TÉMOIGNAGE – Alors que le gouvernement entend mettre en place une amende pour les consommateurs de cannabis, LCI est allé à la rencontre d’un petit trafiquant officiant en région parisienne. Sans détours, le jeune homme raconte son quotidien et l’évolution du secteur ces dix dernières années.
"C’est un business presque comme les autres." Assurément, tout est dans le "presque". S’il voit dans son gagne-pain les aspects les plus classiques d’un travail commercial, Fabien*, jeune trentenaire qui deale du cannabis depuis une dizaine d’années, concède volontiers quelques spécificités à son activité. "C’est qu’une question de légalité ou d’illégalité", insiste-t-il en tapant le dos de sa main dans sa paume opposée, comme pour appuyer son propos. "Tu changes la loi pour autoriser [le cannabis] et d’un coup tu verras que les regards changeront aussi."
Pourrait-il être tenté d’officialiser son "activité" dans le cas – improbable en l’état – d’une légalisation du cannabis ? Pas forcément. "Ça dépend de plein de trucs, mais là, comme ça, j’ai du mal à l’imaginer", affirme ce colosse aux yeux gris-bleu frôlant le double-mètre, expliquant son aversion prononcée pour toute forme de démarches administratives. "Si on me laisse vendre et gérer mes affaires comme je veux, pourquoi pas. Mais, franchement, j’ai des doutes. Ils (les autorités, ndlr) voudront tout contrôler."
Entre 400 et 100 de chiffre d’affaires quotidien
Devenu dealer peu de temps après avoir fêté ses 21 ans, Fabien se prévaut d’une relative ancienneté dans le milieu pour dresser son constat. Passé par le "traditionnel" et ses cages d’escaliers lugubres dans le sillage d’ex-fréquentations, dont plusieurs, précise-t-il, ont connu la prison, le jeune homme a fini par se mettre "à son compte" ; il exerce désormais dans la livraison à domicile. Un secteur qui, soulignait en décembre l’Office français des drogues et toxicomanies (OFDT), s’est banalisé ces dernières années. "Cette diversification de l’offre semble s’inscrire dans une démarche globale des dealers, s’adaptant ou suscitant les besoins de leurs clients", écrivait l'OFDT, parlant d'une "ubérisation" du marché des drogues.
Rabais, fidélisation, packaging attractif... De fait, tous les moyens sont bons pour conquérir de nouveaux consommateurs et les garder. À Toulouse, dans le quartier du Mirail, les trafiquants écoulent par exemple leurs stupéfiants dans des sachets personnalisés, siglés d'un hashtag "#Mirail", comme le détaillait récemment le Collectif d’information et de recherche cannabique (Circ).
Comme pour des paquets de biscuits ou autre promo, plus on achète, moins c'est cher. "Un pochon pour 50, deux pour 90, trois pour 130", promet ainsi un dealer adepte de la dégressivité des prix dans un SMS à ses clients, tandis qu'un autre propose, lui, une "carte de fidélité" offrant "un supplément" tous les cinq achats effectués. De quoi faire grossir le carnet d'adresses et le chiffre d'affaires. "C’est moins de risques, moins de stress et plus de sous", reprend Fabien, qui se défend toutefois "de vivre comme un prince", rejetant le cliché du trafiquant plein aux as.
Tout est relatif... Selon ses dires, Fabien gagnerait entre 400 et 1000 euros par jour en vendant sa marchandise – herbe et résine – autour de dix euros le gramme. Une somme qu’il partage avec un "associé" et doit être déduite du prix d’achat de la marchandise – sujet qu’il préfère ne pas aborder – tout en la rapportant aux nombres d’heures "travaillées" (une douzaine en général, de midi à minuit, sept jours sur sept). Elle reste dans tous les cas supérieure à ce que gagnent les guetteurs et autres vendeurs des "fours" (important point de vente, ndlr). Ces derniers, qualifiés dans Le Monde de "prolétariat du cannabis" par le chercheur Nacer Lalam, coauteur d’un rapport de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), représentent l'essentiel des 240.000 "employés" de ce trafic, qui brasse 1,1 milliard d’euros par an dans l'Hexagone.
La violence comme épée de Damoclès
Ce quotidien, "un enfer" selon Fabien qui l’a bien connu. La pression hiérarchique, la violence et les règlements de compte comme perpétuelles épées de Damoclès : son visage se ferme à l’évocation de ses premières expériences dans le trafic. Il assure cependant ne rien regretter et considère n’avoir eu d’autre choix pour éviter le chômage et la précarité. "J’ai bossé comme coursier, comme serveur, j’ai fait de l’intérim dans les entrepôts à 5h du mat’ et j’ai toujours eu l’impression de perdre mon temps, de galérer pour de la mer**." Séduit par l’argent rapide, à défaut d’être nécessairement facile, Fabien ne pense pas encore à raccrocher. "Je me suis habitué au cash et, j’avoue, ça va être difficile de lâcher."
La future mise en place d’une amende forfaitaire délictuelle pour les fumeurs de joints, annoncée jeudi dernier par le ministre de l’Intérieur, pourrait-elle, selon lui, impacter son activité ? "Ça changera rien", soutient Fabien, certain que le trafic et les opérations de police qui l’accompagnent se poursuivront irrémédiablement. "Ça va continuer parce que les gens veulent consommer. Tant que t’as de la demande, t’auras de l’offre. C’est le business." Un business pas tout à fait comme les autres...
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