INTERVIEW - Le gouvernement a annoncé, jeudi, la hausse des tarifs réglementés de l'électricité en début d'année prochaine. Contacté par LCI, le professeur d'économie Jacques Percebois explique les mécanismes à l'origine de ce phénomène.
Après le gaz et l'essence, l'électricité. Confrontés à une hausse généralisée du prix des énergies, les Français vont devoir faire face à l'augmentation à venir de celui de l'électricité. "Nous nous attendons à une hausse aux alentours de 12%" en début d'année prochaine, a indiqué ce jeudi 30 septembre la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili.
Comment expliquer une telle majoration ? Professeur émérite d’économie à l’université de Montpellier et spécialiste de la question, Jacques Percebois fait le point.
Comment est calculé le prix de l'électricité en France ?
Jacques Percebois : Quand on parle du prix de l’électricité, il faut dissocier deux choses : le prix du marché de gros et le prix du marché de détail. Ce dernier, celui payé par le consommateur final, varie. En premier lieu, il peut être lié au tarif réglementé de vente (TRV), fixé deux fois par an par la Commission de régulation de l'énergie. Le TRV est obtenu par empilement : le coût de production du kilowattheure, le coût des réseaux ou infrastructures, et les taxes. Ces trois strates composent chacun un tiers du TRV, presque à parts égales.
Une grande majorité des ménages - environ 23 millions - est concernée par ce tarif réglementé de vente. Cela explique que la hausse de 12%, annoncée ce jeudi par le gouvernement, préoccupe autant.
Pour certains autres foyers, qui ont abandonné le TRV, le prix de l'électricité se calcule en fonction des offres de marché, souvent proposés par les concurrents d'EDF. Elles se décomposent en trois types de contrat : ceux indexés sur le TRV, mais incluant une légère réduction ; ceux en tarification dynamique, indexés directement sur le marché de gros et donc régulièrement ajustés ; ceux en tarifs fixes, soit des contrats signés pour plusieurs années permettant un prix stable sur cette période. Ainsi, le prix de l'électricité est largement influencé par les variations de prix sur le marché de gros et les évolutions du TRV, lui-même partiellement lié à ce marché.
Les centrales à gaz dans le collimateur
Mais alors, pourquoi le cours de l'électricité va-t-il fortement augmenter dans les prochains mois ?
Pour faire court, cela s'explique d'abord par l'explosion du prix du gaz. La France est - comme tous ses voisins européens - concernée par cette hausse, quand bien même les centrales à gaz ne représentent qu'une part modeste de la production tricolore (6%, contre 70% pour les centrales nucléaires par exemple, ndlr). Pourquoi ? Comme dit précédemment, le tarif réglementé de vente est en partie lié aux coûts de production, et donc au marché de gros.
Le "complément marché" [situation dans laquelle les fournisseurs achètent de l'électricité sur le marché de gros, plutôt que de la produire, ndlr] représente environ 30% des coûts des entreprises concurrentes à EDF, appelées les "alternatifs". Dans un souci d'égalité et pour éviter la distorsion de concurrence, cette proportion est la même que pour le TRV d’EDF. Par conséquent, une partie de l’électricité distribuée en France (environ 30% donc) est issue du marché de gros.
C'est précisément sur ce marché interconnecté que les prix s'envolent, portés par la croissance des prix du gaz. Le marché de gros européen tient compte du mixte électrique européen, pas français. La part du gaz y est donc bien plus importante (20%, ndlr). Or, comme sur tout marché, le prix est fixé en tenant compte du coût marginal, c'est-à-dire le coût de production de la dernière unité nécessaire pour équilibrer le marché. Dans les faits, ce sont les centrales à gaz qui sont la plupart du temps "marginales" dans la production de l'électricité. Cela signifie que ce sont elles qui influencent fortement les prix, en ce moment à la hausse. Ramené au coût moyen de production en France, ce montant est même exorbitant.
La tonne de CO2 s’échange aujourd’hui à plus de 60 euros, c’était moins de 25 il y a quelques mois
Jacques Percebois
Par ailleurs, l'augmentation du prix de l'électricité est liée à celle des quotas de CO2. Quand on fabrique de l’électricité carbonée, il faut aujourd'hui avoir un certain nombre de quotas. Or la Commission européenne en a récemment augmentés les tarifs. La tonne de CO2 s’échange aujourd’hui à plus de 60 euros. C’était moins de 25 il y a quelques mois seulement. Une donnée non négligeable lorsque l'on sait que la production d'électricité d'une partie de l'Europe est fortement carbonée.
Enfin, depuis début septembre, il n'y a tout simplement pas eu assez de vent en Europe du Nord et en Allemagne, très dépendantes du rendement de leurs éoliennes. C'est donc une conjonction de facteurs défavorables qui mène à cette explosion des prix.
Quelles mesures peut-on envisager pour l'empêcher ou du moins l'amortir ?
J'en vois essentiellement deux. Déjà, il faudrait que la commission de régulation modifie la structure du TRV et augmente la part du nucléaire, plus rentable. Cela permettrait de baisser le coût engendré par le recours au marché de gros. Néanmoins, cela avantagerait EDF par rapport à ses concurrents qui ne disposent pas de centrales nucléaires. Cela peut contribuer à limiter la hausse mais, dans l’état actuel des choses, cette mesure ne sera sans doute pas déterminante.
La seule réelle marge de manœuvre dont dispose l’état sont les taxes. Il est toujours difficile de modifier la TVA. Toutefois, le gouvernement pourrait réduire la Contribution au service public de l'électricité (CSPE). Le surcoût des énergies renouvelables, qu'elle était censée financer, est finalement compensé par les taxes sur l'essence. La finalité ayant été modifiée, cet impôt offre de la flexibilité à l'État et pourrait permettre d'équilibrer l'explosion des coûts de production par une baisse fiscale.
Les solutions semblent relativement limitées mais il est important de rappeler que la France continue de bénéficier d’un prix de l’électricité en deçà de la moyenne européenne (19 centimes le kilowattheure environ contre 23). Comme tous les pays vont être concernés par la hausse des prix de l'électricité, cet écart relatif ne va pas bouger.
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