L'HISTOIRE - Il y a six mois, l’Uritrottoir, un urinoir-jardinière conçu par une agence nantaise était testé gare de Lyon à Paris. Depuis, la création a fait des émules : des modèles ont été installés à Nantes, à Locminé, bientôt à Lausanne et à... Séoul !
Paris, Nantes, bientôt Lausanne, et Séoul... Urineurs sauvages de tous pays, préparez-vous : les uritrottoirs sont en passe d’envahir la planète ! Avec un ordre de bataille : "Civilisez les pipis sauvages !"
Souvenez-vous : il y a six mois, une agence design nantaise, Faltazi, mettait en test deux de ses Uritrottoirs à Paris, gare de Lyon. Des installations en forme de gros cube ou de rectangle, surmontées de fleurs. L’idée de ces drôles de machines : lutter contre les pipis sauvages, déversés, très souvent, par des noctambules alcoolisés. Car si la question peut sembler anecdotique, ces rigoles d’urines, qui dégoulinent et imprègnent le bitume - et les chaussures -, posent un réel problème de salubrité publique aux collectivités. L’Uritrottoir prétendait répondre au problème, tout proposant une autre solution : les urines sont en effet utilisées pour... fabriquer du compost, et donc faire pousser plantes et fleurs.
Six mois après donc, la folle invention des Nantais a fait un beau chemin. Et intéresse tous azimuts. Trois uritrottoirs ont été installés dans le centre de Nantes, un à Locminé, en Bretagne, au carrefour de deux bars "qui tournent à bloc les jeudis et vendredis soir", sourit Laurent Lebot, confondateur avec Victor Massip de Faltazi. Des problématiques sans doute universelles, alors que les vespasiennes ont quasiment toutes disparues de l’espace public.
Plusieurs nouveautés sont à l’ordre du jour : un nouveau modèle d’uritrottoir va être installé à Lausanne, en Suisse. "Il s’agit de l’Uritrottoir corner, qui peut s’installer dans les angles, et fait qu’en terme de pudeur, on est mieux protégé", nous explique l'un des concepteurs. Ce premier expatrié va répondre à une problématique bien précise : "Les services de propreté de la cité suisse étaient en quête de solutions pour les évènements estivaux comme les festivals". Autre bonne nouvelle : à la suite de l’expérimentation de la gare de Lyon, diligentée par la SNCF, le service des espaces verts de la Ville de Paris s’est penché sur l’invention et a passé commande pour six installations, livrées à l’automne prochain. En juillet, enfin, un exemplaire va être livré à Séoul, en Corée. Le tour du monde, on vous dit.
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Tous les pays à bière sont intéressés
Bref, tout roule pour l’Uritrottoir, et même un peu plus vite que prévu. "Tout s’est déclenché très vite, le buzz a accéléré le programme", raconte Victor Massip. Merveille d’internet et de la mondialisation, l’invention, dont nous vous parlions dès décembre dernier, a en effet fait beaucoup parler. En France, les articles se sont enchaînés, du Figaro à Télérama en passant par Europe 1, l’aventure finissant même aux Grosses têtes. Puis, un journal d’expatriés, The Connexion, a fait voyager l’histoire de l’autre côté de la Manche. Le Guardian a embrayé avec un article, suivi, deux jours après, par le New York Times. Le début d’un tour du monde médiatique. "On s’est fait tous les fuseaux horaires, traversé la Russie, les pays de l’Est... Je crois que les pipis de rue sont un problème qui concerne le monde entier !", analyse Laurent Lebot.
L’affaire a notamment suscité beaucoup d’intérêt dans les pays du Nord de l’Europe, plus qu’en Espagne ou Italie. "Angleterre, Belgique, Pays bas, Allemagne, Suisse, ont réagi très vite. Des pays à bière ! Et rencontrent donc les mêmes soucis." Plus inattendu, l’Inde s’intéresse aussi beaucoup à l’Uritrottoir. "Ils sont dans notre top des contacts ! Il y a là-bas un gros problème de salubrité publique."
Un Uritrottoir collecte environ 160 pipis chaque semaine
Les premières mises en place montrent surtout que l’Uritrottoir, qui est aussi connecté pour pouvoir surveiller le niveau d’urine, fonctionne bien. "Nickel, même !", abonde Laurent Lebot. A Nantes, les installations collectent en moyenne 160 pipis chaque semaine. La flotte est gérée par Wonder cake, une association qui, chaque mercredi, fait la tournée des points, et remplace les bacs humectés d’urine par des secs, mélangant paille et copeaux pour empêcher la propagation des mauvaises odeurs. Comme sur le principe de toilettes sèches. Le bac humecté, quant à lui, est envoyé sur une plateforme située dans une commune voisine, où il va composter, pendant six mois, un an, pour faire de l'engrais. Il sera ensuite réutilisé par les services de la Ville, comme amendementpour les parterres de fleurs ou de plantations. "On exclut les fruits et légumes", précise Victor Massip. "On prend des précautions pour la réutilisation, parce qu’on collecte l’urine d’une population qu’on n’identifie pas vraiment."
Côté "clientèle", l’Uritrottoir attire sans doute une population qui n’aurait pas naturellement uriné dans la rue. "Mais pour la plus grosse proportion, ça reste des pipis de noctambules", estime Laurent Lebot. Les fêtards ont donc trouvé leurs marques, et, autre gros avantage, les pavés n'émettent plus les désagréables odeurs des lendemains de soirée.
Restent, encore, quelques améliorations à peaufiner, comme une signalétique avec logo et fléchage, sur laquelle sont en train de plancher les designers. Histoire de bien orienter les noctambules titubants, mais aussi de familiariser le grand public avec l’objet. "Aujourd’hui, il y a un déficit de solutions sanitaires dans la rue", analyse Victor Massip. "On installe là un nouvel objet, que les gens ne connaissent pas, et qui peut interpeller ou être incompris." D’autant que pour que l’objet soit mieux accepté, les designers avaient choisi de végétaliser cet urinoir de rue. Ce qui est évidemment bien plus joli, mais peut faire hésiter à uriner à l'intérieur...
Plein d'autres projets en lien avec la transition écologique
Le designer tient aussi à déminer un sujet, sur lequel il s’est fait "allumer" sur les réseaux sociaux : non, les Uritrottoirs ne sont pas sexistes, même s’ils se prêtent en effet moins bien aux urines féminines... Ce que Laurent Lebot reconnaît volontiers. "C’est un sujet qu’on ne laisse pas tomber, mais il y a une autre complexité à gérer qui est celle de l’intimité, étant donné que la position n’est pas la même", détaille-t-il. "Du coup, il faut une cabine. Cela impose de trouver une solution qui soit une toilette sèche publique, avec des matériaux nobles et du mobilier urbain qui serait capable d’encaisser du vandalisme. Mais ce n’est pas le même prix qu’un urinoir... Pour l’instant, nous manquons de moyens pour développer ce projet, mais si l’on vend assez d’Uritrottoirs, on pourra y arriver !"
L’agence Faltazi travaille en effet pour des industriels dans l'électroménager. Mais en parallèle, essaie de développer à son compte des équipements dédiés à l’environnement "low-tech" ("basses technologies", ndlr). "Des objets qui ne tombent pas en panne, ou en obsolescence programmée, ou de fonctionnement très simple permettant à chacun de les réparer, pour quitter l’univers de l’hyperconsommation et aller vers l’écologie citoyenne", détaille Laurent Lebot.
D’ailleurs, les Uritottoirs ne sont qu’un des petits cailloux semés au sein d'un projet bien plus large, imaginé par ces designers un peu fous, appelé les Ekovores, pour participer à la transition écologique.
"Nous avons imaginé pleins de petits équipements qui permettent d’entrer en économie circulaire, en créant une boucle intelligente entre les déchets organiques qu’on produit en ville et en les réinjectant dans les ceintures vertes qui entourent la ville", explique le designer. Comme des toilettes sèches suspendues, des poulaillers urbains pour recycler les déchets organiques, des récupérateurs d’eau de façade pour récupérer la pluie avant qu’elle ne parte dans les égouts, des jardins-potagers flottants, des composteurs urbains... Certains existent déjà, d'autres sont encore en cogitation. Mais tous donnent sacrément envie de se mettre à l'écologie. En commençant, tout bêtement, par faire pipi utile.