femmes à leur rapport aux hommes : elles sont mères, filles ou sœurs. Néanmoins, ces idées sont très loin de faire l'unanimité. Et dans les nombreux commentaires s'imposent des avis contraires et des débats fournis. On s'élève notamment contre cette vision très essentialiste et stéréotypée : "Marquer FEMME, SŒUR, MÈRE sur des pancartes : moi ça ne me va pas je ne me définis pas par rapport aux hommes" dit une participante. Une autre : "Non c’est un cliché : femme = responsable des bébés ? Les hommes peuvent le faire aussi. Si vous faites ça, je ne vous suis pas du tout." Celle-ci renchérit : "Je ne vous suis pas sur cette idée. Le côté ‘attention femme fragile ne pas toucher' ne me convient pas trop". Une autre enfin s’énerve : "Bon bref moi je viendrais telle que… ni déguisée ni accessoires. Désolée, j’ai plus 20 ans et les idées qui sortent me saoulent grave. Pourquoi pas ci pourquoi pas ça… c’est pas un défilé de mode et pas envie non plus d’être ridicule. Amusez vous bien et rendez-vous à Paris. PS : nos hommes n’y vont pas avec des masques de ZORRO… C’est vraiment pas gagné là!" A noter également : au fur et à mesure que les heures passent, le groupe Facebook valorise de plus en plus les femmes qui ont été placées en garde à vue ou blessées au Flash ball lors des dernières manifestations, rejetant implicitement le stéréotype selon lequel un rassemblement de femmes serait davantage pacifique que les autres.
Aucune revendication
Au-delà du débat sur le fond, les codes employés par les manifestantes pour s'organiser ne sont pas anodins : si, dans les commentaires, aucune femme ne se revendique féministe, certains comportements se rapportent bel et bien à la sphère militante. D'abord, précisons-le : ce groupe est exclusivement réservé aux femmes, c'est-à-dire qu'il oeuvre en non-mixité, un concept important chez de nombreuses militantes féministes et souvent décrié. Dans la rue, les femmes Gilets jaunes entendent se placer en tête du cortège et ne tolérer les hommes que dans les rangs suivants. Notons également la manifestation visible d'une forte solidarité - peut-être pourrions-nous parler de sororité ? - pour organiser les venues à Paris, l’hébergement sécurisé sur place proposé par d'autres femmes, la prise en charge des femmes handicapées qui ne peuvent pas se déplacer et enfin des gardes d'enfants groupées. Certaines osent même partager des initiatives clairement féministes qui, selon elles, méritent qu'on s'y inspire, comme la chaîne humaine des femmes indiennes contre le patriarcat ou encore le bonnet "pussy hat" utilisé par les féministes américaines contre Donald Trump.
Le mouvement, donc, reste encore largement à la marge des associations féministes. Même si leur cas intéresse. Le collectif national pour les droits des femmes, par exemple, s'est penché sur cette initiative : "Que les femmes Gilets jaunes s'organisent, c'est légitime" indique à LCI Suzy Rotman, porte-parole. "Mais ce qui nous inquiète, c'est l'absence totale de revendications spécifiques de leur part. Pourtant, il y a bien la nécessité d'un service public de la petite enfance, le problème des inégalités salariales, du temps partiel ou des horaires atypiques subis. Les femmes sont les premières concernées par ces formes de précarité." Pour l'instant donc, le collectif attend de voir. Soutien du mouvement social des Gilets jaunes dans sa globalité, il ignore encore s'il appellera à rejoindre un mouvement spécifique aux femmes encore un peu trop protéiforme.
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