Franck Génauzeau, reporter pour France 2 : "J’avais peur qu’un mouvement de panique nous fasse chavirer"

Anaïs Condomines
Publié le 16 septembre 2015 à 17h30
Franck Génauzeau, reporter pour France 2 : "J’avais peur qu’un mouvement de panique nous fasse chavirer"

TEMOIGNAGE – Pour France 2, Franck Genauzeau et son caméraman Giona Messina ont embarqué avec les migrants pour une traversée entre la Turquie et la Grèce. Le grand reporter, correspondant au Proche-Orient, raconte à metronews les coulisses de ce reportage aussi inédit que périlleux.

D’abord, il y a la chasse au passeur. Franck Génauzeau et Giona Messina, envoyés spéciaux au Proche-Orient pour France 2, savent qu’il n'en manque pas le long des côtes turques. Mais pour les aborder, c’est une autre histoire. "Nous étions au nord de Bodrum, dans un petit port sur la côte turque, juste en face de Lesbos (Grèce)", explique-t-il à metronews.

"Et là, dans un troquet, nous repérons un passeur qui scrute aux jumelles les allées et venues des garde-côtes. On va le voir et on lui dit : ‘Nous sommes journalistes et nous voulons traverser avec vous’. Il nous a trouvé assez culottés." Face à ces businessmen, difficile de faire son travail de reporter. Mais l’homme est ouvert à la discussion.

Un suivi minute par minute

"A ce moment, il veut qu’on le paye, évidemment. Mais pour nous, il est hors de question d’utiliser l’argent de la télévision publique pour alimenter cette pratique. C’est alors qu’il se plaint d’être vu comme un criminel, alors qu’il assure simplement aider ces personnes dans le besoin. Je rentre dans son jeu : ‘Laissez-nous montrer votre travail !’" Après une petite heure de négociation, l’homme se laisse finalement séduire par l’idée. Cinq minutes plus tard, Franck Genauzeau et son caméraman embarquent.

Après plusieurs semaines infructueuses de tourner les images d’une traversée complète -  quand beaucoup ne montrent que l’arrivée des réfugiés  exténués sur le rivage - les reporters sont plus que prêts pour le départ. "Nous sommes partis bien préparés, poursuit l’envoyé spécial. Nous avions acheté des gilets de sauvetage et dans nos sacs, mis des pochettes étanches pour transporter des portables et un positionneur GPS. Ainsi, la rédaction de France 2 a pu suivre notre traversée minute par minute."

Trois kilomètres à la nage

Et au cours de cette traversée qui doit durer quatre heures, l’équipe expérimente ce que  de trop nombreux migrants affrontent pendant leur exil . L’arrêt du moteur, la panique générale, le risque du chavirement en pleine mer. "Lorsque le moteur a rendu l’âme, les voyageurs ont commencé à paniquer. Personne ne leur avait expliqué comment le remettre en marche. Ils nous ont demandé d’appeler les secours, ce que nous avons fait. Avec tous les bateaux qui passaient dans ce bras de mer, je savais qu’on finirait par nous repérer. En revanche, j’avais peur du mouvement de panique qui nous ferait chavirer. Je craignais aussi que quelqu’un ne décide de finir les trois kilomètres à la nage."

Au bout d’une heure - "qui paraît une éternité" - le garde côte apparaît au loin. Puis, c’est le retour sur la terre ferme. Lesbos, porte d’entrée de l’Europe tant convoitée, est enfin atteinte. Les images sont terribles. Tous pleurent, frigorifiés, apeurés, mais vivants. Franck Genauzeau et son cameraman repartent, leur travail est terminé. Et le reporter de se souvenir : "Lors de l’embarquement, un papa m’a tendu sa petite fille de deux ans, avec ses couettes et son gilet trop grand, pour que je la hisse dans le bateau. Un peu déconcerté, je l’ai gardée près de moi jusqu’à ce que son père prenne place à bord. Elle était terrorisée. Je me suis demandé ce qu’il pouvait bien se passer dans sa tête, à ce moment-là." L’image n’est pas dans le reportage, mais elle est reste pour longtemps dans la mémoire du journaliste.

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