Gérald Darmanin "choqué" par les rayons halal : quel est le vrai poids des "produits ethniques" ?

par Cédric INGRAND
Publié le 21 octobre 2020 à 17h33
Des plats orientaux / photo d'illustration

Des plats orientaux / photo d'illustration

Source : iStock

MINI-MARCHÉ - Nés dans les années 2000, ce que les professionnels de la grande distribution appellent les "rayons ethniques" ont trouvé leur place, même s'ils ne sont qu'une virgule dans les comptes des enseignes. Sans commune mesure avec les craintes qu'ils semblent faire naître chez le ministre de l'Intérieur.

À l'origine, le marché du halal est né de nos exportations. Dans les années 70 et 80, boucheries industrielles et grands volaillers qui voulaient exporter dans le monde musulman - principalement vers les pays du Golfe - avaient mis en place leurs propres filières d'abattage halal. Des produits dont une partie venait servir, en France, des populations immigrées.

Quarante ans plus tard, rares sont les super et hypermarchés qui n'ont pas leurs rayons halal et casher. Des marques spécialisées (Isla Délice, Medina Halal, Yarden) existent aujourd'hui, à côté de produits estampillés de marques françaises bien connues - comme Fleury Michon, ou Pierre Martinet - dont certaines gammes visent précisément le marché du halal.

Un marché dont la croissance plafonne

Pour autant, depuis lors, la place qu'occupent ces produits dans les enseignes n'a varié qu'assez lentement, rien à voir par exemple avec l'explosion du bio. Pourquoi alors Gérald Darmanin se dit-il aujourd'hui "choqué" à la vue de ces rayons de "cuisine communautaire". "C'est assez grotesque", estime Jean-Christophe Desprès, Président de Sopi Communication, une agence spécialiste du marketing ethnique, "la distribution de ces produits n'a pas évolué depuis une dizaine d'années, rien qui n'expliquerait la sortie du ministre de l'Intérieur."

Et de fait, si le chiffre d'affaire global de ces "rayons ethniques" augmente, ils ne représentent qu'une infime partie des ventes alimentaires de la grande distribution. Selon les chiffres du cabinet Nielsen, même en triplant en dix ans (passant de 80 millions d'euros en 2009 à 282 millions d'euros désormais), les ventes de produits halal n'atteignent que 0,3% des ventes de produits de grande consommation. De quoi le mettre au niveau d'autres marchés de niche, comme les bières artisanales, qui plafonnent à 300 millions d'euros de ventes annuelles.

"Halal", "casher"... ou "saveurs du monde" ?

En 2019, le halal avait vu ses ventes en grande surface progresser de 5,2%, avec comme chaque année un bond au moment du Ramadan, qui concentre plus de 10% des ventes annuelles. Un marché où un peu moins de 5% des foyers concentrent les trois-quarts des achats... mais pour un montant relativement modeste, moins de 90 euros par an. En tête de gondole du rayon halal : la charcuterie de volailles - plus d'un tiers du chiffre d'affaires total - et les viandes et plats surgelés.

Des chiffres qui sont un peu l'arbre qui cache la forêt, le gros du chiffre d'affaires du halal se faisant hors des grands circuits de distribution. "Pour l'essentiel, le marché se concentre sur les boucheries musulmanes, dont on estime qu'il y en aurait 10.000 en France", détaille Jean-Christophe Desprès, "mais aussi sur la restauration rapide, tous les kebabs, les tacos...". Des commerces qui servent bien au-delà de la seule communauté musulmane.

En fait, s'il est une pierre d'achoppement, elle réside dans les noms de ces rayons, qui peuvent varier d'une enseigne et d'un magasin à l'autre. "Personne n'a jamais été à l'aise avec ça", explique Jean-Christophe Desprès, "certains affichent 'halal', ou 'casher', et d'autres les regroupent sous des noms plus euphémistes, genre 'saveurs du monde'".

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Pour autant, les professionnels de la distribution n'ont pas eu de malaise à réagir aux propos de Gérald Darmanin. Dans un message publié sur LinkedIn, Michel-Édouard Leclerc pointe les contradictions du ministre : "Faire semblant de s'interroger sur la présence des produits halal, casher, africains ou asiatiques vendus en supermarché, tout en proposant aux consommateurs de les acheter dans des magasins spécialisés, c'est quand même paradoxal pour quelqu'un qui dénonce le communautarisme !  (...) Ces propos sont assez minables."

Des propos qui ne devraient pas avoir de conséquences au-delà de la polémique. Comme le reconnaissait lui-même Gérald Darmanin dans la même interview, "J'ai mes opinions. Et heureusement que toutes mes opinions ne font pas partie de la loi de la République."


Cédric INGRAND

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