À LA LOUPE - Le 24 avril, alors qu'un Gilet jaune du territoire de Belfort était en garde à vue, ses deux enfants ont été retirés du foyer et placés. L'affaire a indigné le mouvement des Gilets jaunes sur les réseaux sociaux, y voyant une pression exercée par l'Etat. Les autorités réfutent cette version.
Sur les réseaux sociaux, l'affaire fait grand bruit. "Ils ont pris ses enfants, sans plainte, sans enquête des services sociaux, sans jugement", s'indigne un Gilet jaune. Un autre se fait le porte voix de l’aînée des deux fillettes concernées : "J'ai 4 ans, ma petite sœur 2 ans. Le 24 avril au matin, nous avons été enlevées à papa et à maman par la police et un représentant des services sociaux et placées dans un foyer. Parce que papa est street-medic Gilet jaune", écrit-il. Les posts ont été massivement partagés, jusqu'à plus de 23.000 fois pour certains. L'affaire a de quoi choquer. Nous avons tenté d'en savoir plus.
"Provocation publique à commettre un crime ou un délit"
Sur les réseaux sociaux et dans les médias, le grand-père des deux petites filles a décidé de prendre la parole pour faire connaître et médiatiser le triste sort que connaît sa famille. Contacté par LCI, il nous explique sa version des faits. Originaire de Bretagne, son fils Jonathan vit dans le département du territoire de Belfort où il s'est mis à son compte en tant que jardinier. Gilet jaune de la première heure, ce trentenaire endosse les samedis son tee-shirt blanc de street-medic pour porter secours aux blessés. Ce mercredi 24 avril, à 6h30 du matin, la police a frappé à sa porte pour le placer en garde à vue. Une garde à vue qui durera 24 heures.
"On lui reproche des communications sur sa page Facebook, nous explique Alain Le Bris, le grand-père. Pour la justice, c’est un appel à la violence, à la rébellion. Mais ça fait partie du jeu des manifestations, du climat dans lequel nous sommes actuellement. Ce sont des commentaires, dans les actes, Jonathan est un street-medic. S’il est violent ou dangereux, c’est en balançant des compresses."
Du côté des autorités locales, on nous confirme que la garde à vue a fait suite à des publications sur le réseau social Facebook. "Nous ne lui reprochons pas de méfaits à l’occasion d’une manifestation des Gilets jaunes", précise Eric Plantier, le procureur de Belfort. La garde à vue a été suivi d'une mise en examen pour "provocation publique à commettre un crime ou un délit" et "provocation à s’armer contre l’autorité de l’Etat". Malgré nos recherches, nous n'avons pas retrouvé les posts incriminés. Ils peuvent avoir été effacés ou ne pas apparaître sur des pages ou des groupes publics, le compte a également pu être bloqué ou supprimé.
Pourquoi les enfants ont-ils été placés ?
A la suite de l'interpellation, les forces de l'ordre ont perquisitionné le domicile de Jonathan. Son épouse a été convoquée au commissariat l'après-midi même. Suite aux "comptes-rendus qui ont été faits sur l’état de l’appartement" et à "l'audition de madame", le parquet a pris la décision de placer les enfants, nous explique Eric Plantier. Cette procédure peut être immédiate et ne nécessite pas la présence des services sociaux, pour les cas d'urgence, comme le précise la loi (art. 375-5 du code civil).
Car selon le procureur, l'appartement était dans un état d'insalubrité extrême et les enfants présentaient des "carences éducatives manifestes qui font que le développement physique et affectif des enfants semblent compromis".
Des accusations que balaye Alain Le Bris. "Avant l’arrivée de la police et la perquisition, l’appartement était tout à fait correct, assure-t-il. C’est facile quand on répand les poubelles dans l’appartement, les déjections du chat, qu'on casse tout. Et puis, il y a le pauvre chien qui s’est oublié dans le couloir. A 6h30 du matin, il a eu peur, alors il s'est lâché et allez hop ! Photo." Il poursuit son énumération : "Ils ont deux frigos dans la cuisine, les deux marchent mais l’un deux n’a pas de lumière à l’intérieur. Du coup, les policiers ont déclaré qu’un frigo ne marchait pas. C’est incroyable mais vrai. Ce sont des détails comme ça."
Un ami de Jonathan Le Bris, lui aussi street-medic au sein du mouvement des Gilets jaunes, assure également que l'insalubrité n'est pas avérée. "J'ai eu l'occasion d'aller chez lui personnellement", nous précise cet ambulancier installé dans la région depuis un an et demi. "Je ne suis pas du tout d'accord sur ce constat. Je vois beaucoup de logements dans le cadre de mon travail, des logements insalubres j'en ai vu, dans certains cas c'est critique, mais rien de comparable avec l'appartement de M. Le Bris", avance Jean-Jacques Bialon. "Je ne vais pas mentir, je ne dis pas qu'on pourrait y manger par terre mais dire qu'il est insalubre est vraiment exagéré." L'ambulancier affirme par ailleurs avoir "déjà été appelé au tribunal en tant que témoin" dans le cadre d'un placement provisoire d'enfant.
Quant aux deux petites filles, il nous indique qu'il les a "vues une fois". "J'ai passé deux heures en leur compagnie, elles s'exprimaient correctement et ne présentaient aucune carence alimentaire." "J'ai lu quelque part que l'aînée de 5 ans (les fillettes ont en réalité 3 et 5 ans contrairement à ce qu'avançaient plusieurs publications Facebook, ndlr) portait encore des couches. Bon, ce n'est pas pour cela que l'on retire un gamin de son foyer, d'autant plus qu'il n'y a eu aucun signalement de l'école", ajoute-t-il. "Que Jonathan soit poursuivi pour les menaces proférées, je comprends, mais pas le placement."
"Une affaire politique"
Le grand-père n'en démord pas. Pour lui, Jonathan dérange, parce qu'il est Gilet jaune, mais aussi parce qu'il est indépendantiste breton. "Il est en procès contre l’Etat français pour faire reconnaître sa nationalité bretonne", tient-il à préciser. Une procédure judiciaire a été entamée il y a quelques années, comme le rapportait France Bleu en 2016. "Ils ont trouvé une faille, c’est vraiment pour le faire taire. C’est une affaire politique", martèle-t-il. "Les enfants - c’est peut être fort mais c’est mon ressenti - sont otages du pouvoir de Paris. C’est écœurant", lâche-t-il. Le soutien au jardinier a donc pris une teinte régionaliste, comme cela apparaît dans le visuel ci-dessous.
La justice, de son côté, trouve la ficelle un peu grosse : l'Etat, les renseignements territoriaux, la DGSI, auraient-ils vraiment besoin de quelques policiers du commissariat de Belfort pour renverser une litière et une poubelle et faire croire que des enfants vivent dans des conditions d'insalubrité ? nous demande-t-on à demi-mot. "Le parquet de Belfort n’est pas instrumentalisé par le vilain Etat jacobin", souligne le procureur. "Contrairement à ce qui a été dit par la famille de M. Le Bris - qui n’était pas présente au moment de la perquisition -, les désordres et conditions d’éducation manifestement carencées étaient antérieurs à l’arrivée des policiers".
"Il se trouve que M. Le Bris est Gilet jaune, mais ce n'est pas ce que je lui reproche", insiste Eric Plantier. Et d'ajouter : "Je ne savais pas qu’il était indépendantiste avant de lire les interviews de M. Le Bris, le père de Jonathan. Et même s'il l'est, ce n'est pas une infraction." Le trentenaire était par ailleurs inconnu des services de police.
Le juge pour enfants appelé à statuer
Quelle sera la suite de cette affaire ? Le jardinier a pu revoir ses enfants ce dimanche matin. Le juge pour enfants, qui a été saisi du dossier, recevra la semaine prochaine les parents pour statuer sur leur sort. C'est à lui que sera confié le soin d'établir les faits. Il pourra alors annuler la procédure de placement, la confirmer ou l'amender. Si le grand-père des deux fillettes se dit inquiet et craint une procédure qui s'étire en longueur, "pendant 10, 15 ans", le placement pourrait en réalité prendre fin rapidement. Par ailleurs, la loi indique qu'il ne peut dépasser 2 ans. La mesure peut également "être modifiée à tout moment par le juge, après une nouvelle audience, en cas de changement de la situation de l'enfant et de sa famille."
Concernant la mise en examen de Jonathan pour "provocation publique à commettre un crime ou délit" et "provocation à s'armer contre l'autorité de l'Etat", un juge d'instruction a été saisi pour poursuivre l'enquête lancée par le parquet.
NOTE DE LA RÉDACTION : Suite à la publication de cet article le 29 avril 2019, Jean-Jacques Bialon - Gilet jaune de la région et ami de M. Le Bris - a tenu à apporter son témoignage. Celui-ci a été ajouté à l'article le 30 avril.
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