"Fraude sociale" : que sait-on de l'ampleur du phénomène ?

V. Fauroux
Publié le 26 septembre 2022 à 19h02

Source : JT 20h Semaine

Chaque année, la fraude sociale coûte cher, mais il est difficile de l'estimer précisément.
En 2020, un rapport de la Cour des comptes faisait état de "1 milliard d'euros de préjudices" constatés par les organismes sociaux.
Mais la facture est sans doute bien supérieure.

Faux numéro de Sécurité sociale, détournement de prestations (RSA, aides au logement...), travail dissimulé... La fraude sociale coûte cher et le gouvernement est bien décidé à livrer bataille. L'exécutif veut notamment dérembourser les arrêts de travail délivrés en téléconsultation lorsque ceux-ci ne sont pas délivrés par le médecin traitant, a annoncé le ministre de l'Action et des Comptes publics Gabriel Attal dans un entretien au Journal du Dimanche. "On a constaté une explosion des arrêts maladie donnés, en téléconsultation, par un professionnel qui n’est pas le médecin traitant. Ce sont près de 100 millions d’euros l’an dernier", a exposé le locataire de Bercy.

Plus globalement, dans son entretien au JDD, Gabriel Attal insiste sur la lutte contre la fraude sociale, clin d'œil assumé aux députés LR dont le vote pourrait être précieux lors de l'examen des budgets de l'État et de la Sécurité sociale au parlement début octobre. Ainsi, le ministre promet de "renforcer les pouvoirs des cyber-enquêteurs des caisses de la Sécurité sociale" qui pourront "repérer un professionnel qui ne déclare qu’une activité salariée, mais propose ses services en indépendant sur Leboncoin sans les déclarer… " Par ailleurs, "les fraudeurs n’écoperont plus seulement d’une amende, mais devront aussi régler leurs frais de dossier, car les Français en ont marre de payer pour eux", complète le ministre.

Aucune véritable estimation

La fraude sociale représente un important manque à gagner. Le problème, c'est qu'il n'existe aucune véritable estimation, alors que la France dépense près de 600 milliards en prestations sociales chaque année. Un rapport de la Cour des comptes, publié en 2020 à la demande de la commission des affaires sociales du Sénat, rapporte que "les principaux organismes sociaux ont détecté en 2019 1 milliard d'euros de préjudices subis ou évités au titre de fraudes avérées ou suspectées". Un montant en constante augmentation ces dernières années, auquel il faut ajouter 700 millions de fraudes aux cotisations. 

Toutefois, la fraude aux prestations sociales est difficile à quantifier : seule la Caisse nationale d'assurance familiale (Cnaf) révèle par exemple le montant des fraudes qu'elle subit : 2,3 milliards d'euros en 2018, mais celles effectivement détectées par les CAF en représentent une faible part (13 %). L’assurance maladie et la branche vieillesse, quant à elles, n’estiment pas le montant des fraudes, si bien qu’il est impossible d’apprécier l’impact réel de leurs contrôles. Pôle emploi s'est de son côté engagé à procéder à une estimation périodique. Le montant des fraudes imputables aux demandeurs d'emploi s'élevait à 212 millions d'euros en 2019, selon la Cour des comptes. 

"Entre 14 et 40 milliards d'euros" par an

"Plus globalement, en prenant en compte à la fois les erreurs et les fraudes, les organismes sociaux perdent en tout état de cause des sommes importantes", explique encore le rapport de la Cour des comptes. En 2018, les CAF ont versé à tort, de manière définitive, environ 3 milliards d'euros, soit 4,5 % du montant total des prestations. Pour 2019, l’Assurance maladie estime aussi à 1 milliard d'euros le montant des factures irrégulières réglées aux professionnels et aux établissements de santé. Un montant qui ne comprend pas les séjours dans les établissements de santé publics et privés non lucratifs et "donc nettement sous-estimé", pointe la Cour des comptes. 

Sous la pression croissante du Parlement, l'Assurance maladie s'est décidée à ausculter ses prestations, l'une après l'autre, en commençant par les infirmiers libéraux et la complémentaire santé solidaire (CSS). Le premier examen a mis en évidence un "préjudice" de 286 à 393 millions d'euros chez les infirmiers libéraux, extrapolé à partir des contrôles menés en 2018, sur un montant total de 5,7 milliards versés cette année-là, précise la Cnam. Les trop-versés sont également élevés pour la CSS : 176 millions d'euros, dont 25 millions de fraudes caractérisées, calculés sur la base de plus de 10.000 dossiers remontant à 2018-2019.

Dans tous les cas, la fraude sociale est sans nul doute sous-évaluée, en raison notamment du manque d’enquêtes effectuées par les organismes de protection sociale et du flou entre les erreurs manifestes et les fraudes réelles. Cette imprécision incite à des calculs nettement plus hauts, mais pas vérifiés pour autant. Comme celui de Charles Prats, ancien magistrat de la délégation nationale à la lutte contre la fraude, qui l'évaluait en 2020 à plus de 50 milliards d'euros par an. La commission d'enquête de l'Assemblée nationale a estimé, elle, en septembre 2020, la fraude sociale "entre 14 et 40 milliards d'euros" par an. Soit entre 3 et 10% du montant des prestations versées.

Un chiffre qu'il faut malgré tout nuancer, car au moins dix milliards d’euros d’aides sociales ne seraient pas réclamés par leurs bénéficiaires en France chaque année, avait révélé mi-janvier Le Parisien. Parmi les grands oubliés, on trouve le RSA, non réclamé par 35% des personnes qui peuvent en bénéficier. Et aussi la prime d'activité, non réclamée à 53%.


V. Fauroux

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