Grenelle des violences conjugales : du côté de France Victimes, "l'impression que les moyens n'y sont pas"

Propos recueillis par Amandine Rebourg
Publié le 25 novembre 2019 à 17h11, mis à jour le 25 novembre 2019 à 17h18
Grenelle des violences conjugales : du côté de France Victimes, "l'impression que les moyens n'y sont pas"
Source : ERIC FEFENBERG/AFP

INTERVIEW - Edouard Philippe a annoncé ce lundi 25 novembre, en clôture du Grenelle sur les violences faites aux femmes, les différentes mesures qui vont être prises pour "protéger davantage" les victimes et prendre en charge les auteurs. Du côté de certaines associations comme France Victimes, l'accueil est plutôt mitigé.

Après plusieurs semaines de rencontres avec des professionnels de tous bords, le gouvernement a conclu le Grenelle des violences conjugales lundi 25 novembre en dévoilant une trentaine de mesures. Des annonces froidement accueillies par des collectifs féministes, dont Nous Toutes, qui fait état d'"une déception à la hauteur de l'immense attente soulevée ces derniers mois", notamment sur le plan des moyens mis en oeuvre. 

Nous avons demandé l'avis de Jérôme Bertin, directeur général de France Victimes. Alors que les victimes de violences conjugales représentent 37% des appels reçus par la plateforme de ce réseau associatif, le 116 006, les équipes sont submergées depuis le lancement du Grenelle. Aussi, pour Jérôme Bertin, l'accueil des mesures est-il mitigé, notamment sur  la question de la pérennisation des moyens. 

LCI : Que pensez-vous des mesures annoncées par Edouard Philippe ? 

Jérôme Bertin : Je suis mitigé. Ce Grenelle est une réflexion collective nécessaire et de ce point de vue, elle est réussie. Les mesures annoncées sont intéressantes et ont un spectre large : la prévention de ces violences, la possibilité de déposer plainte à l'hôpital, l'évaluation du danger, les suspensions d'autorité parentale, etc. Elles sont favorables aux victimes et c'est positif. Après, sur les moyens accordés, je suis partagé. On nous demande beaucoup, donc on attend beaucoup. 

LCI : Les moyens sont-ils suffisants ? 

Jérôme Bertin : Il va y avoir la création de postes de 80 intervenants sociaux, le passage du 3919 en 24h/24 et 7j/7, mais aurons-nous les moyens pour toutes les répercussions connexes de cet accueil ? On va sûrement avoir davantage de sollicitations, et j’ai l’impression que les moyens n’y sont pas.

Concrètement, les 10 millions du ministère de la Justice, sont-ils en plus de ceux déjà investis dans l’aide aux victimes ou est-ce une part de la proportion consacrée aux violences conjugales ? Nous sommes principalement impactés par le budget Justice qui a déjà été voté avec une augmentation de 2% dans le financement de l’aide aux victimes. Cela veut dire qu’en réalité, c’est à moyens constants. Aura-t-on collectivement les moyens de réussir ? Pour notre réseau, j’ai un doute. On va attendre de voir ce que cela donne. 

LCI - Et combien vous faudrait-il ? 

Jérôme Bertin : C'est difficile à évaluer. Notre budget, c'est 50 millions d'euros. Notre plateforme, c'est 600.000 euros. On fera en fonction de ce qui sera accordé mais plus on aura, plus on fera, c'est certain. Si les budgets doublent, nous doublerons notre efficacité, dans la prévention, la communication, la formation. La présence auprès des victimes nécessite des moyens. 

LCI - Concrètement, comment se traduit le manque de moyens ? 

Jérôme Bertin : Quand une personne forme dans une école de police, une gendarmerie où encore des magistrats, ces heures sont autant de temps loin des victimes qui ne seront pas reçues, pas entendues. Nos associations n'ont pas les moyens d'ouvrir le week-end, et pourtant les violences ne s’arrêtent pas à ce moment-là.

Autre exemple, une personne ne peut pas démultiplier le nombre de victimes reçues dans une journée. Si la personne reçoit quinze victimes dans une journée, on ne peut pas lui dire de raccourcir le temps pour en recevoir le double. Alors il faut des moyens pour faire plus. Si on se dit que notre réseau doit accompagner davantage de femmes, il faut que l'on ait davantage de personnes. 

LCI - Votre numéro d’appel 116 006 a-t-il connu un pic depuis le début du Grenelle ? 

Jérôme Bertin : En réalité, nous sommes un numéro de débordement du 3919. C’est un numéro généraliste pour les victimes, mais il y a une réalité de terrain :  37% de nos appels sont ceux de femmes victimes de violences conjugales. Or, le numéro a connu une hausse de 85% des appels depuis le lancement du Grenelle, mais avec une équipe identique. 

Nous avons doublé les appels ratés ou les messages d’appels sur notre messagerie interactive et nous n'avons pas eu les moyens de gérer ce pic. On se fait fort de rappeler toutes les personnes mais les équipes sont à saturation, elles sont épuisées. Nous sommes très vigilants quant à leur santé, mais nous ne pouvons pas créer nos propres ressources. Nous dépendons des subventions. 

LCI - Nous en sommes aujourd'hui autour de 131 féminicides en France depuis le début de l'année. Qu'est-ce que cela veut dire ?

Jérôme Bertin : Ça veut dire que nous n'avons pas été capables, collectivement d'évaluer le danger. Il faut donner la capacité à chacun d'alerter. Il y a un problème de réactivité et d'évaluation du danger. Il faut que l'on soit réactif, judiciairement, dès le premier geste. Que tout de suite, on colle un "warning" sur ce couple. Qu'il y ait une prise de conscience chez l'auteur. On doit se dire que les 250.000 femmes victimes sont en danger.

Si vous avez besoin ou quelqu'un de votre entourage a besoin d'aide : composez le numéro national d'Aide aux Victimes disponible 7j/7 : 116006 ou le 3919 ou par mail


Propos recueillis par Amandine Rebourg

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