"Fais pas la meuf, j'vais te balayer" : insultée après avoir répondu, une Strasbourgeoise témoigne du harcèlement de rue ordinaire

Propos recueillis par Mathilde ROCHE
Publié le 30 août 2018 à 18h09, mis à jour le 30 août 2018 à 21h39
"Fais pas la meuf, j'vais te balayer" : insultée après avoir répondu, une Strasbourgeoise témoigne du harcèlement de rue ordinaire

Source : Alex Linch - Thinkstock

TÉMOIGNAGE - Le 22 août dernier, à Strasbourg, Caroline a sorti son téléphone pour filmer un comportement déplacé à son égard. Face aux nombreuses réactions suscitées par la publication de la vidéo, elle revient sur son geste.

“Alors non, je ne m'excuserai plus, non je ne garderai plus le silence.” Caroline - qui tient à garder l'anonymat - est une étudiante de 24 ans. Elle vit à Strasbourg et comme des centaines de femmes de sa ville, comme des milliers de femmes en France, elle subit le harcèlement de rue, comme le rapporte France 3 Alsace

Dans une vidéo et un texte publiés sur Facebook le mercredi 22 août, elle dénonce le comportement inapproprié de certains hommes à son égard. Ce jeudi 30 août, jour où était jugé l'agresseur de la Parisienne Marie Daguerre, harcelée puis agressée dans la rue fin juillet (le procès a été renvoyé, ndlr), la vidéo compte 325.000 vues et presque 2000 commentaires. Contactée par LCI, la jeune femme confie avoir d’abord été effrayée par tant de visibilité et les nombreux messages qu’elle a reçue. Mais convaincue que les choses ne changeront que si l’on rompt le silence, elle a finalement accepté de se livrer sur son expérience.

LCI : Pouvez-vous nous expliquer comment la scène s’est déroulée ?

Caroline : Je suis simplement sortie de chez moi pour faire quelques courses et j’ai été interpellée par des hommes en y allant. Je n’ai pas répondu et je me suis dépêchée d’arriver au magasin, mais j’étais en colère de m’être fait une énième fois interpeller de façon irrespectueuse, j’en tremblais. En sortant du magasin, je sentais que ça allait se reproduire et j’étais prête à récolter une preuve. J’ai à peine répondu “pardon ?” à leur commentaire sur mon physique. Ils m'ont alors répondu "fais pas la meuf j'vais te balayer" et même "baise ta mère".

LCI : Qu’est ce qui vous a poussé à filmer cet instant ? Sur le moment, quel était votre état d’esprit ?

Caroline : Cela arrive presque tous les jours et j’en avais assez. Assez de me sentir rabaissée et salie à longueur de temps. Ça a été la fois de trop. J'ai eu un sentiment de rage et je sais que nous sommes beaucoup à ressentir la même chose à cause du harcèlement de rue. J’ai spontanément sorti mon téléphone pour capturer ce quotidien, qui est le mien et celui de milliers de femmes. Dans mon entourage, je ne connais pas une seule femme à qui ça ne soit pas arrivé.

Je suis rentrée chez moi, je tremblais et j'avais cette vidéo, cette "preuve" de ce qu’il se passe tous les jours, partout. De manière impulsive, j’ai voulu la partager sur mon compte Facebook pour montrer ce que c’est, pour donner matière à ceux qui n’entendent pas. Cela faisait quelques mois déjà que je voulais dénoncer ce phénomène. J'ai juste écrit ce que je ressentais. J’avais besoin d'exprimer cette colère et cette frustration et de les partager à ce moment-là.

LCI : Vous expliquez dans le texte qui légende la vidéo que cela arrive en permanence et ce, peu importe la tenue. Est ce que vous avez subi d'autres expériences de harcèlement de rue dont vous voudriez témoigner ?

Caroline : J’avais 21 ans et j’étais dans le tram avec une amie. Je me suis levée pour descendre et un homme m'a très violemment claqué la fesse. J'ai mis quelques secondes à réaliser ce qu'il venait de se passer. Je me suis retournée pour me défendre mais l'homme s'est tenu devant moi en m'insultant. Si mon amie ne m'avait pas tirée vers la sortie, je pense qu’il ne se serait pas arrêté à des mots. C’est l'expérience qui m'a le plus marquée. 

L’année dernière, j’ai aussi été suivie sur plusieurs rues, jusqu’à mon appartement. J'ai croisé cet homme que je ne connaissais pas, il s'est arrêté et j'ai remarqué qu'il faisait demi-tour. J'ai réalisé qu'il me suivait. Je suis entrée dans une supérette et à la sortie, il était là, à attendre. J'ai accéléré le pas, lui aussi, alors je me suis mise à courir de toute mes forces. J'ai jeté un regard derrière moi et lui aussi courait. J’ai fait aussi vite que je pouvais pour atteindre mon appartement. Le gardien m'a demandé ce qu'il se passait car j'avais l'air apeurée, il est sorti pour voir s'il pouvait retrouver l'homme, mais il avait disparu. 

LCI : Vous parlez aussi du fait que cela dégénère, en insultes et agressions, quand les femmes répondent, lorsqu’elles "ripostent"? Pourquoi est-il important de ne pas rester silencieuse ?

Caroline : C'est compliqué. Pour se protéger, on aurait tendance à se taire et baisser la tête : ce que j'ai fait pendant toute mon adolescence. Aujourd'hui, je n'arrive plus à supporter cela. Je n'arrive plus à supporter ces insultes, ce rabaissement, cet irrespect. Pour que le changement opère, il faut se faire entendre, se défendre et montrer que nous avons le DROIT d'être respectées. 

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LCI : Avez-vous reçu des messages désagréables depuis la publication de ton témoignage ?  

Caroline : Oui, j'ai reçu des commentaire et des messages haineux et violents par le biais de Facebook, depuis la publication de la vidéo. Mais même si c’est effrayant, j’ai choisi de ne pas bloquer l’accès à ma messagerie car ce n’est rien comparé à tous les messages de soutien et d’encouragement que j'ai reçu. De la part de femmes mais aussi d'hommes, qui étaient indignés de ces comportements et qui n'imaginaient pas forcément que c'était à ce point quotidien. Je pense que c’est important de préciser que l’on ne met pas tous les hommes dans le même panier, pour moi il y'a davantage d'hommes bons et respectueux que ce genre d'individus. Il ne faut pas généraliser, certains ont notamment des propos racistes très blessants et je trouve ça grave.

Donc je ne regrette pas. Si cela peut faire bouger les choses, alors ces insultes n'auront pas été vaines. Au contraire, ça me donne encore plus envie de me battre. Je pense aussi qu’il est nécessaire que femmes et hommes dénoncent ces comportements, même si elles ou ils n’en sont pas victimes.


Propos recueillis par Mathilde ROCHE

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